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Wadi Al-Hitane. Ce site qui fait partie de la réserve naturelle de Wadi Al-Rayane se distingue par sa richesse géologique et naturelle insolite. Cependant, il court plusieurs risques de dégradation, d’où la nécessité de le préserver.

Une réserve en grand danger
Siréniens, baleines, mangroves fossilisés, pinces de crabes et carapaces de tortues terrestres et marines ne sont qu’un simple échantillon des richesses naturelles que renferme la Vallée des baleines, ou Wadi Al-Hitane. Situé à 75 km au nord-ouest de la réserve naturelle de Wadi Al-Rayane, dont elle fait partie, ce site s’étale sur une superficie de 20 km2. Wadi Al-Hitane est pour les géologues et les experts de l’environnement, un site unique au monde, dont la majorité reste intacte. Cependant, les 406 fossiles de baleines et les autres qui ont été déjà dégagés, notamment ceux découverts depuis plus d’un siècle, sont exposés actuellement à plusieurs dangers météorologiques comme les courants d’air, les pluies et le changement de température outre les menaces humaines. C’est pourquoi, les experts égyptiens et étrangers ont tiré la sonnette d’alarme afin de sauver et préserver un tel patrimoine inédit.

A Wadi Al-Hitane, le climat a toujours joué un rôle primordial dans la formation du site. Le vent vient en premier lieu. Etant très fort, il a donné aux rochers de calcaire de la région des formes insolites. Par ailleurs, il « érode et par conséquent déforme les os et les plantes fossilisés qui représentent la richesse du site », explique Ahmad Al-Barqouqi, professeur de sédimentologie à l’Université du Caire. La brusque variation de température du jour participe elle aussi à la destruction du trésor géologique. En effet, la surface des fossiles est pleine de trous très étroits qui absorbent l’humidité et la rosée matinales. « Ce qui affouille à long terme cette richesse inédite », révèle Férial Bédeiwi, professeur de géologie et membre du comité chargé du dossier de la préservation de Wadi Al-Hitane présenté à l’Unesco pour le mettre dans la liste du patrimoine écologique mondial. Avis partagé par le paléontologue Yousri Attiya, qui ajoute que les fossiles organiques se sont mélangés à des substances métalliques au fil des siècles. « Ces substances, exposées aux variations de température, se transforment en poussière et s’effritent », affirme-t-il. Autre problème naturel menaçant les fossiles : les sables mouvants. « Ces derniers font disparaître complètement les indices géologiques de toute la région », révèle le professeur Bédeiwi.


L’homme, principal violateur
Si les conditions météorologiques menacent le patrimoine naturel de Wadi Al-Hitane, les transgressions humaines sont plus graves. Aussi vaste soit-il, le site est ouvert aux visiteurs. « On y pénètre à travers l’oasis de Bahariya ou en prenant la route d’Assiout en contournant l’accès principal que les responsables de la réserve ont installé », s’indigne le professeur Al-Barqouqi. Quelques-uns, par inadvertance, piétinent les fossiles avec leurs tout-terrains. Pire encore, d’autres qui connaissent la valeur d’un tel patrimoine se permettent de prendre des spécimens en guise de souvenirs. Il leur arrive même de les vendre sur le marché ; d’autres encore exposent ces pièces accompagnées de photos sur des sites Internet, comme le déplore tristement le Dr Férial Bédeiwi. Ces visiteurs-là se rendent sur le site pendant la soirée et le quittent à l’aube. « Période suffisante pour ramasser tout ce dont ils ont besoin et se retirer en paix », ajoute-t-elle. Les experts mettent en évidence encore le manque d’équipements, notamment les 4X4 et les appareils de communication sans fil. Ce qui isole tout ranger présent sur le site de ses collègues en cas d’urgence. Par conséquent, les rangers concernés ne s’y rendent que quelques jours par semaine.

