Panne d’électricité
Sous les bombardements
Seul à la maison
Je tentais encore de décrire les demeures.
L’horizon se tordait sous les décombres,
Et la fumée, une morne prière :
Demeures à Beyrouth … d’autres à Bagdad
Le héraut de la mort est accablé, aussi bien
que l’aède.
Hier, je pleurais sur les ruines de mes aïeux,
aujourd’hui, je pleure sur celles de mes descendants.
Une main se tend par derrière,
Traverse quatorze siècles
Et tendrement me tapote l’épaule :
Ne crains rien, tu n’es pas seul ; tant que
nous sommes avec toi, tu ne le seras point !
Je me tournai … ils étaient tous là …
Ceux qui habitent les livres :
Imams, chameliers, chanteurs, poètes,
Alchimistes, médecins, astrologues
Et chevaux emplissant la maison, déferlant
dans la rue,
Se lançant loin dans la mer.
Avec eux à travers la chaîne satellite,
Je le regardai …
Le Commandeur des croyants, en turban noir,
Signe d’appartenance à la lignée d’Al-Hussein
ibn Ali ibn Abi-Talib.
Et puis, les Arabes, demandant vengeance,
portent le turban noir.
Il se voile la tête de nuit, et se lève de
bon matin,
Il me rappela
— et je l’avais oublié —
Que Dieu me chérissait.
Descendant du prophète, Ô Hassan !
De la famille qui face à l’univers pèse dans
la balance
Récompensé de bienfaits pour une nation
défaillante
Vous dîtes « Ne vous en faites pas ! Ce n’est
pas une défaillance !
Que l’aube se souvienne qu’elle est souffle !
Et la nuit qu’elle est quiétude !
Et l’âme qu’elle est chair !
Et le secret qu’il est révélation !
Et l’argile qu’elle est humaine !
Souvenance mêlée peut-être de chagrin
Que d’une joie elle aurait rêvé
Que la tristesse lui déplairait
Qu’elle ne désirerait l’existence de celui
Dont le souffle est la manne des ennemis.
Que combattante elle est intrépide
Que polémiste elle est subtile
C’est qu’en guerre, le cœur protège un homme
Comme ne le ferait aucun bouclier.
Successeur de Dieu sur terre ! En votre nom
ils ressuscitent,
Telles de nouvelles créatures jadis enterrées
Nous avons confié les plus précieux de nos
hommes au Commandeur
Celui à qui dans la détresse on peut
pleinement se fier
La main se tend vers le ciel,
Traversant quatorze siècles.
Et doucement, elle repousse la nuit,
Comme l’on repousse litham ou pansement.
Et la voici, une nuit sous une autre
Qu’elle repousse également.
Et ainsi de suite, une nuit après l’autre,
Comme si elle tournait les pages d’un livre.
Tamim Al-Barghouti
Né en Egypte en 1977, il est palestinien du
côté de son père, le poète Mourid Al-Barghouti, et égyptien du
côté de sa mère, l’écrivaine Radwa Achour. Après un diplôme de
sciences politiques à l’Université du Caire, il obtient un
doctorat à l’Université de Boston aux Etats-Unis. En 2003, il a
été expatrié en Jordanie pour avoir participé aux manifestations
contre l’invasion américaine de l’Iraq. Il travaille
actuellement au Soudan avec les Nations-Unies. Il s’est consacré
à la poésie dialectale, palestinienne comme dans son recueil
Meijana, aux éditions de la Maison palestinienne de la poésie,
en 1999, et égyptienne comme Manazer, Qassaëd bil amiya al-masriya
(Paysages, Poèmes en dialecte égyptien) en 2002, et Qalouli
betheb Masr qolt mech aref (On m’a demandé si j’aime l’Egypte,
j’ai dit je ne sais pas), en 2005, éditions Dar Al-Chourouq.
Dans le poème que nous publions, Commandeur des croyants, il
opte pour des vers écrits précieusement en arabe classique, en
hommage au Sayed Hassan Nasrallah.
Et chaque fois qu’elle en tourne une,
D’autres laissent transparaître certaines
paroles :
Ne voyez-vous pas la prédiction ?
Leurs armes s’effondrent,
Les nôtres s’élèvent.
Un lierre pousse sur le missile,
L’entoure et le garnit,
Puis fleurit.
Un garçon crie : « Dieu est le plus grand ! »
Et le toit d’Israël s’écroule.
Ils pénétrèrent dans les abris,
Comme de la poussière sous le tapis.
L’homme est né de poussière,
Mais sa branche est le ciel
Et ses fruits ses habitants.
Je regarde les chaînes satellites et me
souviens
Que Dieu, malgré tout, est une vérité
scientifique.
Panne d’électricité
Sous les bombardements
Je ne suis pas seul.
La nuit est aussi sombre que les dattes,
Chaque nuit est une datte.
Et la main continue à les cueillir,
Une datte après l’autre,
Une nuit après l’autre.
Entre moi et le paradis,
Il n’y a que ces dattes.
Une main se tend,
Traversant quatorze siècles.
Elle me salue,
Je lui jurai loyauté.
Je tente encore de décrire les demeures,
De transformer la rime vaincue
En une autre victorieuse :
Des demeures que le temps prise en joaillier,
Les malheurs, telles les autruches, en
décampent effrayés.
Demeures à la porte desquelles couche un
chiot,
Cajolé au matin par les nouveau-nés,
Ainsi que des nuages, tels les cerfs-volants
d’un enfant,
Qui en tire les fils pour les rapprocher et
les éloigner,
Nuages qui leur sont dévoués comme un pèlerin,
Se voyant de La Mecque arriver.
Sur leurs murs, chaque verset se fait graver,
Déjouant les complots dans la nuit profonde.
Autour d’elles, les chevaux affranchis se
rassemblent,
Sans brides, apprivoisés et impitoyables.
Des chevaux qui, par amour, obéirent à leurs
cavaliers,
N’ayant pas de commandeur jusqu’au jugement
dernier.
Ce ne sont pas des ruines, je ne suis pas
poète,
Mais je suis pour les miens diseur de vérité.
Je les vois tout près, entre elles et moi,
Il n’y a que le bombardement de cette nuit …
18/07/2006
Traduction d’Anas Aboul-Fotouh