Al-Ahram Hebdo, Opinion | Mohamed Salmawy
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 Semaine du 21 à 27 juin 2006, numéro 615

 

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Opinion

 La fille de la plage
Mohamed Salmawy

Il s’est rendu à la plage à Gaza et a jeté dans la mer l’appareil photo qu’il avait longtemps économisé pour posséder. Depuis qu’il l’avait acheté, il a pu jouir d’une certaine stabilité dans son métier de photographe. Il avait réussi de nombreuses prises de vues sensationnelles beaucoup plus que d’autres. Au point que les agences de presse l’appelaient lors d’un incident ou d’une opération kamikaze pour prendre des photos.

Il s’empressait de se rendre aussitôt sur les lieux et d’en revenir avec les plus importantes prises de vues susceptibles de devancer tous les autres photographes. Pour réaliser ce but, il ne ménageait aucun effort pour l’achat d’une caméra japonaise avec toutes ses économies.

Ce jour-là, une agence de presse de Beyrouth le contacte, lui demandant des photos sur un massacre qui se déroulait en ce moment sur la plage. Il n’en savait rien. Il régla son appareil, mais très vite, il découvrit des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants sur le sable. Ces gens-là visiblement étaient venus passer une agréable journée au bord de la mer avant d’être décimés par le feu des avions israéliens qui les ont bombardés de manière subite et pour une raison incompréhensible.

Les sables dorés de la plage avaient commencé à prendre la couleur rougeâtre à de nombreux endroits.

Il savait que les matchs de la Coupe du monde captaient actuellement l’attention de tous les médias, et que toutes les caméras s’y trouvaient. Mais parce qu’il était palestinien, il savait que les événements sanglants dans les territoires occupés ne s’arrêteront pas et que de nombreux incidents catastrophiques se dérouleront même durant les jours des matchs. Cependant, il ne s’attendait guère à témoigner d’un incident de cette ampleur, ni de cette atrocité.

Il prit alors des photos des cadavres qui baignaient dans leur sang. Ensuite, il prit une photo panoramique couvrant toute l’étendue de la plage couverte de cadavres.

Soudain, il entendit un cri de douleur, il se tourna vers l’origine du cri, et vit une fille sortir toute mouillée. Elle hurlait de toutes ses forces en recherchant sa famille qui se bronzait calmement au soleil au bord de la mer alors qu’elle était dans l’eau. Elle trouva ses parents et ses cinq frères et sœurs baignant dans une marée de sang.

Il braqua sur elle sa caméra comme s’il ajustait une mitraillette et se mit à prendre des photos coup sur coup. La fille s’était mise à genoux devant le cadavre de son père en hurlant : « Mon père ! Mon père ! ».

Il s’approcha et prit davantage de photos. Il avait dans l’esprit l’image de l’enfant Mohamad Al-Dorra devenu un symbole incarnant les souffrances de son peuple occupé. Il sentait alors qu’il prenait des photos de « la fille de la plage » qui pleurait avec détresse son père, qu’il avait découvert un nouveau symbole que les agences de presse de par le monde saisiraient au vol. Son cœur s’était mis à battre rapidement et les larmes lui vinrent aux yeux. Mais il se ressaisit et poursuivit sa mission, celle de prendre la photo de cette fille qui invoque le ciel en pleurant son père.

Graduellement, la plage fut peuplée et les ambulances arrivèrent pour transporter les blessés et les victimes. Il avait cependant obtenu ce qu’il désirait et rentra rapidement chez lui. Il connecta la caméra à son ordinateur et choisit les scènes les plus réussies et les envoya par courrier électronique à l’agence à Beyrouth. Le lendemain, ses photos faisaient la une de la plupart des journaux internationaux, et apparurent également sur les écrans des télévisions. Il se mit à les contempler encore une fois, comme s’il les voyait pour la première fois. Il remarqua que la fille lui demandait secours. En regardant de nouveau les photos, cette sensation s’empara de lui davantage à chaque fois qu’il fixait ses yeux. Il se demanda comment il n’avait pas remarqué son appel au secours et comment il n’avait pas accouru pour la secourir en l’éloignant de cette odieuse scène sanglante.

La fille accapara son esprit toute la journée, et il suivit ses nouvelles sur les diverses chaînes télévisées. Il su qu’elle s’appelait Hoda Ghalia et qu’elle était atteinte d’une crise nerveuse, se trouvant à l’hôpital à la suite de ce dont elle avait témoigné. A chaque fois qu’elle s’éveillait, elle appelait son père.

Il eut un fort sentiment de culpabilité. N’aurait-il pas pu alléger ses peines en l’éloignant de la scène du massacre atroce qui l’avait privée de toute sa famille pour la vie ? N’aurait-il pas mieux agi ainsi au lieu de la prendre en photo alors qu’elle était en train de hurler comme un animal blessé ? Comme il avait honte ! Une honte qui remplaça graduellement son sentiment de satisfaction qui s’était emparé de lui le lendemain, en voyant ses photos faisant la une de la presse internationale.

Il n’a pu s’empêcher de revenir sur le lieu du crime, mais toutes les traces avaient disparu et le sable doré étincelait sous les rayons du soleil estival. Cependant, en regardant la mer, il vit la couleur rouge sang. Il s’approcha du bord de l’eau et contempla l’horizon lointain. Il jeta à longueur de bras l’appareil à la mer, spontanément, sans réfléchir. Les vagues l’avalèrent aussitôt. A cet instant et seulement à cet instant, il commença à ressentir un certain apaisement .

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