Prononcé le 4 avril, un verdict du tribunal
administratif de première instance d’Alexandrie répondait
favorablement à une revendication de longue date. Depuis des
décennies, la petite communauté bahaïe égyptienne revendiquait
en effet son droit à afficher sa religion sur les cartes
d’identité de ses membres. Mais les bahaïs se heurtaient au
refus du ministère de l’Intérieur qui ne leur proposait que
d’inscrire la mention musulman ou chrétien, ou de se passer
carrément de pièces d’identité. C’est ce droit qui fut
finalement reconnu à un couple de bahaïs ayant déposé une
plainte il y a deux ans.
Le bahaïsme, en tant que religion, a vu le
jour sur le territoire iranien il y a environ 150 ans. Il doit
son nom à son fondateur Al-Mirza Hussein Aly Al-Nourry, né en
1817 à Téhéran et surnommé Bahaallah. Le bahaïsme se distingue
de l’islam par ses rituels : le pèlerinage a lieu à Haïfa en
Israël, la prière se fait sans ablution ... A l’échelle mondiale,
le nombre des adeptes du bahaïsme dépasse les 6 millions de
personnes, dont de deux à trois milliers vivent en Egypte. Leur
lieu de culte qui se trouvait à Abbassiya, au Caire, a été
démoli en 1960 par décret présidentiel. En Egypte, les bahaïs
sont accusés de prosélytisme et de relations suspectes avec
Israël, Etat qui abrite leurs lieux saints. Plus récemment, en
2003, un avis religieux exprimé par l’Académie des recherches
islamiques d’Al-Azhar considère que le bahaïsme est une doctrine
qui contredit l’islam, et que ses adeptes sont des apostats.
L’affaire a été débattue la semaine dernière
à l’Assemblée du peuple. Lors d’une séance houleuse, à laquelle
a assisté le ministre des Waqfs (biens religieux), Mahmoud Hamdi
Zaqzouq, plusieurs députés du PND (Parti National Démocrate, au
pouvoir) et de l’opposition ont tour à tour interpellé le
gouvernement. « Il y a plus d’un mois que le tribunal a prononcé
ce verdict en faveur des bahaïs. Bien que ce verdict soit
anticonstitutionnel et contraire aux avis religieux émis par Al-Azhar,
le gouvernement n’a pas réagi. Nous voulons des explications »,
a lancé Ahmed Abou-Zeid, député du PND et membre du Comité des
lois. Les députés se sont basés sur l’article 2 de la
Constitution stipulant que la charia est la principale source de
législation. Conformément à cet article, expliquent les députés,
seuls les trois grandes religions monothéistes sont reconnues
par la loi égyptienne.
« Le fait de considérer ces apostats comme
une communauté reconnue officiellement ouvre la porte à d’autres
comme les chiites, ou les adorateurs de Satan de réclamer le
même droit, de quoi anticiper la laïcisation de l’Etat »,
s’indigne Akram Al-Chaër, islamiste. Sayed Askar, également de
tendance islamiste, a proposé pour sa part l’élaboration d’un
projet de loi incriminant l’adoption du bahaïsme. Face à la
virulence des critiques, le ministre des Waqfs a promis devant
le Parlement de présenter un recours contre le verdict du
tribunal.
Cela dit, tous les députés n’étaient pas du
même avis. A la grande surprise des conservateurs, la secrétaire
de l’Assemblée du peuple, Zeinab Radwane, a approuvé le verdict.
« Je suis d’accord sur le fait que le bahaïsme n’est pas une
religion. Mais, en tant que citoyens égyptiens, les bahaïs
doivent être officiellement reconnus comme tels. Ce verdict va
régler les problèmes que les bahaïs rencontrent pour inscrire
leurs enfants à l’école, pour trouver du travail ou pour voyager
à l’étranger, étant dépourvus de documents officiels », affirme
Radwane. Du côté strictement religieux, ce verdict « empêchera
cette communauté de se confondre dans la masse et de diffuser
leurs hérésies parmi les musulmans surtout d’autant plus qu’ils
portent des noms musulmans ».
En dehors du Parlement, l’Organisation
Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH) a annoncé son intention
de s’opposer à toute contestation visant à priver les bahaïs de
leurs droits. « Nous avons très favorablement accueilli le
verdict qui est conforme avec la Constitution et les traités
internationaux accordant la liberté de la religion et mettant
tous les citoyens à pied d’égalité devant la loi, sans aucune
discrimination basée sur le sexe ou la religion », souligne
Hafez Abou-Seada, secrétaire général de l’OEDH.
Finalement, avec l’affaire des bahaïs, c’est
un autre tabou qui vient d’être brisé en Egypte, apportant une
preuve de plus sur la transformation de la société. Mais pour
quelle forme ? .
Héba Nasreddine