Al-Ahram Hebdo, Enquête | Les bahaïs sortent de l’ombre
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 24 au 30 mai 2006, numéro 611

 

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Enquête

 Religion. Les bahaïs,communauté de 10 000 personnes, ont obtenu le droit par un tribunal de première instance d’inscrire leur confession sur la carte d’identité. Mais la décision, qui a soulevé un vif débat, a été suspendue par la Haute Cour administrative. Enquête.

Les bahaïs sortent de l’ombre

« Nous n’avons pas d’autre option que de choisir entre notre patrie ou notre religion. Etre privé de notre citoyenneté ou oublier notre culte et nous insérer dans l’une des trois grandes religions monothéistes reconnues par la loi pour avoir les papiers qui prouvent notre identité égyptienne », explique Raouf Halim, dentiste, de confession bahaïe.

Dans leur dernière plainte présentée au Réseau arabe pour les droits de l’homme, les bahaïs ont signalé être une minorité qui n’a pas de papiers d’identité. Et donc, ils ne peuvent, en étant bahaïs dans leur pays, enregistrer leurs contrats de mariage, avoir des passeports ou retirer des actes de naissance ou certificats de décès. Aussi, ils ne bénéficient ni de pension, ni de retraite, ni de prise en charge dans les hôpitaux publics, etc. Pour acquérir tous ces droits, ils doivent s’inscrire sous une autre religion, ce qui leur est insupportable et ce qu’ils considèrent comme étant malhonnête. « Nous sommes privés de nos droits les plus élémentaires alors que nous tenons à respecter la loi. L’injustice dans les organismes administratifs est flagrante, ils nous obligent à cacher notre religion », poursuit Abdel-Bahaa, bahaï de 45 ans.

Un débat houleux s’est engagé dans les médias imposant l’ouverture du dossier des bahaïs, des laissés-pour-compte depuis 1960. La polémique a commencé après le verdict prononcé par le tribunal administratif de première instance d’Alexandrie qui a répondu favorablement à une revendication de longue date. En effet, depuis des décennies, la communauté bahaïe égyptienne ne cesse de revendiquer son droit d’afficher sa religion ou de l’inscrire sur la carte d’identité. Mais le ministère de l’Intérieur a refusé et les a obligés à mentionner musulman ou chrétien ou laisser la case vide. Aujourd’hui, cette communauté, dont le nombre atteint 10 000 personnes en Egypte, revendique ses droits à la citoyenneté. Ce n’est pas la première fois qu’une telle polémique se déclenche en Egypte. En 1910, l’écrivain Mohamad Fadel a écrit deux articles sous le titre Gabriel descend en Egypte et dans lesquels il a abordé le bahaïsme comme nouvelle religion en Egypte. A l’époque, l’information avait aussi provoqué des remous. Cependant, les bahaïs ont continué à vivre leur religion et pratiquer ses rituels jusqu’en 1960, lorsque le président Gamal Abdel-Nasser donna l’ordre de fermer les centres et al-mahafel (lieu de rassemblement des adeptes) en Egypte. Ceci est arrivé suite à un procès intenté contre un groupe d’Egyptiens accusés de répandre le bahaïsme en Egypte. Le dossier est ouvert de nouveau dans les années 1980, après l’attentat du président Anouar Sadate, lorsque la Sûreté de l’Etat a poursuivi les mouvements religieux actifs de cette époque. « J’ai été arrêtée en 1985 et accusée de mépris des religions, parce que je suis une bahaïe. Mais plus tard, j’ai été acquittée. En fait, ce qui me dérange le plus, c’est que la société égyptienne nous rejette et nous accuse de former un réseau d’espionnage et même de prostitution, informations données par la presse à sensation. Avant de juger une religion, ne faut-il pas d’abord la connaître comme il le faut ? », s’interroge Wafaa Halim, femme d’affaires bahaïe.

Les détracteurs accusent

En effet, un avis religieux exprimé par le Conseil des recherches islamiques d’Al-Azhar a considéré le bahaïsme comme une tendance qui contredit l’islam et ses adeptes, des apostats. Selon cheikh Abdallah Sammak, l’islam ne reconnaît que les religions célestes. Cette religion prétendue s’inspire des rituels de l’islam et du Coran mais en change l’interprétation et la pratique. Ils prient différemment, jeûnent différemment, leur lieu de pèlerinage est Akka, en Palestine, et bien qu’ils s’inspirent de certains versets du Coran, leur livre sacré s’appelle Al-Aqdass et ne croient en aucun prophète (voir encadré). « Le bahaïsme représente une menace pour l’islam car les adeptes de cette religion ne se contentent pas seulement de pratiquer leur rite, mais tentent également de semer des idées destructrices parmi les jeunes ».

