Al-Ahram Hebdo, Enquête | Petits arrangements avec les hommes
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 31 janvier au 6 février 2007, numéro 647

 

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Enquête

Polygamie. Plutôt vu d’un mauvais œil, le phénomène reste marginal en Egypte. Pourtant, un certain nombre de femmes acceptent, voire exigent de partager leur mari. Témoignages. 

Petits arrangements
avec les hommes
 

Selon une étude récente du PNUD (Programme des Nations-Unies pour le Développement), sur un échantillon représentatif de 1 000 femmes des divers gouvernorats d’Egypte et issues de différents niveaux sociaux, culturels et économiques, 10,6 % des Egyptiennes acceptent la polygamie (pour 17 % de la population totale de l’Egypte), contre 22 % au Maroc et 4 % au Liban. Pourquoi alors la femme égyptienne accepte-t-elle de partager son mari avec une autre ? Et comment vit-elle cette situation, rejetée par la majorité ? A ces questions existent autant de réponses que de cas.

Soheir habite une petite cahute située dans le bidonville Arbaa we nos près de Madinet Nasr, un quartier à l’est du Caire. Divorcée depuis une dizaine d’années et mère de trois enfants, elle explique que dans les quartiers populaires, l’homme représente une vraie protection. Mon premier mari nous a quittés pour rentrer dans son pays natal (le Soudan) après que l’union entre nos deux pays eut été annulée. « J’ai dû affronter la vie seule, alors que j’avais seulement 22 ans et trois enfants. Au début, on me considérait comme une proie facile, car j’étais à la fois pauvre et divorcée. Je devais redoubler d’efforts pour prouver que ce n’était pas le cas. Quand je sortais pour travailler afin de nourrir mes enfants, je voyais bien que même cela ne m’était pas permis, car il y a des restrictions sociales pour une femme seule. Par exemple, il m’était impossible de sortir tard le soir pour acheter le pain. La présence d’un homme dans ma vie est à la fois une garantie pour ma liberté et un moyen de partager mes problèmes ». Soheir explique comment elle a choisi de devenir une seconde épouse par pauvreté. Souvent, les jeunes hommes célibataires ou même divorcés préfèrent se marier avec une jeune fille sans expérience du mariage. « Pour moi, la seule façon de me sortir de cette impasse était de devenir une seconde épouse et de me contenter de vivre dans l’ombre. Il est le seul homme qui a accepté ma situation difficile ». 

Les classes moyennes aussi

Selon une étude effectuée par la chercheuse Nagwa Al-Fawwal, présidente du Centre national des recherches sociales, la polygamie a changé de camp social. Alors qu’elle était le monopole de la classe la plus aisée et cultivée, ce sont maintenant les ouvriers et les commerçants qui la considèrent comme un moyen de montrer leur richesse. Au contraire, au sein de la classe moyenne, ce phénomène est quasiment inexistant et même très mal vu. Cependant, certaines associations essaient aujourd’hui de revaloriser la polygamie auprès de la population égyptienne. Hayam Dorbek, une journaliste égyptienne et mère de deux enfants, est un exemple emblématique. Non voilée, habillée à l’occidentale, elle a une devise : « Une seule femme ne suffit pas ». Très prise par son travail et peu intéressée par les devoirs de maîtresse de maison, elle a réclamé dès 1998 que son mari choisisse une seconde épouse. « La polygamie permet aux femmes de se garder un espace de liberté », explique-t-elle pour justifier la création d’une association de défense de la polygamie appelée Tayssir (facilité).

Un avis partagé, pour d’autres raisons, par Howayda, professeure à l’université et dont le mari est « très borné d’esprit et autoritaire ». Elle estime qu’une autre femme lui permettrait de partager ce fardeau. « S’il va chez elle, je pourrais jouir de ma liberté au moins la moitié de la semaine.

Je pourrais respirer, loin de ses ordres insensés ». Howayda ne veut pas non plus réclamer le divorce : « En effet, si son mari est un mauvais partenaire, il est un excellent père. C’est pour le bien de mes enfants que je dois le supporter, mon mari. Mais la présence d’une autre femme pourrait équilibrer ma vie. Au moins s’il voyait d’autres femmes, il se rendrait peut-être compte de ma vraie valeur et des efforts que je fais pour lui ». 

