Mieux vaut tard que jamais. Cependant, la
déclaration du ministre de l’Agriculture Amin Abaza d’avril
dernier dans la presse sur les déchets agricoles n’en reste pas
moins étonnante. Selon lui, l’Egypte souffrirait en effet du
problème
des déchets en général et ceux résultant de l’activité agricole
en particulier. Et cela depuis les années 1980 ! C’est pourquoi,
a-t-il poursuivi, son ministère met actuellement en place une
stratégie de gestion des déchets agricoles. Elle consistera en
des mécanismes précis visant à recycler tous les déchets
résultant des différentes récoltes agricoles. Les engrais
organiques, les fourrages et bien d’autres composants résultant
du recyclage seront ensuite utilisés pour fertiliser les sols et
alimenter les élevages.
Sachant que le brûlis des déchets agricoles
sont une cause essentielle du nuage noir au-dessus du Caire
entre septembre et novembre de chaque année, cette déclaration
suscite une question importante : Pourquoi l’Egypte n’a-t-elle
pas encore mis en place de politique pour limiter les dégâts de
ces déchets agricoles sur l’environnement et en tirer profit ?
Car il y a urgence. Tout d’abord, les déchets agricoles en
Egypte consistent en des déchets botaniques et animaux, dont le
volume s’élève à environ 45 millions de tonnes par an. 30
millions de tonnes constituent des déchets botaniques, selon les
sources de l’Agence Egyptienne pour les Affaires de
l’Environnement (AEAE). Ces derniers comprennent environ dix
espèces, provenant des différentes récoltes agricoles. Mais la
paille de riz présente un vrai problème. Et ce, à cause des
importantes superficies de culture de riz dont résultent environ
3,5 millions de tonnes de paille par an, brûlées pendant les
mois de septembre, d’octobre et de novembre. Autrement dit, la
saison du nuage noir au-dessus du Caire. « Le paysan se trouve
en fait coincé pendant ces trois mois. Il doit se débarrasser de
la paille pour procéder à une autre culture. Ce qui le pousse à
brûler rapidement ce genre de déchet. Le manque de coordination
entre les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement est
flagrant sur cette question. Le premier condamne le paysan qui
procède au stockage de la paille, à une amende de 10 000 L.E. et
à une peine de prison de trois ans. Le second le condamne à une
amende de 10 000 L.E. s’il la brûle », explique Essam Nada,
responsable des déchets au Bureau Arabe pour la Jeunesse et
l’Environnement (BAJE).
D’un autre côté, les efforts du gouvernement
pour la gestion des déchets agricoles sont minimes. Il n’existe
par exemple dans les villages aucun centre de l’environnement à
l’instar des centres sanitaires. Un tel centre, proche des
champs, pourrait constituer le lieu où les paysans se
débarrasseraient des déchets agricoles à moindres frais. « Il
nous manque la gestion complémentaire dans ce secteur de déchets.
Il nous manque également une coordination entre les différents
ministères concernés. Chaque ministère travaille en fait à huis
clos », assure Chaalane Abdel-Hamid Chaalane, ancien directeur
de l’Institut de recherches du sol et de l’eau, dépendant du
Centre de recherches agricoles.
Le problème résulte également du manque de
compresseurs de déchets agricoles. Selon les derniers chiffres
publiés par le ministère de l’Environnement, 294 compresseurs
sont à la disposition des paysans. Un nombre insuffisant. « En
conséquence, le paysan se trouve obligé d’attendre son tour.
Pire encore, l’utilisation des compresseurs n’est pas gratuite.
La compression de la paille résultant d’un feddan de riz coûte
au paysan environ 200 L.E. », assure Rachid Ghobachi, paysan.