Intellectuels, religieux et hommes de la rue, tout le monde en parle en ce moment. « Je pense que le problème n’est qu’un nouveau moyen de pression étranger pour plus d’ingérence dans les affaires égyptiennes. Ici, le nombre d’homosexuels dépasse celui des bahaïs cependant, pourquoi eux aussi ne revendiquent-ils pas de droits ? La raison est claire. Parce qu’ils n’ont pas un lobby puissant qui défende leurs intérêts », explique Fahmi Howeidi, écrivain et intellectuel de tendance islamique. Il poursuit que ces gens ont tout à fait le droit d’adopter les idées qu’ils veulent. Mais le problème est qu’ils ne sont pas autorisés à revendiquer leurs droits juridiques en tant que tels car l’Etat est en mesure d’interdire certains préceptes représentant une menace pour l’ordre. Mohamad, activiste des droits de l’homme, pense que puisque ces bahaïs existent, il n’est pas logique qu’ils ne bénéficient pas de tous leurs droits. « Puisque la Constitution stipule que la liberté des cultes est un droit garanti à tout citoyen sans aucune discrimination de sexe ou de religion. C’est un citoyen égyptien comme les autres », commente-t-il.

D’après certains cheikhs, cette tendance n’est qu’un complot extérieur mené contre l’islam. « Comment expliquez-vous alors ce grand soutien accordé de la part des Etats-Unis et d’Israël aux bahaïs ? », disent-ils. Mamdouh Ismaïl, avocat et écrivain, affirme que les bahaïs d’Egypte ont reçu une aide d’un million de dollars des Etats-Unis. « Pourquoi donc ce pays impérialiste va-t-il dépenser une telle somme sans rien attendre en retour ? », s’interroge un autre intellectuel qui a requis l’anonymat. Il confie que les bahaïs ont tenté de l’endoctriner. Selon l’écrivain Ragab Al-Banna, le bahaïsme a toujours été soutenu par les pays qui montaient des complots de type colonial, soutenu aussi par les associations juives sionistes et même par les Britanniques, qui en ont profité pour lutter contre les Ottomans. « Donner des droits à ces citoyens signifie donc ouvrir les portes de l’enfer en Egypte et donner la chance à des gens accusés de prosélytisme et de relations suspectes avec Israël, Etat qui abrite leurs lieux saints », ajoute Mamdouh Ismaïl.

Les bahaïs, quant à eux, nient cette accusation et estiment que c’est la carte utilisée qui les aidera à obtenir la sympathie de la majorité pour la guider par la suite comme un troupeau.

Le cheikh Abdallah Sammak d’Al-Azhar rétorque que leur culte pousse à l’individualisme et à la soumission. Il interdit le djihad et le port d’armes et donc de combattre ses ennemis. D’ailleurs, il ne tolère pas la prière collective. Ceci a sans doute une certaine signification. Celui de disperser les individus et ne pas les unir dans une action commune.

« Je ne suis pas obligé de me justifier pour défendre ma religion. J’en suis convaincu et cela me suffit pleinement. Mais personne ne doit m’obliger à cacher ma confession comme si c’était une tare ou à mentir en mentionnant une autre religion », s’exprime Hussein Elias, qui poursuit que les enfants bahaïs étudient la religion musulmane ou chrétienne dans les écoles, car le bahaïsme ne figure pas parmi les religions enseignées. Une polémique qui a aussi atteint la rue égyptienne. Cette affaire a aiguisé la curiosité envers ce culte. « La position des cheikhs m’étonne, ils veulent empêcher les gens d’embrasser une autre religion alors que l’islam est clair en ce qui concerne la liberté des cultes. Dans la sourate des mécréants (Al-Kafiroun), le Coran a expliqué les bases de cette liberté avant même les autres déclarations internationales. A chacun sa religion », explique Abir, comptable. Saher, directeur d’une banque, partage cet avis et estime que nous sommes presque le seul pays au monde qui juge les gens d’après leur culte. « Nous nous trouvons dans un souk où tout le monde doit avoir la liberté d’exposer sa marchandise et chacun est libre de choisir celle qui lui convient. Une chose est sûre : le progrès dans n’importe quel pays se mesure par le respect de l’individu et la liberté des cultes ».

Mais le risque demeure inévitable. « Rien n’est garanti car cette communauté pourrait divulguer ses hérésies parmi les musulmans, au sein de la nouvelle génération, alors que nous vivons à l’ère des médias. Une génération en pleine crise d’identité », lance Mohsen, homme d’affaires.

Pour ou contre, les responsables ont un mot à dire. Zeinab Radwane, membre au Haut conseil de la femme, estime que les bahaïs doivent obtenir le droit de pratiquer le bahaïsme, ceci éviterait la confusion car les musulmans et les chrétiens ont leurs propres règles en ce qui concerne l’héritage, le mariage ou l’enterrement, etc. Ceci permettra d’éviter bien des problèmes. Les adeptes du bahaïsme existent déjà en Egypte. C’est un fait.

Mohamad Abdel-Fattah, musulman, confie avoir marié sa fille à un homme et après le mariage, elle s’est convertie au bahaïsme, la religion de son mari. « Ma fille a laissé tomber son hijab, sa prière et toutes ses croyances et elle a suspendu la photo de Bahaallah à la maison. Elle a essayé de me convaincre mais cela n’a pas marché. Aujourd’hui, j’ai peur pour mon petit-fils musulman et né de parents pareils », dit-il tout en ajoutant qu’il exploite l’absence de sa mère durant le travail pour lui faire apprendre quelques versets du Coran.