Un droit absolu

Pour ces deux femmes, en dépit de leurs différences culturelles, la polygamie est une solution à leur problème. C’est ce qu’explique Nadia Radwane, professeure de sociologie à l’Université américaine. Selon elle, la polygamie ne peut pas être un choix pour la femme. « Aucune femme au monde n’accepterait de partager l’homme qu’elle aime avec une autre ». Pour elle, la polygamie naît souvent d’une interprétation erronée du Coran : à l’époque du prophète, elle était justifiée et encadrée. C’était un moyen diplomatique pour renforcer les relations entre les diverses tribus ou peuples qui se sont ensuite convertis à l’islam. Dans l’islam, l’homme choisit une autre femme seulement dans des cas précis et rares : si sa femme est malade, stérile, ou qu’ils ne peuvent plus vivre ensemble, mais qu’il ne souhaite pas abandonner à un statut précaire. « Aujourd’hui, le problème c’est que les femmes voient la polygamie comme un droit absolu de l’homme. Mais ce n’est pas du tout le cas dans le Coran. La polygamie n’est pas un divertissement pour l’homme ! ». D’ailleurs, si la première épouse refuse, elle a le droit de demander un divorce et de garder ses droits, même si avec le kholea (divorce à l’initiative de la femme), elle doit entre autres rembourser la dot à son ex-mari.

Sahar, 38 ans, est mère de deux enfants. Mariée à l’âge de 22 ans, elle confie qu’elle n’a jamais aimé son mari. Pourtant, il lui offre un cadre de vie qu’elle ne veut pas sacrifier. « Mes parents étaient divorcés, et j’ai souffert de ça. Ma mère travaillait beaucoup et n’avait pas le temps pour s’occuper de nous. Je refuse de faire la même chose avec mes enfants ». En revanche, Sahar comprend que son mari ait envie d’avoir une autre femme. « A son âge, il a envie de tomber amoureux, de faire de nouvelles expériences. Nous avons beaucoup changé depuis le mariage, et je ne m’opposerai pas s’il désire épouser une deuxième femme ». Sahar ne veut pas non plus que son statut de femme divorcée cause des problèmes à ses enfants. Le regard de la société a pesé sur elle dans son enfance. Elle a décidé de faire passer ses enfants avant tout, mais elle n’est pas résignée. C’est une femme qui prend soin d’elle, fait du sport et aime sortir avec ses amies.

 Remède contre l’adultère

Il faut donc sortir du cliché de la femme-victime, qui accepte la polygamie parce qu’elle ne peut pas faire autrement, et pour des raisons purement économiques. « Le droit à la polygamie est un droit pour les femmes autant que pour les hommes […] La polygamie est un remède contre l’immoralité et l’adultère qui dominent dans les sociétés occidentales », raconte Afaf Al-Sayed, auteure de romans et qui se proclame militante des droits des femmes. « Dans un pays tel que l’Egypte, divisé entre réformistes et conservateurs, la polygamie est un remède aux maux qui traversent la société arabe. Le mariage polygame a un effet positif sur la tendance des hommes à aller voir ailleurs. En outre, la polygamie permet de résoudre les problèmes des filles qui ne trouvent pas de maris et dont le nombre atteint aujourd’hui les 2 millions et demi », commente l’écrivaine, dont les propos ont provoqué une onde de choc chez de très nombreuses Egyptiennes qui récusent cette opinion.

Un avis qui transcende même les cultures, avec le cas de Françoise.

Cette jeune Française, mariée avec un homme d’affaires égyptien et qui vit en Egypte depuis plus de 15 ans, explique en effet : « La polygamie m’a longtemps empêchée de me convertir à l’islam. Pourtant, mon expérience de la vie de couple m’a prouvé le contraire. C’est vrai que dans les pays occidentaux, la polygamie est interdite. Mais quelles en sont les conséquences ? L’homme a en fait une ou plusieurs maîtresses. Cette situation est-elle plus respectable pour une femme qu’une relation assumée au grand jour qui garantit à la fois les droits de la femme et de ses enfants ? Je ne pense pas ».

Finalement, entre celles qui acceptent la polygamie comme un compromis social ou pour des raisons économiques, il y en a qui y voient simplement un moyen d’avoir une vie sexuelle plus équilibrée et épanouie. « Mon mari a des envies sexuelles hors norme, et je ne veux plus avoir à faire semblant de le satisfaire. Au lieu d’avoir des relations avec des prostituées qui risqueraient de lui transmettre une maladie comme le Sida, il vaut mieux qu’il prenne une deuxième épouse », conclut Rania d’un rire jaune.

Reste à savoir ce qu’en pensent les hommes. Osmane, époux de Sahar, nous demande : « Quel homme, ayant connu les affres du mariage, aurait le courage de récidiver ? ».

Dina Darwich
Laure Jouteau 

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La justification d’une seconde épouse par le mari paraît souvent évidente : il s’agit d’un droit octroyé par l’islam. Le daëya (prêcheur) Abdel-Métaal Salem Achour rappelle les règles régissant ce droit.

