Hebdomadaire égyptien en langue française en ligne chaque mercredi

Portrait

La Une
L'événement
Le dossier
L'enquête
Nulle part ailleurs
L'invité
L'Egypte
Affaires
Finances
Le monde en bref
Points de vue
Commentaire
d'Ibrahim Nafie

Carrefour
de Mohamed Salmawy

Portrait
Littérature
Livres
Arts
Sport
Environnement
Patrimoine
Loisirs
Echangez, écrivez
La vie mondaine

Rachad Antonius est un sociologue égypto-canadien qui a consacré sa carrière à dévoiler la réalité de cet Autre, qu’est le monde arabe pour l’Occident avec ses richesses et ses échecs. C’est dans cette optique qu’il enseigne la culture des sociétés arabo-islamiques à l’Université de Québec à Montréal.
Le mathématicien sociologue

Rachad est né à deux pas de la gigantesque gare centrale du Caire, rue Ramsès. Son enfance s’est passée dans un petit coin de cette rue où il jouait avec ses copains. C’était durant les années 1950, à l’époque où Le Caire comptait encore 3 millions d’habitants. « J’ai encore des images où la rue Ramsès était une rue plus ou moins tranquille, et où l’on pouvait descendre tout seul. Je traversais la rue et j’allais prendre le métro pour aller au Club Héliolido à Héliopolis, tout seul ». Unique garçon parmi deux filles, il a suivi ses études scolaires à l’école des Frères de Daher, où il a reçu une culture extrêmement riche et universelle. « On avait d’excellents profs qui nous sortaient bien au-delà du programme scolaire, et c’était cela qui faisait la différence. Ils nous ont rendus familiers avec les idées qui se débattaient dans le monde arabe, mais surtout en Occident ».

Rachad avoue qu’il était aussi ouvert sur ce qu’était le socialisme arabe. « Ce qui était intéressant, c’est que nos profs ne faisaient pas ça uniquement comme un acte obligé par les programmes scolaires. Certains y croyaient sincèrement et croyaient également à la critique : pourquoi le système appliqué n’est pas celui qu’on enseigne ? Ce n’était pas dangereux de le faire parce que c’était dans les limites des règles ». La tactique était d’amener les gens à réfléchir en posant des questions, sans nécessairement donner de réponses. Toute critique était permise. Mais l’essentiel était la façon de dire les choses. « Si tu critiques en prenant une attitude antagoniste, en disant : ce sont des imbéciles, ce sont des voleurs, ce sont des n’importe quoi, c’est une critique qui sûrement va être réprimée. Or, tu peux critiquer en te posant la question comment, par exemple, telle institution représente-t-elle les intérêts du peuple ou pas ? Donc il y a une façon de faire la critique qui paraît subtile, mais qui apprend aux gens comment penser ».

Et ce n’est pas uniquement là qu’il a appris la critique. Il trouvait que les cours sur le système égyptien dominant (Education civique) étaient de la langue de bois. Toutes les disciplines qui étaient, à la base, des disciplines de sciences humaines, étaient enseignées de façon dogmatique. En revanche, pendant les cours de littérature française, il faisait là aussi de la philosophie. Cela l’intéressait beaucoup et c’est ainsi qu’il a voulu étudier la philosophie. Rachad a été voir le frère-recteur de son école, également philosophe. Le conseil de ce dernier l’a envoyé à l’autre bout de la planète : « Ecoute, pour bien étudier la philosophie, il faut comprendre comment le monde marche. Commence par faire un diplôme en sciences pures et dures. Va faire un diplôme en chimie, en physique ou en mathématiques, et là tu vas mieux comprendre la philosophie ».

Durant les cours de religion, le recteur leur parlait de Jean-Paul Sartre, du marxisme ... Il les emmenait à des concerts à l’Opéra du Caire, où ils écoutaient le majestueux Orchestre symphonique du Caire. Il leur expliquait ce qu’était une sonate, une symphonie, et comment chacune d’entre elles était structurée. « La période du secondaire a été pour moi une période extrêmement riche, dans laquelle j’ai appris beaucoup de choses. C’était riche, mais parce que l’on partait de zéro ».

Ensuite, Rachad a opté pour la faculté des sciences et a décroché un diplôme en mathématiques. Encouragé à faire un doctorat en mathématiques, ses professeurs l’ont aidé à trouver une bourse, en lui faisant des lettres de recommandation présentées à des universités canadiennes de renom.

