Al-Ahram Hebdo, Visages |Marcel Khalifé, Un guerrier de la lumière
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 3 au 9 mai 2006, numéro 608

 

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Visages
L’interprète-compositeur libanais Marcel Khalifé est l’âme d’une époque. Il chante le pain, les roses, l’amour et les fusils, pour un monde meilleur, plein de promesses. Une idole qui a animé deux concerts au Caire, dans le cadre du Festival de la fondation Ressource culturelle.

Un guerrier de la lumière

On se passe le mot, et le vétéran n’est plus seul. L’homme sur scène mue l’anarchie en recueillement ou enthousiasme, suivant le cas. Le public immense est prêt à répéter derrière lui, jusqu’à l’aube, des paroles de chansons qu’il connaît par cœur. Et Marcel Khalifé ne semble pas sur terre ; il continue à fixer un point invisible que lui seul voit, les yeux fermés. La musique qu’il a composée en solitaire se transforme en un bateau pour faire circuler les âmes. Une communion d’idées et de sentiments, faisant ressusciter tous les rêves. Des rêves qui sont parfois étouffés ou inhibés, comme il dit très souvent. Car il lui incombe d’exprimer la volonté et les désirs d’autrui, de raconter son histoire en même temps que les leurs. C’est soi-disant un guerrier de la lumière comme décrit par l’écrivain brésilien Paolo Coelho. « Qu’est-ce qu’un guerrier de la lumière ?

– C’est celui qui est capable de comprendre le miracle de la vie, de lutter jusqu’au bout pour ce en quoi il croit, et — alors — d’entendre les cloches que la mer fait retentir dans ses profondeurs » (Manuel du guerrier de la lumière, Editions Anne Carrière, 1999). La mer ? Les cloches ? Est-ce un jeu fortuit du hasard ? Marcel Khalifé est ce petit-fils de pêcheurs. A Amchit (village côtier du nord de Beyrouth), il accompagnait sa mère à l’église pour aller à la rencontre de toutes ces belles voix psalmodiant les cantiques. Le chant des choristes demeure en sa mémoire mêlé à l’appel du muezzin d’à côté, invitant la population à la prière. De même, les chants des tsiganes, de passage, et ceux de son grand-père — pêcheur et flûtiste — ne l’abandonnent guère. Ces souvenirs sont souvent repris par la presse. Khalifé se lasse de répéter la même chose. Mais toujours il trouve quelque chose à ajouter à propos de sa ville, avec laquelle il entretient un rapport particulier. C’est là qu’il s‘est épris d’une jeune fille de sa classe et a commencé à sentir qu’ils sont guettés par les parents, car appartenant à deux confessions différentes. C’est là qu’il revient de temps à autre, après avoir restauré son ancienne demeure, pour chercher refuge et prendre l’air. Et c’est là qu’il a redécouvert les vers du Palestinien Mahmoud Darwich, son complice dont les paroles ne cessent de l’inspirer. « Je me suis isolé dans ma maison à Amchit, durant la guerre civile libanaise, pendant plus d’un mois, refusant la crispation des habitants. J’avais pour seuls compagnons les recueils de Mahmoud Darwich et mon oud (luth oriental). C’est ainsi que je me suis mis à composer ses poèmes ». Ainsi sont nées des chansons qui ont défrayé la chronique, telles Ahmad Al-Arabi, Rita, Passeport, Ahennou ila khobz oumi (J’ai la nostalgie du pain de ma mère) …

Pour certains, Khalifé est considéré comme le chantre de la cause palestinienne, une cause qu’il a épousée en faisant son petit bonhomme de chemin vers le Conservatoire à Beyrouth. En route, il voyait la misère des camps de réfugiés palestiniens et a cherché à comprendre progressivement les raisons de leur détresse. « On t’aime beaucoup », lui lancent les Palestiniens rencontrés par-ci ou par-là. La séance des photos-souvenirs se fait machinalement. Khalifé en a l’habitude. Impossible de se balader en ville ou de traîner dans un café, n’importe où dans le monde arabe. Car étant souvent intercepté. Un guerrier de la lumière, d’accord. Mais aussi une icône culturelle, même s’il se proclame citoyen ordinaire. Et cela lui pèse des fois, partant à la recherche d’une petite rencontre avec soi-même. Il s’interroge, continue de chercher un sens. Et déteste arriver à un point de certitude, un point mort. « Le vrai croyant doit avoir cette quête permanente. Il n’est pas censé partir d’une certitude ». Et d’ajouter : « Il m’arrive de composer une œuvre et puis de sentir que je n’en suis pas sûr. Ce doute m’alimente en révolte pour pouvoir continuer ».

Ce grand voyageur (au propre comme au figuré), qui vit carrément en avion tellement il a la bougeotte, a besoin de repères. Ceux-ci peuvent se concrétiser en lieux ou en personnages. Quelques vieilles personnes, « gardiens des lieux », qui ont connu ses parents, lui rappellent le bon vieux temps et ses amis d’antan, il continue de les voir. C’est d’ailleurs le même groupe qui l’a aidé autrefois à réaliser son premier enregistrement en studio et à en payer les frais.

