Une décision sévère ordonnée par les
services de sécurité pour protéger les touristes après
les attentats perpétrés en août 2005 et qui ont causé
des morts, des blessés et des dégâts importants dans
ce fleuron du tourisme qu’est Charm Al-Cheikh. Les principaux
responsables de cet acte terroriste étant des bédouins
de la région montagneuse proche de la ville, les autorités
ont pensé qu’un tel mur pourrait apporter plus de sécurité.
Depuis que la construction de la muraille
a commencé, les bédouins ont la peur au ventre. Le tourisme
étant leur seule et unique source de revenus, ils voient
déjà des lendemains peu souriants se profiler. Pas de
safari possible et aussi l’accès à la ville leur deviendra
inaccessible. Chaque matin, Hamid va jeter un coup d’œil
sur les travaux, espérant que ce projet sera suspendu.
Déçu, il se rend chez le cheikh de la tribu pour s’enquérir
de la situation. « Je n’ai pas plus d’informations que
toi, mon fils. Comme tu le constates, notre sort est
entre les mains du gouvernement. Une fois, on nous dit
qu’on va suspendre la construction du mur et une autre
fois, ils (le gouvernement) semblent déterminés à poursuivre
les travaux », répond le cheikh en invoquant Dieu pour
qu’il leur vienne en aide.
En
effet, la zone qui va être isolée abrite environ 20
tribus originaires du Sud-Sinaï, soit un millier de
bédouins dont la subsistance dépend du tourisme. « Pourquoi
devons-nous assumer les conséquences d’un acte odieux
commis par un de nos concitoyens, comme si nous étions
tous des terroristes ? », s’interroge Hamid. Depuis
l’attentat, le va-et-vient de ces bédouins est sous
haute surveillance, et le passage par des points de
contrôle est obligatoire. Des agents de sécurité en
civil ont été déployés un peu partout dans la montagne.
La vie de ces bédouins a été complètement
bouleversée. Leur quotidien se résume ainsi. Pendant
que les femmes confectionnent des bracelets et colliers
de perles, les hommes vont à la recherche de touristes
ou signent des accords avec des hôtels pour organiser
des safaris dans le désert ou en montagne. Les bédouins
ne se contentent pas de louer leurs chameaux ou chevaux,
mais mettent aussi à la disposition des touristes des
beach-buggys. Une randonnée d’une heure à dos de chameau
revient à 25 L.E., à dos de cheval 50 L.E., mais pour
le beach-buggy qui permet d’explorer le fin fond du
désert, les trois heures coûtent 120 dollars, dîner
bédouin inclus. « C’est au clair de lune que nous préparons
un bon méchoui avec une ambiance musicale et un spectacle
de danses bédouines. Le thé à la menthe et la chicha
font partie des services que nous offrons aux touristes.
Aujourd’hui, et pour des raisons de sécurité, aucun
étranger ne reste au-delà de 17h dans la zone montagneuse
», lâche Moustapha, originaire de la tribu Khouroum.
Et pas seulement ça, les touristes sont constamment
accompagnés par des agents de sécurité. Ce qui déplaît
énormément aux visiteurs, qui aiment se balader en toute
liberté et profiter pleinement du paysage en passant
même la nuit à la belle étoile. Une Italienne, Léonnelle,
scandalisée par la construction de cette muraille, confie
: « Je ne vois pas où est le danger avec ces bédouins
qui sont extrêmement gentils et sont prêts à se couper
en quatre pour nous. Si cette muraille est érigée, je
ne me sentirais plus en sécurité ». Et son mari de répliquer
: « Ne te tracasse pas ma chérie, nous irons ailleurs,
à Siwa ou dans le désert blanc », c’est-à-dire dans
l’autre extrémité du pays.
Dès 17h, les touristes se pressent
pour sortir de la zone sous la pression des services
de sécurité. Ces derniers font leur apparition à cette
heure fixe pour vérifier si un touriste ne s’est pas
oublié dans cette région. Quant aux bédouins, ils ne
doivent qu’obéissance. Il ne leur reste plus qu’à rentrer
au bercail dans l’espoir de retrouver le lendemain des
touristes. Car si la muraille est construite, ces bédouins
ne verront plus d’étrangers, même si on a prévu trois
portes d’accès. Et pour que les bédouins puissent se
rendre à Charm Al-Cheikh pour s’approvisionner, ils
doivent montrer un laissez-passer délivré par le ministère
de l’Intérieur, comme s’ils n’étaient pas des citoyens
de ce pays. D’ailleurs, ce carnet, selon les responsables
de la sécurité, ne sera pas délivré à n’importe quel
bédouin. Les personnes suspectes ou impliquées dans
une affaire de justice ne seront pas autorisées à dépasser
le seuil de la muraille. « On nous a toujours marginalisés.
On nous taxe de bédouins, ce qui a déclenché en nous
un problème d’identité », s’indigne Awad bin Soliman,
tout en ajoutant qu’ils sont non seulement privés d’eau,
mais aussi d’électricité. Certains bédouins n’hésitent
pas à détourner l’électricité en raccordant des fils
à partir des poteaux électriques de Charm Al-Cheikh.
Awad assure n’avoir jamais pu rencontrer de sa vie de
responsables pour présenter des revendications. C’est
seulement au moment des législatives que les cheikhs
se réunissent pour faire des recommandations à la population
bédouine afin de voter pour un candidat du Parti National
Démocrate (PND). Ils espèrent par-là faire entendre
leurs voix aux autorités, mais peine perdue, les députés,
une fois élus, deviennent de simples marionnettes du
gouvernement.
Selon Awad, la construction de ce mur
va non seulement les isoler de la ville et des touristes,
mais aussi prolonger le chemin à emprunter pour se rendre
à Charm. Sur les 20 km de muraille, il est prévu de
construire trois portes d’accès. Ce qui va obliger les
bédouins à parcourir une longue distance pour sortir
de leur zone. « Mon mari doit nous approvisionner en
eau et alimentation chaque jour. Au lieu de nous faciliter
la vie, on veut nous la compliquer davantage. La seule
solution qui nous reste, c’est de quitter la montagne.
Mais pour aller où puisque nous sommes devenus aux yeux
de tous des pestiférés ? », dénonce Mona, bédouine,
mère de trois enfants.
Aujourd’hui, et à chaque fois que les
yeux des bédouins se portent sur cette plate-forme où
sera érigée cette muraille, ils sont persuadés que l’Etat
est en train de leur creuser des sépultures. Il se pourrait
que beaucoup soient contraints à vendre leur seul gagne-pain,
qui est le chameau, symbole d’honneur pour eux. « Ce
serait la plus grande des humiliations pour des bédouins
comme nous », conclut avec amertume Rabïe.