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Niveau
de vie . Deux mois
après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement,
les Egyptiens restent sceptiques. En réaction aux dernières
décisions gouvernementales, le pouls de la rue vacille
entre optimisme mesuré et pessimisme résigné. Reportage.
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Les Egyptiens
aux aguets |
Etat d’alerte
dans tous les foyers égyptiens. Les dernières décisions
économiques du nouveau gouvernement sont le sujet de
discussion par excellence dans les maisons, dans les
cafés comme au travail. Il suffit qu’une personne mentionne
la baisse du prix des voitures pour que ses interlocuteurs
s’enflamment sur la question des prix. Du simple citoyen
au haut fonctionnaire, chacun tente de donner son opinion.
Comment la nouvelle politique économique va-t-elle changer
son quotidien ? A chacun sa manière d’appréhender le
futur et d’ajuster le budget familial selon ces récentes
évolutions. Les dernières décisions gouvernementales
de baisser les taxes douanières vont-elles réellement
apporter du changement aux Egyptiens ?
Le
nouveau gouvernement en place, depuis deux mois maintenant,
a voulu s’attaquer aux décisions impopulaires du gouvernement
précédent. Mais selon les chiffres officiels, le taux
d’inflation est passé de 2,7 % en 2002 à 4,1 % en 2003
(certaines études estiment actuellement ce taux à 6,3
%). L’arrivée tant attendue du premier ministre Ahmad
Nazif au pouvoir a donné aux Egyptiens une lueur d’espoir.
« Ebeid nous semblait inamovible et le quotidien des
Egyptiens prenait des allures de calvaire sans fin »,
lance Eatemad, 50 ans, femme de ménage et mère de 3
enfants. L’annonce du premier ministre de réduire les
tarifs douaniers aurait dû sérieusement affecter le
quotidien de l’Egyptien. D’autant plus que les producteurs
de denrées alimentaires ont assuré à leur tour qu’ils
allaient réduire leurs prix de 5 à 7 % suite à la baisse
des douanes. Simple visite dans la rue égyptienne pour
prendre le pouls d’un peuple qui guette le moindre signe
d’une amélioration pour pouvoir survivre.
« Une voiture, ça ne se mange pas ! », lance avec indignation
Yasser Ahmad, fonctionnaire municipal qui gagne 115
L.E. par mois. « Ce qu’il nous faut, c’est une baisse
du prix des denrées alimentaires de base comme le pain,
le riz, l’huile, le sucre et les lentilles », poursuit-il.
Yasser se met alors à réciter tous les prix qui conditionnent
son quotidien : le litre de lait, 3,75 L.E., le kilo
de riz, 2,5 L.E., le kilo de viande, 30 L.E., la bouteille
d’huile qu’il payait 2,5 L.E. il y a trois ans, coûte
aujourd’hui 7 L.E. ... Autant de sommes qui se soustraient
indéfiniment de son maigre salaire. Pas question donc
de faire des économies. Dans le quartier de Choubra,
les files d’attente devant le four à pain sont loin
de disparaître.
Mohamad Mahfouz, fonctionnaire dans un journal, attend
depuis une heure pour avoir sa ration de 5 galettes
de pain au prix officiel, 25 pts. Puis il reprendra
la file d’attente pour avoir les parts de sa mère et
de ses deux sœurs. Pour lui, rien n’a changé depuis
les dernières annonces gouvernementales. « A-t-on jamais
vu les prix baisser en Egypte ?! Même quand le dollar
baisse, les prix stagnent, voire augmentent ! Personne
ne croit plus à une baisse des prix. On n’entend que
de belles déclarations dans les journaux, mais on ne
voit rien de concret, on en a marre ... », s’indigne
Mohamad. Plus loin, un fonctionnaire de la répression
des fraudes chargé de contrôler les prix dans les magasins
confirme l’augmentation générale. « Depuis 20 jours,
toutes les denrées alimentaires ont subi une hausse,
excepté l’huile qui est passée de 5,5 L.E. à 4 L.E.
», atteste ce fonctionnaire rencontré dans la file d’attente
du four à pain et qui a requis l’anonymat. Pour Kamel
Mohamad, boulanger de 32 ans et père de 5 enfants, le
budget de sa petite entreprise est piégé dans un cercle
vicieux : « S’il est vrai que le prix de la farine a
baissé un peu, celui du gasoil qui sert à faire fonctionner
le four a augmenté. Et donc ce que je gagne d’un côté,
je le perds de l’autre ».
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Colère au terminus |
Une autre
part importante du budget des familles égyptiennes est
absorbée par le transport en commun, justement soumis
aux fluctuations du prix du gasoil. Le ministre du Développement
local a annoncé récemment que les prix des transports
en commun allaient augmenter de 20 % au maximum, à cause
de la hausse du coût de ce carburant. Les nouveaux tarifs
sont déjà entrés en vigueur dans certains gouvernorats
et quartiers du Caire, mais pas encore dans celui de Choubra.
Là-bas, les usagers s’attendent à devoir payer plus cher
leur trajet sous peu. Pour Attiya, réparateur de bicyclettes,
c’est l’avenir de son fils qui est en jeu : « J’ai dû
retirer mon fils de 10 ans de l’école parce que je n’arrivais
plus à faire face à ses frais de scolarité. Il va travailler
dans mon atelier jusqu’à ce que ma situation financière
s’améliore et que je puisse le remettre à l’école », révèle-t-il
avec amertume.
