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Avec plus de 55 ans passés au Collège de la Sainte Famille des pères jésuites du Caire, les souvenirs de Père Louis Sans traversent les époques. Sa vie est intimement liée à l’histoire de l’établissement
Un demi-siècle de dévouement

18h30, le père Louis Sans célèbre la messe latine en français, comme il le fait tous les soirs. De taille moyenne, la silhouette frêle, du haut de ses 83 ans, sa démarche est posée. Ses lunettes laissent transparaître des yeux ronds et expressifs portant des regards attentionnés et affectueux. C’est au parloir de l’école, situé au-dessous du théâtre, qu’il accueille ses visiteurs. Ce bâtiment, séparé du reste du collège, est situé en face de l’église. Aujourd’hui, le père Sans n’enseigne plus. Mais fidèle à ses habitudes et à son engagement, il continue à discuter avec les élèves de leurs lectures. Car il a enseigné pendant près de 40 ans la langue française en classes préparatoires du Collège de la Sainte Famille (CSF). Et pendant quasiment 20 ans, il a été responsable de la langue française dans le même cycle. « J’ai toujours encouragé les élèves à la lecture ; je suis content de les voir lire et s’ouvrir à la langue française », dit-il.

Jésuite depuis l’âge de 18 ans, il suit un rythme de vie bien réglé : réveil à 6h15, petit-déjeuner à 7h en compagnie d’autres pères. Et pendant l’année scolaire, il reçoit les élèves désireux d’emprunter des livres ou de « passer un entretien ». A 13h, c’est le déjeuner puis à 20h, le dîner. « Etre jésuite, c’est vivre en communauté. Entre pères, on se connaît depuis longtemps, on supporte allègrement les défauts des uns et des autres. C’est une vie simple. Nous vivons en famille, il faut s’entraider », affirme-t-il d’une voix cadencée. Le père Sans articule chacun des mots qu’il prononce, comme lorsqu’il donnait des cours.

Sa chambre au deuxième étage est située près des classes. Une pièce moyenne, ordonnée, avec une bibliothèque bien garnie nous permet de découvrir un peu plus ce personnage très discret, qui a marqué de son savoir des générations et des générations d’élèves du CSF. Dans sa chambre, on trouve une horloge murale avec une photo de lui, cadeau d’élèves. Des centaines de livres de la série Je Bouquine, des romans tels Michel Strogoff et Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne ou Sans famille, d’Hector Malot, garnissent les étagères.

Les élèves viennent souvent emprunter ces ouvrages, notamment pendant la récréation. Le père Sans essaye alors de les orienter vers des auteurs comme Marcel Pagnol. « Actuellement, ils sont moins nombreux à venir et leur niveau de français a baissé », dit-il avec un brin de regret. Et d’ajouter : « Il me faut aussi lire tous les livres que les élèves lisent. La lecture occupe une grande partie de mon temps », confie-t-il.

« Personnellement, j’aime les livres historiques, l’histoire de l’Eglise par exemple et des Jésuites en particulier comme les deux gros volumes de Jean Lacouture, Jésuites I et II ». Il montre aussi un livre sur Ibn Khaldoun. « En parlant d’une personne, on survole toute une époque ».

C’est le père Sans qui a introduit dans le cycle préparatoire le système des « entretiens » dans les années 1970. Chaque étudiant doit alors lire un livre puis inscrire dans un cahier spécial le titre du roman, les personnages principaux et quelques paragraphes lui ayant plu. Ensuite, il discute avec un professeur pour que ce dernier s’assure de la bonne compréhension de l’ouvrage en question.

Pendant son premier séjour en Egypte (1947-1950), le père Sans a travaillé comme surveillant du cycle préparatoire. Ce qui l’a beaucoup marqué durant cette période, c’est la beauté de la propriété des Jésuites à Matariya, tout près de l’arbre de la Vierge Marie. Un terrain bien entretenu, avec des allées sablonneuses, des palmiers magnifiques, et surtout une piscine. Il s’y rendait avec les pensionnaires une ou deux fois par semaine. Car il fallait les occuper 24h sur 24, douze mois sur douze.

C’était surtout une période très active et pleine d’aventures. « A deux ou trois reprises, lors de nos camps en mer Rouge, nous avons eu des invasions de coccinelles. Ces insectes très petits nous couvraient tout le corps et nous empêchaient de manger. Ils ont même réussi à nous faire quitter Aïn-Sokhna », se souvient-il.

Il n’empêche, ajoute-t–il, que ces excursions à pied et à bicyclette en mer Rouge étaient un excellent moyen de faire découvrir l’Egypte aux élèves. Ce qui était très important pour leur formation. D’un souvenir à l’autre, il évoque aussi les camps d’été à Ras Al-Bar avec le père Jobin et le père Gallez.

C’est à Lyon que le père Sans a pris goût aux grandes marches à pied grâce à un père jésuite qui organisait, pour les lycéens, toutes sortes d’excursions et de camps dans les Alpes. Il se rappelle alors son enfance à Lyon, où il est né et où il était le 4e d’une famille composée de 6 enfants. Il a fait ses premières classes dans un grand collège des pères Maristes, à Saint-Chamond, près de Lyon, avant de poursuivre dans le grand Lycée du Parc jusqu’au bac. C’était un élève ordinaire, mais passionné de football. Il a été marqué par le charisme de ce jésuite qui s’occupait des lycéens avec un dévouement et un savoir-faire admirables.

