Athlétisme . Le Marocain Hicham El Guerrouj, double champion olympique du demi-fond et l’homme le plus rapide au monde sur 1 500 mètres, a annoncé sa décision d’abandonner la compétition.

Le prince tire sa révérence

« Le moment où j’annonce mon retrait définitif et officiel est historique et difficile », déclare le Marocain Hicham el Guerrouj, double champion olympique 2004 (1 500 et 5 000 m) et recordman du monde du 1 500 m, avant de fondre en larmes, lundi 22 mai, lors d’une conférence de presse à Casablanca. A 32 ans, Hicham el Guerrouj, l’un des plus grands athlètes du demi-fond de tous les temps, a annoncé en sanglots à Casablanca sa retraite, après avoir accumulé médailles et titres pendant 19 ans. Dans la salle d’un grand hôtel, brisé par l’émotion qui ressemblait presque à celle d’un deuil, le champion a remercié tous ceux qui l’ont aidé et accompagné durant sa carrière. « Je termine officiellement ma carrière de 19 ans où nous avons vécu vous (Marocains) et moi des moments heureux. Je remercie ma famille, mon épouse, ma fille et Sa Majesté le roi », ajoute-t-il avec beaucoup d’émotion, sous les applaudissements nourris d’une salle archicomble. « Mes larmes d’aujourd’hui sont des larmes de joie et non de douleur. Je rentre dans un autre monde dont j’ignore l’horizon », renchérit le plus grand athlète de l’histoire du Maroc, avant d’avouer : « La décision de mettre fin à ma carrière me soulage car j’ai retrouvé mon sommeil il y a trois semaines ». Il a confié que depuis les Jeux Olympiques (JO) d’Athènes, en 2004, date à laquelle il a arrêté de participer à des meetings, son sommeil était perturbé. « Durant cette période, j’étais indécis, je ne savais pas s’il fallait toujours courir ou s’arrêter, maintenant c’est fait, je suis soulagé ».

La décision semblait pourtant inéluctable depuis le 28 août 2004. Ce jour-là, il avait décroché le titre olympique du 5 000 m devant l’Ethiopien Kenenisa Bekele, recordman du monde de la spécialité, après avoir remporté, quarante-huit heures plus tôt, la médaille d’or du 1 500 m. Ce doublé était inédit depuis celui du Finlandais Paavo Nurmi, en 1924, sur le stade olympique de Colombes (Hauts-de-Seine, France). En outre, Hicham el Guerrouj avait enfin conjuré le mauvais sort qui l’accablait sur les 1 500 m olympiques, alors qu’il exerçait sur la distance depuis huit ans une domination quasi sans partage. Aux Jeux d’Atlanta, en 1996, il avait chuté dans le dernier tour. Surentraîné, écrasé par l’atmosphère du stade et son statut de favori, il avait pris le départ du 1 500 m olympique de Sydney en 2000, les yeux remplis de larmes de trac, pour ne terminer que second.

« C’était devenu un complexe (l’absence de titre olympique) pour Hicham et pour nous », confessait son entraîneur Abdelkader Kada, après l’or du 1 500 m à Athènes, en 2004. Cramponné aux bons souvenirs qu’il avait de la capitale grecque — théâtre de son premier titre mondial en 1997 —, heureux père d’une fillette de 2 mois et demi et marié à la petite-fille d’un ancien premier ministre marocain, Hicham el Guerrouj avait surmonté de sérieux problèmes respiratoires au début de la saison 2004 pour enfin parachever sa quête sur le stade olympique d’Athènes, en août. Dans l’ivresse de la victoire, il promit d’ouvrir un deuxième chapitre à sa carrière sportive : une participation aux Championnats du monde de cross-country de mars 2005, auxquels il n’avait plus pris part depuis les années juniors, la conquête — pour août 2005 — de son 5e titre mondial d’affilée sur 1 500 m, ou encore le record du monde du 5 000 m de Kenenisa Bekele. Une année sabbatique était aussi prévue pour 2006, avant le 10 000 m olympique de Pékin, en 2008. Autant de projets sincères qui sont restés des vœux pieux. Empoisonné par un virus, par le doute, puis par des problèmes dorsaux, Hicham el Guerrouj n’a jamais effectué son retour. Il n’avait pas couru en compétition depuis son triomphe athénien, victime la saison dernière d’une infection virale. En mars dernier, il avait abandonné aux Championnats du monde en salle de Moscou à la suite de douleurs dorsales. « El Guerrouj n’a pas la forme physique ou la force de s’entraîner à un tel niveau de compétition et gagner. Il devait faire ses adieux à la piste », a expliqué son entraîneur, Abdelkader Kada.