De
leur côté, les chauffeurs de minibus attendent avec impatience
l’autorisation de hausser le prix du trajet. Un chauffeur
roule en moyenne 200 km par jour, ce qui représentait
une dépense de 16 L.E. en gasoil avant la hausse, et 24
L.E. aujourd’hui. Alors que le salaire d’un chauffeur
était estimé à 25 L.E. par jour il y a quelques mois,
aujourd’hui, ce chauffeur doit se contenter de 15 à 20
L.E. selon le nombre de clients transportés. « Pour se
rendre de Choubra à Imbaba par exemple, le client doit
payer 2,25 L.E., c’est le prix fixé par la municipalité.
Mais il y a des compagnies de minibus qui travaillent
au noir en corrompant des policiers. Ils encaissent 25
pts de plus sur le tarif, ne paient pas d’impôts, ni de
taxes, et nous volent nos clients en les prenant à n’importe
quel coin de rue ... », explique Ramadan Mourad, l’un
des chauffeurs de minibus. Au terminus de Choubra, tous
craignent la prolifération des compagnies de minibus qui
travaillent dans l’illégalité. Un minibus de marque Toyota
coûte environ 200 000 L.E. Si les prix de ces minibus
importés baissent comme le prévoient les nouvelles lois,
de nouveaux concurrents vont se lancer dans le domaine
du transport en commun au noir.
D’après un sociologue qui a requis l’anonymat, ce mécontentement
de la rue s’explique par une incompréhension profonde
entre la classe populaire et le gouvernement : « Ils ne
parlent pas le même langage. Quand le gouvernement parle
d’une hausse du niveau de développement du pays, les gens
ne comprennent pas ce que cela signifie. Ce qu’ils constatent
au quotidien, c’est qu’ils ont du mal à joindre les deux
bouts ». |
A chacun ses pronostics |
Pour ceux
qui ont plus de ressources financières, la baisse des
tarifs douaniers s’interprète différemment. Le vice-président
de la chambre des investisseurs, Adel Al-Ezabi, prévient
que les changements de prix ne se concrétiseront que dans
quelques mois. En effet, les commerçants vont écouler
au prix fort un stock de marchandises achetées avec les
anciens tarifs douaniers. Ainsi, dans le domaine du textile,
des teintures, des fils et des emballages coûtent désormais
moins cher à l’importation, donc les usines produiront
la prochaine collection à moindre coût. Il faudra donc
attendre la prochaine saison pour voir si les prix affichés
en vitrines vont baisser. Mais le phénomène inverse est
aussi prévisible : certains commerçants vont chercher
à écouler au plus vite leur stock avant toute nouvelle
baisse des tarifs douaniers. « Pour éviter toute malversation
et ces jeux sur les prix, les ONG devraient être plus
présentes sur le terrain pour exercer un contrôle rigoureux
», suggère Yasser Ahmad, fonctionnaire municipal, sceptique
quant à une éventuelle baisse des prix. « On va se mettre
d’accord pour réduire les prix au fur et à mesure pour
ne pas subir de trop grandes pertes, puisque l’on a déjà
payé les tarifs douaniers. Les commerçants ne tiennent
pas à servir de bouc émissaire pour satisfaire le peuple
», prévient Saleh, 50 ans, vendeur de jouets.
Face
à tant d’incertitudes, chacun s’aventure à donner sa propre
vision de l’avenir. Un ouvrier de 33 ans, Radwane, qui
travaille dans une usine de textile, voit d’un très mauvais
œil la baisse des tarifs douaniers : « Siles vêtements
importés ne sont plus taxés, ils vont concurrencer le
textile égyptien et beaucoup d’usines vont devoir fermer.
J’ai décidé de changer d’activité et de m’orienter vers
des services, ou tout secteur tertiaire qui offre plus
de garanties à l’avenir », confie-t-il. Pour d’autres,
l’optimisme est revenu. Saad, 27 ans, au chômage depuis
2 ans, a décidé de vendre les ustensiles de cuisine en
cuivre hérités de sa mère pour investir dans l’achat d’un
taxi. « Autrefois, le prix minimum d’une voiture d’occasion
était de 20 000 L.E. Aujourd’hui, on peut en trouver une
à partir de 10 000 L.E. J’ai plusieurs fois pensé à me
lancer dans ce projet, mais les moyens me manquaient.
Le moment est venu », avance-t-il. Entre pessimistes et
optimistes, reste à dire que les citoyens attendent avec
impatience et depuis longtemps un changement palpable
au quotidien. « Ce qui grève le budget familial, ce sont
les téléphones mobiles et surtout les leçons particulières.
Tant que ces deux points ne s’amélioreront pas, la situation
ira de mal en pire », explique Nadra Nakhla, épouse d’un
programmeur informatique et mère de trois enfants. Avec
l’arrivée du mois de Ramadan, les citoyens guettent le
moindre signe d’amélioration pour ce mois de l’année qui
enregistre des taux de consommation record. |
Dina
Darwich
Stéphanie Malek |
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