 « Une application très éloignée de ce que le Coran préconise »

 Al-Ahram Hebdo : On accuse souvent l’islam d’être une religion qui renie les droits de la femme, sous prétexte qu’elle a permis à l’homme de prendre plusieurs épouses, que répondez-vous à cela ?

Abdel-Métaal Salem Achour : En fait, l’islam n’a rien amené de nouveau, puisque la polygamie existait pour ainsi dire depuis toujours, bien avant l’apparition de cette religion. Tous les prophètes avaient plus d’une épouse. Il suffit de citer le prophète Soliman qui avait plus de 100 femmes. La situation était la même dans la péninsule arabique avant l’apparition de l’islam, où le nombre d’épouses était sans limites. Ce que l’islam a apporté de nouveau, c’est justement la limitation du nombre des femmes à quatre, ce qui n’existait pas auparavant.

— L’homme polygame en Egypte remplit-il les conditions énoncées par l’islam pour jouir de ce droit ?

— Le verset numéro 2 de la sourate Al-Nissaa (les femmes) mentionne ce droit, mais aussi met les restrictions qui lui sont liées. La justice entre les épouses est une chose primordiale, dont la réalisation est très difficile. C’est la raison pour laquelle le Coran précise bien que la personne qui éprouve des difficultés à établir cette justice doit se satisfaire d’une seule femme afin de ne pas usurper ce droit. Le prophète Mohamad lui-même, malgré son grand amour pour son épouse Aïcha, n’a jamais été injuste avec ses autres femmes. Lorsqu’il était malade et sur le point de mourir, il a demandé la permission à ses autres épouses avant d’aller se faire soigner chez elle.

Le problème est qu’en Egypte, l’application de la polygamie est souvent très éloignée de ce que le Coran préconise. Tout d’abord, les conditions économiques ne permettent pas à n’importe qui de se payer plus d’une maison. Or, c’est une condition très importante du second mariage. D’autre part, nous avons une vision très négative de la polygamie, car la culture de la justice entre les femmes nous fait cruellement défaut.

— La polygamie ne reste-t-elle pas un symbole de recul dans la plupart des pays développés ?

— Notre problème est que l’on considère souvent le monde occidental comme la référence absolue des droits de l’homme. Pourquoi l’Occident devrait-il nous enseigner, voire nous dicter les droits de l’homme, alors que dans certains pays développés, les Arabes et les musulmans sont exposés à toutes sortes de discriminations et vivent des situations aux antipodes des fameux droits de l’homme énoncés à satiété ? D’ailleurs, l’Occident ne cesse d’avancer des slogans sur l’importance du dialogue et de l’acceptation d’autrui, alors qu’il refuse de nous écouter pour connaître notre point de vue. Ils considèrent l’islam comme un symbole de recul et ne veulent pas arriver avec nous à écrire un texte commun qui prenne en considération les deux points de vue. A chaque société sa particularité.

Il est vrai que nous sommes encore en retard par rapport à l’Occident dans les domaines scientifiques, mais dans les relations humaines et le respect des individus, je ne pense pas que ce soit le cas. Il suffit de comparer le taux de suicide de nos sociétés. Il est beaucoup plus élevé dans les pays scandinaves ou au Japon que dans la plupart des pays musulmans.

— Pourquoi l’islam a-t-il légalisé la polygamie ?

— L’islam a beaucoup respecté la nature humaine et a tenté non pas d’éliminer les instincts humains, mais plutôt de les contrôler. En outre, c’est une religion qui essaie toujours de trouver des solutions pour que la vie des individus soit meilleure. Par exemple, si un homme est marié à une femme stérile et qu’il veut avoir des enfants, il peut se remarier sans répudier sa première épouse. De plus, il existe des cas où la femme est malade et ne peut pas gérer une maison ou avoir une vie sexuelle normale avec son mari. L’homme alors pourrait être tenté d’avoir des relations hors mariage. Dès lors, il vaut mieux qu’il se marie tout en gardant sa première épouse par « fidélité ». D’ailleurs, l’islam a octroyé à la femme le droit de divorce ou de kholea si elle n’accepte pas cette situation tout en garantissant ses droits ou ceux de ses enfants. L’islam a tout simplement voulu nous faciliter la vie. Car la femme a aussi le droit de recommencer sa vie et de prendre un autre époux.

— Certaines associations encouragent la polygamie pour réduire le nombre de vieilles filles dans notre société, où le mariage est la seule institution admise pour avoir une vie sexuelle ...

— Si l’on voit les choses d’une manière objective et non plus traditionnelle, l’on constate que la femme tire aussi profit de la polygamie. Il ne faut pas oublier que celle qui va être une deuxième épouse est aussi une femme, qui rêve à son tour d’avoir un partenaire, une maison et des enfants. Elle peut être une complice, voire une amie de la première épouse .

 




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