Liban .
Les protagonistes ont renoué des contacts en vue d’une
sortie de crise, qui paraît toutefois lointaine.
Le feu couve toujours
Un calme précaire est de retour au Liban. Mais les violences
meurtrières, les tireurs embusqués sur les toits et les
combats entre sunnites et chiites de ces derniers jours ont
réveillé les démons de la guerre civile dans ce pays en
proie à une grave crise politique.
Une situation tendue qui pourrait aussi contraindre la
classe politique à revenir au dialogue pour éviter le pire.
Alors que des scènes d’émeutes embrasaient jeudi des
quartiers musulmans de Beyrouth, les principaux dirigeants,
sunnites de la majorité anti-syrienne et chiites
de l’opposition, ont appelé leurs partisans à quitter la
rue. De fait, les contacts politiques se multiplient entre
protagonistes pour un règlement de la crise, qui ne cesse de
s’envenimer depuis la démission mi-novembre des cinq
ministres représentant la communauté chiite et qui a
dégénéré la semaine dernière en violences confessionnelles.
En effet, malgré un blocage total des institutions depuis
deux mois et demi — l’opposition ne reconnaît plus la
légitimité du gouvernement accusé d’accaparer le pouvoir —
les contacts politiques semblaient renoués ces derniers
jours. Le président du Parlement Nabih
Berri, personnalité chiite de l’opposition, s’est entretenu
par téléphone avec le premier ministre Fouad
Siniora et avec le chef druze
Walid Joumblatt, un des leaders de la majorité
anti-syrienne. Et le chef de la majorité, le sunnite Saad
Hariri, s’est dit prêt à rencontrer le dirigeant du
Hezbollah chiite, Hassan Nasrallah,
qui mène l’opposition soutenue
par Damas et Téhéran, en estimant qu’il « n’y avait d’autre
choix que le retour au dialogue ».
Selon un conseiller de M. Berri, ces contacts ont permis une
intervention massive de l’armée et le retour au calme à
Beyrouth, ville placée sous couvre-feu dans la nuit de jeudi
à vendredi. « Nous sommes à la croisée des chemins. Si les
partisans du pouvoir continuent à rejeter toute solution qui
convienne à toutes les parties, personne ne pourra arrêter
l’engrenage de la guerre civile », a averti ce conseiller
qui a requis l’anonymat. Cette éventualité est pourtant
écartée par Sami Salhab,
professeur de droit international, pour qui le Hezbollah
n’est pas prêt à une telle extrémité sans feu vert de
l’Iran, son principal soutien politique et financier. Car
l’issue de la crise dépendra pour partie des contacts
régionaux en cours, alors que l’Arabie saoudite, puissant
allié arabe du gouvernement Siniora,
poursuit ses concertations avec l’Iran.
La grève générale organisée le 23 janvier par l’opposition
pour réclamer la chute du gouvernement de Fouad
Siniora, un droit de veto au
cabinet et des élections anticipées a été émaillée de
batailles de rue meurtrières et a redessiné d’anciennes
lignes de front dans des quartiers chrétiens de Beyrouth.
Plus violentes encore, les émeutes qui ont opposé jeudi de
jeunes militants pro et antigouvernementaux dans le quartier
de l’Université arabe ont pris le visage de combats entre
sunnites et chiites. L’intensité des combats et les méthodes
utilisées ont semé la panique et réveillé le cauchemar de la
guerre civile (1975-90) : tireurs embusqués sur les toits,
hommes armés et masqués dressant des barrages et contrôlant
les identités, tirs d’armes à feu de part et d’autre. Ces
deux journées ont fait sept morts et environ 300 blessés
dans le pays.
Soutien financier massif
La persistance de la crise jette une ombre sur les résultats
positifs de la Conférence sur l’aide économique au Liban,
tenue jeudi dernier à Paris. M. Siniora
a en effet obtenu un soutien financier massif de 7,6
milliards de dollars, mais ces milliards promis par la
communauté internationale ne pourront contribuer
efficacement à soulager l’économie du Liban que si une
solution politique met fin à l’instabilité. « Le succès se
mesurera à la capacité du gouvernement d’adopter les
réformes, pas seulement de récolter de l’argent. Les
conditions politiques actuelles sont très difficiles et les
obstacles aux réformes très forts », a estimé Nabil
Shaaya, expert économique.
Le soutien financier au pays du Cèdre doit accompagner un
programme de réformes qui prévoit notamment une hausse de la
TVA et des privatisations dans les secteurs de l’électricité
et de la téléphonie mobile. Mais le blocage des institutions
rend impossible dans les conditions actuelles la mise en
œuvre de ces réformes. Le Liban, qui se remet difficilement
de la guerre de l’été dernier entre Israël et le parti
chiite du Hezbollah, est accablé par une dette publique de
41 milliards de dollars. Sur l’aide promise à Paris, 730
millions de dollars sont des dons et seulement 1,95 milliard
sera mis à disposition du gouvernement cette année.
« Encore faut-il maintenant que ces montants soient
effectivement déboursés, ce qui est loin d’être le cas vu la
situation actuelle », a prudemment commenté un diplomate
européen, sous couvert de l’anonymat. « Comment les
autorités libanaises vont-elles mettre en pratique leurs
réformes économiques dans les conditions actuelles ? »,
s’interroge aussi ce diplomate, en référence à la paralysie
du gouvernement Siniora. « Le
Hezbollah est déterminé à ne pas lâcher prise pour atteindre
ses objectifs et Siniora ne
semble pas prêt à faire des concessions de son côté ». Menée
par le Hezbollah chiite, l’opposition libanaise affiche sa
détermination à obtenir la chute du gouvernement
Siniora, la formation d’un
cabinet d’union nationale et la tenue de législatives
anticipées. Le Hezbollah a menacé le gouvernement
Siniora d’une nouvelle escalade.
« Que personne, au Liban ou à l’étranger, ne pense que
l’opposition va abandonner ses objectifs », a martelé cheikh
Nasrallah qui a accusé des «
personnalités » au sein du gouvernement de chercher à
provoquer un conflit entre sunnites et chiites au Liban.
La gigantesque dette publique du Liban a presque triplé en
dix ans pour atteindre 41 milliards de dollars fin 2006. La
guerre de l’été dernier entre Israël et le Hezbollah chiite
a dévasté les infrastructures du pays. Le premier ministre
libanais a clairement indiqué que son pays était incapable
de s’en sortir seul. La guerre et la crise politique ouverte
depuis l’assassinat en 2005 de l’ex-premier ministre Rafic
Hariri ont plongé le Liban dans une récession alors qu’il
s’attendait à une croissance de 6 % en 2006.
Hicham
Mourad