Solutions proposées par les experts

Consolider et couvrir les fossiles, fournir les équipements indispensables et garder le site, quatre actions qui, une fois accomplies, peuvent mettre fin à tous les problèmes accumulés qui menacent ce patrimoine naturel. « Afin de réaliser ces solutions-là, les experts ont mis deux plans qui doivent aller de pair », explique le paléontologue Yousri Attiya. Le premier à court terme provisoire, et l’autre à long terme et permanent. Consolider les fossiles vient en premier lieu. Tous les six mois, « on couvre les fossiles de polyvinyle, matière chimique qui les fortifie et les aide à résister contre l’érosion », assure Mohamad Sameh, ranger à Wadi Al-Hitane. Pour Yousri Attiya, c’est une solution adéquate pour l’instant, mais elle n’est pas permanente. C’est pour cela que les experts préfèrent installer des pièces de calcaire au-dessus des fossiles. « Coûteuse, une telle idée va aussi modifier le paysage », affirme le paléontologue. Mais la plupart des experts cherchent à couvrir les fossiles de verre en contrôlant la température et l’humidité, comme l’indique le professeur Al-Barqouqi. Ou bien du verre troué comme le propose le professeur Férial Bédeiwi. Selon elle, entourer les fossiles par des tiges de fer et ensuite les couvrir par des verres troués aident à éviter les effets de l’humidité. Ces verres aussi permettront aux visiteurs de voir clairement les fossiles. Selon elle, cette solution exige un énorme budget puisque ce verre est assez cher et devra être modifié annuellement. Autre proposition, installer des grottes de calcaire ressemblant aux rochers du site. Cette solution est peut-être la meilleure puisqu’elle préserve les fossiles sans déformer le paysage de la vallée.

Quant aux transgressions humaines, afin de les éviter, les experts se sont mis d’accord pour construire une résidence en calcaire, sur place, pour les rangers. Le professeur Al-Barqouqi trouve qu’il est indispensable de faire participer les citoyens. « Nous pouvons entraîner des gardes qui vivent dans les environs, à condition qu’ils soient supervisés par les rangers », explique-t-il. Il faut encore établir d’autres accès sur les voies et les routes qui mènent à Wadi Al-Hitane. « Ceci contrôle l’entrée sur le site », ajoute-t-il. Mais d’ici là, « les rangers devront en échange camper sur place en permanence », suggère Al-Barqouqi.

Toutes ces propositions ont été mentionnées dans le dossier présenté à l’Unesco. Mais la réalisation d’un tel plan nécessite des fonds énormes que le gouvernement égyptien ne pourra supporter seul. L’Egypte a donc besoin d’une organisation internationale pour l’aider à conserver ce site important non seulement pour le patrimoine égyptien, mais aussi pour le patrimoine mondial .

Doaa Elhami
 
Trois questions à
Philip Gingerich, professeur américain des sciences géologiques à l’Université de Michigan et directeur du musée de paléontologie.

Al-Ahram Hebdo : Vous venez d’annoncer le dégagement du fossile d’une baleine à Wadi Al-Hitane. Quelle en est l’importance ?

Philip Gingerich : C’est une baleine géante de l’espèce basilosaurus et qu’on a nommée basilosaurus-isis pour la distinguer des autres découvertes faites dans les pays asiatiques et américains. Cette baleine est en fait très allongée, sa longueur atteint les 18 mètres. Les fossiles sont bien préservés de manière à ce qu’on puisse voir clairement tous les membres de la baleine, notamment les antérieurs et postérieurs. Mais, on ne sait pas encore comment elle nageait avec ces membres-là. Les fossiles récemment découverts représentent en même temps une étape intermédiaire de l’évolution des mammifères marins. Il est connu pour nous que tous les mammifères sont des créatures terrestres sauf deux genres, les baleines et les siréniens. Le basilosaurus-isis représente pour nous le prototype qui incarne la deuxième étape transitoire de baleine, de la terre à la mer.

— Qu’allez-vous faire avec ces fossiles dégagés ?

— Il nous faut réunir le crâne exposé au Musée naturel de Michigan aux fossiles dégagés. Nous avons déjà enveloppé les fossiles avec des chemises de plâtre afin de les transporter d’une manière sûre aux Etats-Unis. Là-bas, ces derniers seront nettoyés et consolidés. Et lorsque nous aurons une baleine complète, nous en ferons deux maquettes. La première sera exposée au Musée naturel de Michigan et la seconde au Centre des visiteurs de la réserve naturelle. Quant aux fossiles originaux, ils seront exposés au musée géologique égyptien.

— Depuis quand opérez-vous sur ce site ?

— Pendant les années 1977, 1978 et 1979, j’ai mené des fouilles au Pakistan. Ces missions nous ont révélé les fossiles d’une baleine mal préservés avec des membres antérieurs et postérieurs. Nous étions stupéfaits. Etait-ce vraiment une baleine qui marchait ? Impossible. Dix ans après, en 1989, je suis venu pour la première fois en Egypte afin de traiter la Vallée des baleines. A cette époque, nous avons trouvé des fossiles homologues à ceux du Pakistan. Il s’agissait en fait, du crâne, de la jambe et des membres postérieurs préservés en parfait état. Jusqu’à l’instant, mon doute s’est confirmé. Les baleines utilisaient des membres pour marcher .

Propos recueillis par
D. E.

 

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