« Je suis devenu novice jésuite en 1939, année de la déclaration de la seconde guerre mondiale », dévoile-t-il sur un ton calme. Il se souvient avec amertume de toutes les souffrances vécues pendant la guerre. L’Allemagne s’emparait de tous les biens. « Une épidémie de typhoïde a frappé notre communauté et il y a eu 4 morts, malgré la pénicilline dont l’emploi ne faisait que commencer en France ». Plus d’armée ni de service militaire, mais les Allemands réquisitionnaient les jeunes Français pour les faire travailler en Allemagne, dans les usines, etc. Il fallait donc se cacher. En même temps, tout manquait : nourriture, médicaments, mazout pour faire fonctionner les chaudières. Durant ces temps difficiles, le père Sans a effectué des études de lettres classiques (français, latin et grec), de philosophie et de théologie. Il a fait ses premiers vœux de religieux en 1941. Et a pu échapper aux Allemands.

« Finalement, en tant que jésuite, je suis arrivé en Egypte le 8 septembre 1947 ». Il a été surveillant de la 3e division et des pensionnaires. Ses yeux pétillent en se rappelant que les cours de récréation étaient divisées en trois par des barrières pour séparer les grands des petits. Les jeux étaient organisés en concours ; ce qui plaisait aux uns, mais ennuyait les autres qui voulaient plutôt jouer en liberté. Le dimanche matin, les élèves chrétiens venaient assister à une messe chantée, puis à des cours de catéchisme.

Remontant dans le passé, il raconte : « Le préfet, le père Brunet, était là depuis 10 ans et il connaissait personnellement tous les élèves et professeurs. Il était très sévère mais très aimé en même temps. Chaque année, sa fête était célébrée en grande pompe ».

« Vers 1960, l’Egypte avait de mauvais rapports avec la France à cause de la guerre de 1956 et elle ne permettait pas l’achat de livres français. Je connaissais le niveau des élèves, il m’a semblé que je pouvais écrire des livres qui leur seraient adaptés. C’est ainsi que j’ai écrit Grammaire Secours et Exercices Secours. J’ai aussi participé à la préparation d’autres livres pour l’explication de textes, sous la direction de M. Lucien Brosse, du Centre culturel français, qui a créé une équipe de six professeurs de six écoles de langues différentes qui se réunissait tous les jeudis après-midi de 16h à 19h. Ainsi fut produite une double série de livres pour le cycle préparatoire. Ces manuels étaient évidemment bien adaptés, puisqu’ils étaient produits par leurs futurs utilisateurs. Mais aujourd’hui, avec le recul du temps, on peut se demander s’il n’aurait pas fallu reprendre les livres venus de France dès que leur importation est redevenue possible. Il y a eu alors un choix à faire entre qualité et adaptation ».

Autrefois, la routine de la vie de père Sans était différente, notamment lorsqu’il était responsable de classes : préparation, cours, examens et correction. « Nos conditions de travail ont évolué ; les événpolitiques ont été déterminants, mais pas dans le bon sens pour nous. De plus, il y a eu un passage progressif du nombre des élèves par classe de la vingtaine à la trentaine ; diminution du nombre de familles francophones ; diminution aussi du nombre d’amateurs de lecture », remarque-t-il. Avant d’ajouter : « Si nous regardons en arrière, nous voyons que le milieu de nos élèves aussi a changé : autrefois, nous avions de nombreux fils de riches propriétaires terriens et de pachas. Maintenant, ce sont plutôt des fils de commerçants, ou d’industriels ».

Selon lui, l’Egypte a toujours fait de gros efforts pour assimiler une natalité très forte qui est pour elle à la fois un fardeau et une richesse. « Ce pays progresse beaucoup ; on le voit par exemple en comparant les autos de maintenant, qui sont souvent neuves, et celles d’il y a 40 ans : Quelles vieilleries ! Mais hélas, maintenant encore, la grande richesse voisine avec une grande pauvreté ».

Le père Sans est maintenant à la retraite. Il a eu la joie de transmettre sa charge à un successeur « souriante », mère d’un jeune ancien élève du collège. Que fait-on quand on est à la retraite ? « La retraite tire un voile sur ce qui était l’essentiel de la vie : le travail professionnel avec toutes ses exigences. Elle fait ainsi apparaître la possibilité d’une nouvelle vie, moins agitée et plus riche de réflexion », avoue-t-il.

Si le père Sans a passé toute sa vie en Egypte, c’est parce qu’il s’y est senti totalement à l’aise et entouré d‘une constante affection. Et de confier : « La richesse de l’Egypte c’est une hospitalité incomparable et toujours souriante ».

Charbel Héchéma

Voir aussi le Dossier

Jalons

1921 : Naissance en France.

1939 : Novice jésuite.

1941 : Premiers vœux de religieux.

1947 : Arrivée en Egypte (1er séjour).

1950-1956 : Jésuite hors d’Egypte.

1956-1957 : Préfet du Collège de la Sainte Famille.

1960 : Professeur de français au collège.

1975-2000 : Responsable du français en cycle préparatoire.

1989 : Noces d’or de sa vie en tant que jésuite.

 

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