Il arrive au Canada en 1970 et commence un doctorat en mathématiques à l’Université de Manitoba, qui était à cette époque-là une zone éloignée des grands centres urbains. Très isolé, il a dû abandonner parce qu’il ne se sentait pas heureux. Il a juste fait une maîtrise au lieu de préparer un doctorat, et il est revenu poursuivre à Montréal, où il a recommencé un autre doctorat en mathématiques.

Survint ensuite la mort de Nasser et la guerre d’Octobre 1973. Tous les gens autour de lui lui dirent : « Toi Arabe, explique-nous pourquoi ceci, pourquoi cela. Et je n’avais aucune explication à leur donner parce que je n’étais pas du tout intéressé par les questions politiques ». Il devait comprendre lui-même d’abord, pour pouvoir ensuite expliquer aux gens ce qui se passait. « C’est ainsi que je me suis intéressé de plus en plus aux sujets politiques, et en particulier la question palestinienne parce que c’était un problème majeur ». De fil en aiguille, il consacre beaucoup de temps à étudier la question palestinienne. Il voulait aussi comprendre la raison du retard économique et du sous-développement dans les pays arabes. Essayant de trouver des réponses à cette liste de Pourquoi, Rachad a découvert qu’il était en train de faire de la sociologie.

Il décide alors d’interrompre son doctorat en mathématiques qu’il n’avait pas encore terminé et commence à écrire dans des journaux montréalais et québécois. Il donne des conférences dans les milieux estudiantins sur la majorité des thèmes en relation avec le monde arabe. « Et puis à un moment donné, j’ai décidé vraiment que je voulais faire un doctorat pour essayer de comprendre un peu ce qui se passe dans la région arabe. Pourquoi est-on sous-développé ? ».

Ne voulant plus rester au Canada, Rachad décide de retourner vivre en Egypte. C’était en 1981. Il avait déjà obtenu la nationalité canadienne : « J’avais un job d’enseignant de maths, une maison, j’étais marié et tout ».

Il rentre en Egypte pour tenter de comprendre les questions de développement. Il a travaillé dans une ONG égyptienne, l’Association de la Haute-Egypte, pour aider dans le travail de développement qu’elle entreprenait dans le sud du pays, dépourvu de beaucoup d’infrastructures. « J’ai étudié toutes les questions du pouvoir, du partage de l’eau, de l’évolution du système agricole. C’est un domaine qui m’intéressait énormément ». Pendant ce séjour en Egypte, il est engagé comme chercheur pour étudier les questions d’irrigation à l’Université américaine. Ainsi, il a la possibilité de passer une année de recherche dans les villages égyptiens pour étudier comment le système d’irrigation égyptien, en fait assez complexe, fonctionnait. Et cette recherche a été faite en collaboration avec le ministère égyptien de l’Irrigation. Au cours de cette étude, il a eu la possibilité de visiter les villages du Fayoum, de Minya et de Tanta. Et  « quand j’ai déposé ma thèse de doctorat beaucoup plus tard, en 1991, elle était sur ce sujet-là : Les aspects sociaux et techniques de l’irrigation en Egypte ». Ces deux années passées en Egypte l’ont davantage convaincu que les sciences sociales l’intéressaient beaucoup plus que les mathématiques qu’il enseignait. Rachad revient au Canada et continue quand même à enseigner les mathématiques parce qu’il avait besoin d’un gagne-pain.

« J’ai donc écrit des articles, j’ai donné des conférences. Et j’ai continué aussi à travailler sur la question palestinienne ». Il était souvent approché par des sociologues canadiens qui voulaient réformer le programme de sociologie, de l’enseignement même de la sociologie, au Québec. Naissait alors le besoin d’avoir un bon livre de statistiques à l’usage des sociologues. On lui disait : « Toi tu es mathématicien et en même temps sociologue. Est-ce que tu ne voudrais pas écrire un livre sur ce sujet ? ». Rachad s’est mis alors à travailler avec un collègue statisticien et ils ont écrit ensemble un manuel, Méthodes quantitatives appliquées aux sciences humaines, qui a été largement utilisé au Québec.

