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Depuis les années 1940, la comédienne et productrice Madiha Yousri n'a cessé d'enrichir le patrimoine cinématographique égyptien. L'Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris vient de lui décerner un prix pour l'ensemble de son œuvres.

L'aristocrate de l'écran

Madiha Yousri nous reçoit dans sa maison à Mohandessine, tirée à quatre épingles, bien maquillée comme d'habitude. Elle semble à l'aise dans l'univers qu'elle s'est créée, entourée d'une centaine de prix placés partout, et de photos d'occasions qui couvrent les murs de la pièce centrale. A 83 ans, elle est encore en pleine forme et n'a rien perdu de son allure aristocratique. En ce moment, une joie un peu particulière se lit clairement sur son visage ; depuis qu'elle est rentrée de Paris.

« C'était un hommage vraiment touchant et la première cérémonie de ce genre consacrée à un artiste égyptien, dit-elle sans cacher sa fierté. J'étais éblouie en voyant ma photo couvrant toutes les brochures de cette édition du festival de l'IMA. Cet intérêt m'a rendue vraiment fière, car c'était un hommage à l'art égyptien avant d'être un hommage à Madiha Yousri ». Une fierté qu'elle a déjà ressentie lors de la remise de chacun des nombreux prix qui l'entourent.

Elle peut paraître au début un peu fatiguée ou stressée, mais dès qu'elle commence à parler de son art, elle retrouve son pouvoir d'attraction et son tempérament habituels. Un tempérament et une sérénité qui l'ont accompagnée depuis ses débuts artistiques ? C'était il y a plus de 60 ans, à Groppi ; elle avait attiré l'attention d'un jeune homme, qui s'était installé sur la table d'en face.

« Je me souviens bien de ce jour-là, raconte-t-elle. Je suis allée me balader un jeudi au centre-ville, après la journée scolaire, avec quelques-unes de mes collègues. Et après avoir fait du lèche-vitrine, nous sommes allées boire du chocolat chaud à Groppi. Cette sortie a changé toute ma vie ». Et de continuer : « C'était le réalisateur Mohamad Karim, encore jeune à l'époque. Il venait de rentrer de France et des Etats-Unis où il avait suivi des études de cinéma, se souvient-elle. Il m'a dit qu'il cherchait des beaux yeux pour qu'Abdel-Wahab leur chante Balach tebousni fi enaya (Ne m'embrasse pas aux yeux) dans le film Mamnoue al-hob (Il est interdit d'aimer). Il m'a fixé un rendez-vous la semaine suivante et m'a demandé de venir le voir à Studio Misr avec l'un de mes parents, en robe du soir noire. Mon cœur battait très fort, mais j'avais peur du refus de mon père, qui était très conservateur. J'ai raconté alors l'histoire de cette rencontre à ma mère, mais elle n'a pas osé lui parler non plus ».

Face au refus du père qui menace d'enfermer sa fille à la maison, elle a recours à sa tante pour le convaincre. Après des heures de supplications, il finit par accepter. Restait alors le problème de la robe. « J'ai fait toutes les boutiques du Caire et je me suis rendue compte que la robe la moins chère coûtait 9 L.E, alors que je n'avais que quelques dizaines de piastres dans ma poche ! J'ai emprunté 5 L.E. de ma tante et j'ai mis ma montre en gage chez un bijoutier, ami à mon père, pour avoir les 5 autres L.E. Ainsi ai-je pu acheter la robe et aller à l'heure au rendez-vous. Ces quelques secondes de tournage ont changé toute ma vie ».

Et ce n'était que le coup d'envoi d'une longue et riche carrière. Pendant la projection de la première du film Mamnoue al-hob, le producteur libanais Gabriel Talhami s'est intéressé à cette jeune fille en qui il voit une vedette montante. Il lui envoie un messager chez elle à Choubra pour lui annoncer qu'elle est sélectionnée pour partager la vedette du film Ahlam al-chabab (Les Rêves des jeunes) avec Farid Al-Atrach. Une chance inespérée, qui ne l'effleurait même pas dans ses rêves les plus fous, dit-elle. Mais encore une fois, c'est la confrontation avec la famille.