Une légende vivante

Malgré son absence de la scène internationale, Hicham reste le meilleur athlète. Pour Lamine Diack, président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), « Hicham est une légende vivante de notre discipline ». « Il a donné de l’éclat au monde de l’athlétisme avec ses excellentes performances, impressionné par l’élégance de sa façon de courir et soulevé l’admiration pour sa volonté de toujours vouloir repousser les frontières de ses propres limites », ajoute-t-il. « Mais ce dont je veux me souvenir de sa carrière exemplaire, ce ne sont pas seulement ses records à répétition, ses records du monde et autres récompenses bien méritées, mais par-dessus tout sa générosité et sa gentillesse en tant qu’être humain », conclut le patron de l’athlétisme mondial.

Les spécialistes n’hésitent pas à le considérer comme le meilleur athlète au monde dans l’histoire de sa spécialité. Ses titres en demi-fond ne se comptent plus, avec des records du monde qui semblent intouchables. Et ce, depuis qu’il a volé la vedette à l’Algérien Morceli en finale du Grand Prix de l’IAAF en 1996 à Milan (Italie), se classant dans le gotha de l’athlétisme mondial du XXe siècle. En effet, Hicham el Guerrouj est le seul athlète au monde à être détenteur de cinq records du monde : 1 500 m, Mile et 2 000 en plein air ; 1 500 m et Mile en salle. Il compte également à son actif quatre titres mondiaux sur 1 500 m Outdoor, deux autres Indoor et un sur le 3 000 m.

Dès ses débuts, le champion se distinguait par une vitesse et une accélération extraordinaires. Sa toute première consécration remonte à 1992, aux Championnats du monde juniors à Séoul, où il avait obtenu le bronze au 5 000 m avant de faire sensation aux Mondiaux de Götborg 1995 en décrochant la médaille d’argent de cette épreuve, à l’âge de 20 ans, ce qui faisait de lui le plus jeune athlète auteur d’une telle performance. En 1997, il avait remporté le premier de ses quatre titres mondiaux sur 1 500 m, également à Athènes, en mettant un terme au règne de six ans de son rival algérien Noureddine Morceli.

L’année 1998, date de son premier record du monde, restera très importante dans la carrière d’El Guerrouj. Le 14 juillet 1998, à Rome, il pulvérise d’une seconde (3’26’’00) le record du monde du 1 500 m qui était détenu par Morceli. Donc, après s’être illustré sur ses distances privilégiées (1 500, Mile et 2 000), Hicham a commencé en 1999 à disputer le 5 000 m, épreuve demandant plus d’endurance. Après avoir effectué quelques essais en l’an 2000, il avait annoncé ses ambitions de passer sur 5 000, à l’issue des JO de Sydney, pour ensuite renoncer à sa décision. Mais depuis 2001, il s’est essayé plusieurs fois au 5 000. Aux Championnats du monde de Paris en 2003, il prouve qu’il est capable de réaliser de bonnes performances sur la distance, en remportant la médaille d’argent. Un bon signe avant son sacre aux JO d’Athènes.

Issu d’une fratrie de 8 enfants, « Hicham de Berkane », la capitale des clémentines, est en tout cas devenu, grâce à ses performances athlétiques, un familier de la cour royale marocaine et un véritable ambassadeur de son pays. Il a désormais tout le temps pour se consacrer à des tâches diplomatiques.

Il a commencé sa nouvelle vie, lors de la conférence de presse, en lançant un appel d’espoir aux jeunes Marocains. Hicham les a priés de s’armer de volonté. « Je dis à la jeunesse marocaine que tout est possible, le sport est une source d’espoir. Il faut avoir de la volonté car le sport est noble ». Il a rassuré cette jeunesse qu’elle pourrait compter sur son expérience. « Je voudrais transmettre tout ce que j’ai appris afin de promouvoir l’athlétisme », a-t-il affirmé.

Hicham el Guerrouj préside actuellement la commission marocaine des athlètes du Comité national olympique. Il est également membre du Comité International Olympique (CIO) et membre de la commdes athlètes de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Le président de l’IAAF, le Sénégalais Lamine Diack, s’est joint à ces marques de gratitude en demandant à El Guerrouj d’intégrer le groupe des ambassadeurs de la Fédération internationale pour faire bénéficier des générations futures d’athlètes de son expérience et de sa sagesse.

Doaa Badr