Il a ensuite commencé à développer ce troisième créneau ; à côté de la sociologie et des mathématiques, et des statistiques appliquées. « Tout en préparant mon doctorat, l’Université de Montréal m’a engagé pour élaborer un cours qui s’Sociologie du monde arabe ». Il a donc mis sur pied ce cours et l’a enseigné pendant 4 ans, soit de 1983 à 1987, tout de suite après son retour d’Egypte. Pour faire ce cours, il fallait comprendre tout l’ordre social dans le monde arabe : les normes, les valeurs, le pouvoir, la situation de la femme, les minorités, les traditions, la modernisation, le développement et le sous-développement, la démocratie et les institutions politiques. « Ayant eu à enseigner ce cours pendant 4 ans, chaque année je l’affinais un peu plus, je mettais plus d’aspects. Mais la grosse partie de mon travail restait confinée à l’université, et au sein des groupes de solidarité qui travaillaient sur et avec le monde arabe ».

En 1991, il y a eu un changement majeur : la guerre en Iraq. Les télévisions canadiennes, qui s’intéressaient très peu au monde arabe, ont tout à coup réalisé qu’il y avait une situation en Orient que personne ne comprenait. C’est ainsi qu’une fois, Rachad a été interviewé comme ça, parce qu’on interrogeait beaucoup de personnes capables de donner des explications à ce qui se passait. Or, cette entrevue a été très bien reçue, et depuis ce temps jusqu’à la période qui a suivi et qui a duré plus d’une année, « j’ai été systématiquement interviewé sur tout ce qui touchait à la guerre en Iraq en cours et aussi au problème palestinien ».

Il entendait souvent « ce que tu dis est très intéressant parce que tu as une manière d’analyser qu’on n’entend nulle part ailleurs ». En effet, Rachad avait une manière de comprendre les choses de l’intérieur. Et l’intérieur était de voir comment la question se posait pour les Palestiniens, et non pas pour les Occidentaux qui disaient : eux les Palestiniens, eux les Iraqiens, eux les Arabes. Cette période l’a mis un peu sur la « map », comme on dit en québécois.

En 1991-1992, Rachad repart en Egypte pendant deux mois pour le compte du gouvernement fédéral canadien, qui voulait entamer une recherche sur l’environnement en Egypte. L’équipe se composait de deux spécialistes de l’environnement et d’un spécialiste de l’Egypte, lui.

Pendant cette période, il reçoit une offre de l’Université américaine du Caire qui voulait un sociologue. Il a donc présenté sa candidature et a été retenu. « Je suis donc retourné en Egypte avec ma famille et j’ai enseigné la sociologie à l’Université américaine, de 1992 à 1994 ». Au bout de deux ans, et pour des raisons familiales, relatives aux enfants et aux parents de son épouse, il rentre au Canada. « Un peu à contrecœur parce que s’il n’y avait pas ces questions familiales, je serais resté en Egypte ».

Il enseignait la sociologie des sociétés arabes. « Beaucoup voulaient comprendre pourquoi les sociétés arabes fonctionnent comme elles le font ? ». Pourquoi il y a un sous-développement ? Quel est le rôle des traditions et celui de la modernité ? Quel est le rôle de l’islam ? Quel est le rôle de la religion en général dans nos sociétés ? Comment adapter nos traditions à la modernité ? Beaucoup de questions auxquelles Rachad tentait de trouver des réponses. « Pour moi, je savais que je leur apportais quelque chose et ils me le disaient ». Les gens venaient pour lui dire : « Ce cours a changé ma vision », ou « Ma relation avec ma société a changé à cause de ce cours ». C’est vrai qu’il avait des réponses, mais il faisait surtout réfléchir sur la manière d’aborder la question. Aujourd’hui, Rachad Antonius poursuit toujours sa carrière de sociologue à l’Université de Québec et sa quête pour trouver des réponses aux question cruciales du monde arabe.

Loula Lahham

JALONS

Années 1950 : Enfance au Caire.

1969 : Baccalauréat en maths pures et appliquées, Université du Caire.

1973 : Maîtrise en maths, Université de Manitoba, Canada.

1984 : Co-fondateur du Centre d’études arabes pour le développement.

1991 : Prix d’Encouragement de la ministre de l’Education supérieure, Canada.

1991 : Parution de son livre Méthodes quantitatives appliquées aux sciences humaines, en collaboration avec Robert Trudel.

1992 : Doctorat en sociologie, UQAM.

1998-2001 : Membre du Conseil de presse de Québec.

 
 
 
 
 

Pour les problèmes techniques contactez le webmaster

Adresse postale: Journal Al-Ahram Hebdo
Rue Al-Gaala, Le Caire - Egypte
Tél: (+202) 57 86 100
Fax: (+202) 57 82 631