D’un air de missionnaire fatigué, il indique : « C’est important de garder en soi le souvenir intact d’un endroit. Je ressuscite ma ville en d’autres villes. L’homme a toujours besoin d’un point de départ, auquel il retourne de temps en temps pour aller ailleurs ». L’odeur de l’herbe ou celle de la terre mouillée, après la pluie à Amchit, est évoquée sur un ton qui frise la nostalgie. Par contre, il se rend parfaitement compte que rien n’est plus pareil. La constance est une variable de la vie. « Tout change. Moi-même j’ai changé. De retour à mon village après une période d’absence, je sentais que la place, les rues étaient plus étriquées ». Et de poursuivre : « Il y a des choses qui se brisent, qui ne sont plus pareilles. Après la mort de ma mère, j’ai passé 4 ans d’hallucinations. Je ne parvenais pas à croire qu’elle était morte et l’adolescent que j’étais a mis du temps pour comprendre cette disparition précoce et éternelle. Mais avec le temps, j’ai pu la ressusciter en moi. Je la vois, lui parle et l’appelle. Chacun crée ses états-refuges ». Cette mère, tant regrettée, il a essayé de la retrouver chez toutes les femmes qu’il a rencontrées, sa vie durant. Parfois, il nouait avec elles des rapports d’amitié, d’emballement, d’amour ou de passion. Et tentait, par ailleurs, de cultiver en lui intelligence et sensibilité féminines. « Chacun d’entre nous a une part féminine et une autre masculine. A l’intérieur de moi, il y a le conflit habituel entre ange et démon. Je suis un homme à paradoxes : fort et faible, qui recherche la joie mais trouve en le chagrin la sagesse requise. J’aime, je résiste, je me soûle, je m’amuse … Tout y est dans ma musique : les femmes, la danse, la résistance … Je suis un Gémeaux ».

Une part de folie qui rend la vie plus belle, plus sollicitée. Sous une grêle de balles, il sortait durant la guerre civile, pour chanter avec les membres de son ensemble Mayadine (Places publiques), fondé en 1976. L’idée était de défier la mort en chantant, sachant qu’à tout moment il pourrait être traversé par une balle perdue. Le confessionnalisme qui sépare, il s’en tape. C’est ce qui l’avait obligé à « s’exiler » à l’ouest de Beyrouth durant la guerre civile. « Au début de la guerre, j’ai vu des combattants tirer un cadavre, allongé par terre, attaché à une voiture. Les os, la chair, se frottaient contre le sol. L’atrocité de la scène a provoqué, chez moi, une rupture avec là où je vivais. J’ai quitté Amchit, dont les habitants n’arrêtaient pas de critiquer mon père à cause de mes positions politiques », raconte Khalifé dont la musique et les chansons engagées se prononcent contre le confessionnalisme, pour la liberté et la démocratie. « J’aime laisser les fenêtres ouvertes », dit-il. Ou encore : « Je me sens comme un oiseau, capable de traverser la terre en deux jours ». Ces formules assassines et son charisme expriment des centaines de milliers d’hommes. Mais cela n’a empêché qu’en octobre 1999, le chanteur-compositeur a été poursuivi en justice pour avoir mis en musique et chanté un texte de Mahmoud Darwich, dans lequel figure un verset du Coran. Il livre combat, plaide sa cause et est acquitté de ses charges. « Nous vivons une réalité sombre et pénible, mais il ne faut pas se résigner. On n’a plus rien à perdre ». Le musicien qui a enflammé plusieurs jeunes pour en faire des « derviches de la Palestine », selon les mots de l’un de ses fans, ne veut pas abdiquer. Il veut poursuivre son projet musical novateur et authentique, même si un brin d’angoissele trahit, des fois. Il n’est plus invité à jouer le même rôle tenu auparavant au sein de la gauche nationaliste arabe, mais sait qu’il a quelque chose à faire face aux arts de pacotille, diffusés à grande échelle. « Ça sent l’argent du pétrole ». Et d’ajouter : « Ceux qui nous gouvernent viennent du ciel pour ne plus jamais bouger ».

Avec l’âge, il comprend que le monde est de deux sortes : celui dont nous rêvons et celui qui est réel, et qu’il n’est pas si facile de faire changer les choses. « On est déçu et l’on se dit peut-être c’est ainsi qu’est le monde réellement ». Sa musique devient encore plus mélancolique, à portée politique moins directe. Ses mouwachahates (forme andalouse) oscillent entre passion et nostalgie. Accompagné souvent de ses deux fils, Rami et Bachar, au piano et aux percussions, il se fait entourer de formation à géométrie assez occidentale. Le public se presse toujours devant les portes des théâtres, et Khalifé écrit de la musique, des livres et des communiqués. « L’improvisé s’en va, seul l’écrit perdure », dit le chanteur-compositeur qui rêve encore de partage et de valeurs communes .

Dalia Chams

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Jalons

1950 : Naissance à Amchit (au Mont-Liban).

1970-1975 : Etudes et enseignement au Conservatoire national de Beyrouth.

1972 : Formation d’un premier groupe musical à Amchit.

1974 : Première composition de musique de spectacles pour le ballet Caracalla.

1976 : Fondation de l’ensemble Mayadine.

1982 : Ecriture de livres musicaux.

2004 : Dernier album Caresse.

2005 : Artiste de la paix, par l’Unesco.

2006 : Nouvel album Takassim, à paraître (duo luth-contrebasse).

 

 




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