Le débat est loin d’être fini et les bahaïs ne sont pas au bout de leurs peines puisque la Haute Cour administrative au niveau du Conseil d’Etat a suspendu à l’unanimité l’application du verdict du tribunal administratif de première instance qui a autorisé d’inscrire le bahaïsme comme religion sur les papiers d’identité, à l’instar des autres religions reconnues.

La Haute Cour a chargé une commission d’Etat de rédiger un rapport juridique sur l’affaire et a souligné que « l’application du verdict en question mène à une atteinte à l’ordre public car il tend à reconnaître le bahaïsme comme religion. Alors que les religions reconnues sont l’islam, le christianisme et le judaïsme ».

Chahinaz Gheith et Dina Darwich

Qui sont les bahaïs ?

Le bahaïsme est un mélange de philosophie, d’idées et de croyances. Cette confession est apparue au milieu du XIXe siècle. Le premier apôtre de cette tendance, selon ses fidèles, s’appelle Al-Mirza Ali Mohamed Al-Chirazi, né en 1844, surnommé le bab ou le médiateur qui pousse à découvrir la vérité divine. L’appel au bahaïsme s’est fait dans la clandestinité en Iran, dès 1847. Or, les autorités iraniennes de l’époque ont arrêté le leader du mouvement. Condamné à mort, il a été exécuté devant le peuple. Mais après sa mort, un autre combattant farouche a porté le flambeau dans sa bataille avec le pouvoir : Hussein Ali Nourri (né en Iran en 1810). Il est le véritable fondateur du bahaïsme. Les références historiques affirment que celui-ci a prétendu être non seulement un apôtre, mais aussi un Dieu. Il aurait exigé que l’appel au bahaïsme sorte des ténèbres. Il a tenu une conférence dans le désert de Damas, et dans son discours, Nourri est arrivé à se distinguer dans les rangs des bahaïs. Il obtient par la suite le titre de Bahaallah. Il participe à l’attentat mené contre le roi Nassereddine, chah d’Iran de l’époque, et devant son échec, Nourri s’exile à Bagdad puis en Palestine, où il est enterré. Raison pour laquelle les bahaïs font leur pèlerinage à Akka, considéré aussi comme le lieu d’orientation pour la prière. Selon les croyances des bahaïs, chaque religion ne peut pas vivre plus de 1 000 ans. Ils ont donc décidé de réécrire l’islam. Ils pensent que toutes les religions célestes doivent s’unir dans un seul livre, Al-Aqdass. Ce livre est réparti en versets à l’instar du Coran. Les bahaïs croient cependant, contrairement aux croyances islamiques, que Mohamad n’est pas le dernier des prophètes. Ils croient aussi au bouddhisme et au confucianisme ainsi qu’aux autres religions. Leurs croyances et leurs préceptes sont très particuliers. Ils nient la présence des anges et des djinns et pensent que la révélation divine n’est pas finie, que même après le prophète Mohamad, il existe toujours des messies. Et ils estiment que le jour du jugement dernier aura lieu lorsque le Bahaallah ressuscitera. Leurs prières ressemblent à la prière des musulmans, sauf qu’au lieu des cinq prières quotidiennes de l’islam, ils se limitent à trois (le matin, à midi et le soir) et à chaque prière ils font trois génuflexions. De plus, ils font leurs ablutions à l’eau de rose. Les adeptes de cette religion ne font jamais la prière en groupe comme les musulmans, sauf lors de funérailles. Quant au jeûne, ils le font durant le mois d’Al-Ola (entre le 2 et le 21 mars) qui est le dernier mois de l’année bahaïste. Le bahaïsme appelle à l’égalité des deux sexes et n’accepte la polygamie que dans certains cas très exceptionnels. Ils ne tolèrent pas le port du voile et n’imposent aucun accoutrement à la femme. Le principal, selon eux, est que la femme respecte les traditions de sa société. Le bahaïsme considère le chiffre 19 comme un chiffre sacré. C’est pour cela que l’année des bahaïstes est formée de 19 mois, de 19 jours chacun. On compte près de 6 millions de bahaïs dans le monde, l’Iran étant leur plus grand point de rassemblement. Selon les traditions des bahaïs, il n’existe pas de leader spirituel. Les cellules bahaïes répandues un peu partout dans le monde soutiennent la communauté et sont leur porte-parole face au pouvoir.

La cellule est composée d’un comité administratif élu par les bahaïs dans différents pays du monde. Ces cellules sont considérées aussi comme les références religieuses gouvernant toute la communauté. Une cellule centrale constituée de bahaïs est élue dans la clandestinité. Cette dernière apporte son aide financière aux adeptes nécessiteux. Les rassemblements peuvent avoir lieu dans la maison de n’importe quel adepte. Les prières se tiennent dans des temples qui sont en fait des lieux ouverts qui accueillent les adeptes et où sont organisées leurs cérémonies. Reste à dire que ce mouvement est financé grâce aux dons des adeptes de chaque pays ou bien par la cellule centrale, dont le siège se trouve en Turquie.

 




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