Iraq .
La fin du boycott du gouvernement par le chef chiite Moqtada
Sadr renforce le premier ministre Nouri Al-Maliki, en butte
aux critiques de Washington pour ses faibles résultats.
Sadr relâche la pression
Le
premier ministre iraqien Nouri Al-Maliki, contesté aussi
bien à l’intérieur que par son principal allié, les
Etats-Unis, a vu sa situation se renforcer dimanche par la
décision du chef radical chiite Moqtada Sadr de suspendre
son boycott du gouvernement. « Nous allons participer de
nouveau au processus politique », a déclaré un député
sadriste, Saleh Hassan Issa Al-Ogaïli, en expliquant que des
demandes formulées par son mouvement avaient été
satisfaites.
La décrispation politique fait suite à « un accord signé
avec le Parlement prévoyant la discussion d’un calendrier de
retrait des troupes américaines », a expliqué M. Al-Ogaïli,
sans en préciser les modalités. Une disposition qui risque
de rester lettre morte, le président George W. Bush assurant
lundi qu’il n’y avait pas de calendrier établi pour un
retrait des troupes américaines d’Iraq. M. Bush a ainsi pris
ses distances avec les informations sur un possible retrait
des forces américaines à partir de la fin de l’été prochain.
« Nous avons également demandé un calendrier pour la
formation des forces de sécurité iraqiennes et que le
gouvernement s’abstienne de renouveler le mandat des forces
d’occupation sans en référer au Parlement », a ajouté M.
Al-Ogaïli. Le président du Parlement, le sunnite Mahmoud
Al-Machhadani, qui a négocié avec le bloc Sadr son retour au
gouvernement, a confirmé cette décision lors d’une
conférence de presse. « Une commission de cinq membres,
représentant les différents blocs parlementaires, a négocié
avec le courant sadriste, et a présenté des recommandations
qui ont été acceptées », a-t-il dit, estimant que les
demandes du courant Sadr étaient « légitimes et servaient
l’intérêt national ».
Les partisans de Moqtada Sadr — qui détiennent 32 sièges sur
275 au Parlement et six ministères et secrétaires d’Etat sur
37 au gouvernement — boycottaient ces institutions depuis le
29 novembre, pour protester contre une rencontre entre M.
Maliki et le président américain George W. Bush. Leur retour
dans le jeu politique devrait conforter la position du
premier ministre, affaibli par son incapacité de juguler les
violences, qui ont fait plus de 34 000 morts en 2006, selon
l’Onu. Des représentants du courant Sadr ont participé à la
séance de dimanche au Parlement.
Les négociations pour obtenir le retour des radicaux chiites
au gouvernement butaient jusqu’alors sur la question d’un
calendrier de retrait des troupes américaines. On ignore
encore à quel niveau cette question sera débattue au
Parlement et si elle sera sanctionnée par un vote.
Accusés d’exactions
Adversaires résolus de l’occupation américaine de l’Iraq,
les élus sadristes s’étaient alliés en septembre 2006 avec
d’autres blocs parlementaires pour réclamer un calendrier de
retrait, dans un texte signé par 104 députés sunnites et
chiites. Aujourd’hui, « le groupe Sadr veut montrer qu’il
fait partie du processus politique et qu’il ne va pas
recourir à la violence, au moment où les forces iraqiennes
et américaines se sont fixé pour objectif de s’attaquer aux
milices », a estimé le député kurde Mahmoud Osmane. M.
Maliki s’apprête à lancer un plan de sécurité pour lutter
contre les violences à Bagdad et neutraliser les milices,
rendues responsables de la majorité des violences
confessionnelles.
Or Moqtada Sadr, qui dirige la plus importante d’entre
elles, l’armée du Mahdi, régulièrement accusée d’exactions
contre la communauté sunnite et d’attaques contre les forces
de la coalition, est dans le collimateur. Des dizaines de
miliciens ont été ainsi arrêtés récemment, alors que l’un de
ses porte-parole, Hadi Al-Darraji, accusé de diriger un
escadron de la mort, a été interpellé vendredi avec quatre
personnes par les forces spéciales de l’armée et leurs
conseillers américains à Bagdad. Cette opération visait,
selon l’armée américaine, « le chef d’un groupe armé
responsable de nombreux enlèvements, tortures et assassinats
de civils iraqiens ». Le gouvernement Maliki s’est engagé à
laisser les soldats américains et iraqiens poursuivre les
hors-la-loi quels qu’ils soient dans le cadre de la nouvelle
stratégie pour pacifier Bagdad.
La réintégration du courant Sadr au sein des institutions
iraqiennes vient à un point nommé pour le premier ministre
Maliki, critiqué aussi bien par des pays arabes voisins que
par son principal allié américain. La secrétaire d’Etat
américaine, Condoleezza Rice, avait estimé la semaine
dernière, lors d’une audition devant le Congrès, que le
gouvernement iraqien était « en sursis ». Critique rejetée
par M. Maliki pour qui Mme Rice fait le jeu des terroristes
par ses déclarations sur la fragilité du gouvernement
iraqien. Le premier ministre a assuré que de tels messages
renforçaient la position des terroristes en Iraq. « Je
voudrais recevoir un message fort de soutien des Etats-Unis
pour qu’on ne redonne pas confiance aux terroristes et
qu’ils pensent qu’ils pourraient avoir gagné », a-t-il
souligné. « Je crois, a-t-il poursuivi, que de telles
déclarations donnent une force morale aux terroristes, les
poussent à redoubler d’efforts ».
Le président Bush, défait par les Démocrates lors des
récentes élections aux Etats-Unis, n’a « jamais été aussi
faible qu’aujourd’hui », a affirmé jeudi M. Maliki. « Je
comprends que l’actuelle Administration américaine se trouve
en grave difficulté après la défaite électorale d’il y a
deux mois. Jamais comme aujourd’hui je n’ai senti la
faiblesse de George W. Bush », a déclaré le dirigeant
iraqien dans une interview accordée à plusieurs quotidiens,
dont le Corriere della Sera, le Times de Londres et le
Washington Post. « J’ai l’impression que ce sont eux à
Washington qui touchent à leur fin, et non nous ici à
Bagdad. Il me semble que Bush est en train de capituler sous
le poids des pressions internes. Peut-être qu’il a perdu le
contrôle de la situation », a-t-il ajouté. C’est la première
fois que le premier ministre iraqien attaque aussi durement
l’Administration américaine.
Ces propos interviennent dans le cadre d’un échange de
critiques entre M. Maliki et les responsables américains,
furieux par l’incapacité du chef du gouvernement iraqien à
juguler la violence. Au moins 74 personnes ont été tuées et
plus de 100 blessées lundi dans un double attentat à la
voiture piégée près d’un marché du centre de Bagdad.
L’Administration Bush n’a pas fait non plus mystère de son
inquiétude vis-à-vis des capacités du dirigeant chiite,
accusé de laxisme envers les milices chiites et incapable de
contrôler les services de sécurité infestés par ces
dernières, ainsi que par ses faibles résultats sur le plan
de la réconciliation interne.
Hicham
Mourad