De plus, les ministères concernés conseillent
aux paysans de construire des silos afin de conserver les
déchets agricoles pendant un certain temps jusqu’à fermentation,
et ensuite de les utiliser comme fourrages. « Mais ces silos
exigent un large espace pour leur construction et une grosse
somme d’argent. Les paysans qui peuvent s’en équiper ne sont pas
nombreux », explique Essam Al-Gamal, paysan résidant dans le
gouvernorat de Qalioubiya. C’est la raison pour laquelle des
Organisations Non Gouvernementales (ONG) interviennent depuis
2004 pour aider à résoudre le problème du manque de moyens et
d’équipements. Pour ce faire, des projets ont été lancés avec le
Fonds Mondial de l’Environnement (FME). « En coopération avec
cette instance internationale, nous avons mené, en 2004, un
projet pour les déchets agricoles dans trois gouvernorats
principaux, à savoir, Qalioubiya, Daqahliya et Charqiya. Nous
sommes actuellement dans la deuxième phase qui rassemble environ
32 ONG à Daqahliya et 15 à Charqiya. Leur travail consiste à
obtenir un don d’environ 4 000-5 000 dollars pour former les
paysans au rassemblage des déchets, à leur recyclage ou à leur
transformation en compost ou engrais mixte dans des silos »,
souligne Samir Al-Chimi, conseiller auprès du FME pour le projet
des déchets agricoles tenu avec le BAJE.
Economies considérables
Malgré ces efforts, une autre question se
pose : pourquoi la création d’une industrie de base pour les
déchets et notamment ceux résultant des activités agricoles
est-elle freinée ? Le volume énorme des déchets agricoles
produits par l’Egypte nécessite pourtant l’existence d’une
industrie afin de tirer un profit maximum. « Selon les études
économiques soumises au Conseil des ministres depuis 1997, les
ordures ménagères au Caire nécessitent à elles seules la
construction d’environ 50 usines de recyclage ayant chacune une
capacité de recycler 500 tonnes d’ordures par jour. Bien entendu,
si nous attendons les municipalités pour relever ce défi, étant
donné leur budget, rien ne sera réalisé », affirme Salah Youssef,
directeur du département des sols et de l’eau, au sein du Centre
de Recherches du Désert (CRD), relevant du ministère de
l’Agriculture. Il explique qu’en Allemagne, par exemple, il
existe 20-25 usines destinées au traitement de différents types
de déchets.
En Egypte, une industrie pareille pourrait
donner des produits comme les engrais organiques qui
remplaceront les pesticides chimiques utilisés. Il suffit de
savoir que « les millions de tonnes de déchets déversés par an
en Egypte peuvent réaliser un investissement de 13-15 milliards
de L.E., soit 7 % du budget annuel de l’Etat », assure Youssef.
De plus, en Egypte, les engrais chimiques sont subventionnés. Et
les paysans ne sont pas les seuls à en profiter. Il existe bien
d’autres bénéficiaires qui exportent ces engrais subventionnés.
Ces derniers sont réimportés sous d’autres appellations. Affaire
qui coûte à l’Etat environ 6-7 milliards de L.E. par an, selon
les rapports faits par le Centre égyptien des études économiques.
« Il s’agit en fait d’une vraie mafia des engrais chimiques qui
entrave la création d’une telle industrie de déchets en Egypte
», affirme Youssef. Et d’ajouter : « Si un seul investisseur se
lance dans ce domaine, petit à petit d’autres hommes d’affaires
prendront l’initiative et nous aurons en Egypte une vraie
industrie qui nous aide à résoudre plusieurs problèmes ».
Reste à dire que le ministère de
l’Agriculture a pensé récemment à résoudre le problème de la
paille de riz en diminuant l’espace cultivé en riz. Il a déjà
décidé d’interdire la culture de riz à Qalioubiya, dans la
banlieue du Caire. Décision prise pour diminuer la pollution
causée par le brûlis de paille ainsi que pour diminuer la
quantité d’eau utilisée dans l’agriculture. « Le riz et la canne
à sucre utilisent environ 30 % de l’eau utilisée pour
l’agriculture en Egypte », assure Samer Al-Moufti, ancien
directeur général du CRD. Mais la culture du riz permet aussi de
réduire le taux de salinité et celui des résidus pesticides
chimiques. Cette culture est donc essentielle. Sinon « dans un
an ou deux, rien ne pourra plus être cultivé sur le sol de ce
gouvernorat. Le paysan n’aura d’autre solution que de cultiver
le riz mé l’interdiction. Qui nourrira ses enfants ?
Certainement pas le gouvernement ! », conclut Hassan Saoudi,
paysan de Qalioubiya.
Racha Hanafi