Je n'ai pas osé en informer mes parents, se souvient-elle. « Mais il fallait à tout prix ne pas perdre cette occasion qui me tombait du ciel. Alors j'ai pris le risque de me rendre chez le producteur accompagnée par ma tante qui s'est fait passer pour ma mère. Pire encore, elle a écrit une clause pénale dans le contrat du film qui oblige mes parents à payer 1 000 L.E. au cas où je ne jouerais pas le rôle. Mon père ne pouvait donc pas refuser, on l'avait mis sous le fait accompli ». Ce n'était pas sans conséquence. Lorsque la presse eut commencé de publier les nouvelles du dernier film de Farid et les photos du célèbre chanteur et acteur avec la jeune première, pris de rage, le père de Madiha alla jusqu'à des menaces de mort. Mais après l'intervention des voisins et de la famille, il se résigne. « Le succès du film a fait que mon père a enfin cru en mon talent. Il a commencé à être fier de moi au point de collectionner les articles de journaux qui écrivaient mes nouvelles ».

Là seulement, elle a senti qu'elle n'était plus Hannouma Khalil Ali, mais qu'elle était vraiment devenue Madiha Yousri, la nouvelle belle du cinéma égyptien. Un succès qu'elle a décidé de défendre à toute force, au point qu'elle a accepté de se marier avec le chanteur Mohamad Amin qu'elle a rencontré dans le film Mamnoue al-hob rien que pour pouvoir continuer à travailler tranquillement au cinéma, ainsi que pour fuir un prétendant de la famille de 30 ans son aîné. Mais ce mariage n'a duré que quatre ans. Et c'est en 1946 qu'elle a rencontré son premier amour, le Don Juan du cinéma, le cinéaste Ahmad Salem. S'ensuit une idylle de courte durée (deux ans seulement), et une séparation qui la marque profondément, Madiha restera enfermée à la maison un mois entier.

« L'amour a joué un grand rôle dans ma vie, affirme-t-elle. Un simple mot d'amour pouvait me mettre dans un état de joie extrême, voire d'extase. Bien que je me sois mariée plusieurs fois, je considère que ma vie sentimentale était réussie ».

Mais c'est son mariage avec le comédien et chanteur Mohamad Fawzi qui durera le plus longtemps. « J'ai connu Fawzi vers 1944, raconte-t-elle. Il était l'un des élèves de mon mari à l'époque, Ahmad Salem. On était comme frère et sœur, et après ma séparation de Salem, il me rendait visite pour s'assurer que je ne manquais de rien. J'ai joué avec lui dans deux films : Qobla fi Libnane (Un baiser au Liban) en 1945 et Fatma we Marica we Rachel (Fatma, Marica et Rachel) en 1949. Et pendant la soirée de la première de notre troisième film Ah min al-reggalah (Ah, des hommes !) en 1950, alors que nous étions entourés des applaudissements du public, il m'a proposé le mariage ! ».

Un mariage qui a duré dix ans ; mais leur fille n'a vécu que six mois à cause d'une maladie, et leur fils, Amr, meurt le jour de l'obtention de son baccalauréat dans un accident de voiture qu'elle lui a offerte pour sa réussite. Des crises qui pourraient bouleverser la vie d'une mère, mais pas celle de Madiha Yousri.

« J'ai rencontré des obstacles, enduré des problèmes. Ces difficultés m'ont laissé un goût d'amertume et de chagrin, mais aussi de l'expérience, avoue-t-elle. Lorsqu'on perd une chose ou une personne qui nous est chère, on apprend à mieux apprécier et préserver ce qu'on a. Et moi j'apprécie mon art ».

Depuis le début de sa carrière et jusqu'à maintenant, Madiha Yousri est connue pour le choix minutieux de ses rôles. De la jeune fille coquette à la femme de Khaled Ibn Al-Walid, et du rôle de l'étudiante jusqu'à celui de la grand-mère dans ses derniers films, elle a réussi à toujours paraître innovante. On l'a vue sur l'écran romantique, comique et parfois tragique, mais toujours dans des films de valeur et dans des rôles qui cherchent à transmettre un message.

« J'ai promis à mon père le jour où il m'a permis de devenir comédienne de choisir des rôles qui seraient utiles à la société et je pense avoir tenu ma promesse ».

Avec 130 films, Madiha Yousri a pu rencontrer de nombreux réalisateurs du cinéma égyptien et arabe, non seulement comme actrice, mais également en tant que productrice. « J'ai produit 12 films, y compris Al-Avocato Madiha (Madiha, l'avocate) en 1950, écrit, joué et réalisé par Youssef Wahbi, et Enni rahéla (Je vais quitter) en 1955, et ils m'ont choisie également pendant les années 1950 pour produire des filpour l'Association publique du cinéma. C'était alors la production de plusieurs grands films, tels que Saghira ala al-hob (Trop jeune pour aimer) et Al-Cirk (Le Cirque) », affirme-t-elle avec une grande fierté. Avant de changer de ton en poursuivant : « Mais, malheureusement, aujourd'hui tout a changé. Rares sont les œuvres cinématographiques qui visent à réformer la société. Et la majorité des films des jeunes cinéastes sont dénués de profondeur et ne cherchent qu'à faire rire ».

Madiha Yousri est quelqu'un de très actif. Avouant qu'elle s'ennuie rapidement, par nature, elle a toujours refusé de faire du théâtre, rien que pour ne pas répéter le même dialogue chaque jour. C'est cet ennui qui l'a poussée un jour à décider de se retirer de la scène en se mariant avec le cheikh Ibrahim Salama Al-Radi, le cheikh de la doctrine soufie, visant à s'éloigner de l'art et à changer de vie. Mais, face à son grand amour pour le cinéma, et aux malentendus avec son cinquième époux, ils se sont séparés. Elle décide alors de ne jamais plus penser au mariage. « Le cinéma est devenu mon seul amour pour lequel, et par lequel, je vis », souligne-t-elle.

Vivant seule dans sa maison, Madiha Yousri mène depuis des années une vie calme. Les coups de téléphone quotidiens qu'elle reçoit des comédiennes Naglaa Fathi, Nabila Ebeid et Yousra lui suffisent, surtout si on sait qu'elles l'appellent Mama Madiha. Entourée des plantes qu'elle considère comme « ses enfants », elle passe beaucoup de temps à en prendre soin personnellement.

Choisie par le président Moubarak comme membre au Conseil consultatif, elle a passé cinq ans de sa vie à servir le cinéma et l'art en essayant d'en résoudre les problèmes.

Loin de cette mission officielle, elle en a beaucoup d'autres sociales et personnelles. Elle a toujours un emploi du temps très chargé. Elle n'aime jamais être en repos ou sans rôle.

« Les jours où je n'ai pas de tournage, je passe mon temps dans les réunions de mission humanitaire, auxquelles je participe depuis des années. Je visite également des amis malades dans des hôpitaux ». C'est grâce à ces activités humanitaires qu'elle se sent toujours jeune et active. Un succès social, non moins important que son succès au cinéma.

Yasser Moheb

Jalons:

3 décembre 1921 : Naissance à Choubra.

1942 : Premier succès avec le film Ahlam al-chabab (Les rêves des jeunes).

1963 : Médaille de la Création, décernée par le président Sadate.

1999 : Membre au Conseil consultatif égyptien.

2002 : Hommage du Festival international du film du Caire.

2004 : Prix du Festival de l'IMA.

 

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