Au
cours de la cérémonie organisée samedi dernier à l'occasion
de la visite de Bill Gates en Egypte, je me suis trouvé à une
table rassemblant un groupe d'hommes d'affaires ainsi que les
ambassadeurs de Grande-Bretagne et de Belgique. Juste en face,
il y avait la table de l'invité d'honneur qui était assis aux
côtés du premier ministre, Atef Ebeid. Mon voisin de table se
pencha vers moi et me demanda ce qui pouvait se passer si Bill
Gates et Atef Ebeid échangeaient les places. Je répondis que
je ne pouvais pas imaginer ce qui pourrait advenir de l'Egypte
si ce génie, qui a fait de sa société l'une des réussites commerciales
les plus gigantesques du monde, la prenait en charge. Mais je
sais très bien ce qui adviendrait à Microsoft si notre
chef du gouvernement s'en chargeait.
Cet
homme qui visite l'Egypte actuellement n'a que 49 ans, mais
il est l'un des plus riches au monde, voire même de toute l'Histoire.
Tout son argent est le fruit de son intelligence et il n'a hérité
d'aucun centime. C'est le génie mondial n°1 en matière de programmation
informatique, sans un diplôme universitaire. Il a intégré Harvard,
mais l'a quittée après 3 ans pour fonder avec un ami Microsoft,
aujourd'hui l'une des plus grandes compagnies au monde en matière
de technologie de l'information et dont le capital a atteint
140 milliards de dollars, soit le double du PNB égyptien selon
le rapport du gouvernement Ebeid, alors que ses bénéfices annuels
sont de 32,19 milliards de dollars.
Tout
ceci n'émane pas du vide. Gates, à l'âge de 20 ans, a déployé
un énorme effort depuis la fondation de Microsoft. Au
moment où la journée de travail selon la loi internationale
était de 8 heures, Bill Gates, lui, travaillait 14.
Il
ne se contente pas de s'asseoir sur le siège de PDG, mais il
est responsable d'un poste très important : celui du développement.
Il a d'ailleurs consacré une somme de 6,8 milliards de dollars
du budget de sa société pour la consacrer aux recherches et
au développement.
Bill Gates était en Egypte en réponse à une invitation d'Ali
Al-Faramawi, président de Microsoft Proche-Orient, pour
inaugurer la conférence « des leaders gouvernementaux
arabes ». Faramawi a raconté, en présentant Bill Gates
au cours du dîner, une anecdote amusante, mais très significative.
Il a déclaré qu'il avait un jour reçu une enveloppe du bureau
de Bill Gates de Seattle. Seuls quelques mois s'étaient écoulés
depuis sa nomination, il a donc écarté l'idée que ce soit une
lettre de licenciement. Quelle serait donc la raison d'une telle
missive du propriétaire en personne ?
Après
avoir ouvert l'enveloppe, il trouva à l'intérieur une autre
missive avec une note de la directrice du bureau de Gates d'accorder
un intérêt à ce sujet en particulier. Cette enveloppe comportait
une lettre signée d'un jeune Egyptien originaire du gouvernorat
de Charqiya, envoyée à Bill Gates, qui comportait deux lignes
seulement en anglais et le reste en arabe. En premier, il invitait
Gates à visiter l'Egypte en lui décrivant la beauté du pays
et la magnificence de son archéologie, puis s'informait sur
les stages de Microsoft.
Faramawi
déclara en riant qu'il a fallu 7 ans pour que Bill Gates réponde
à l'invitation du jeune Egyptien. Alors que l'autre recommandation,
les stages, a été appliquée sur-le-champ à travers le siège
de la compagnie au Caire.
Je
me suis arrêté longtemps devant cette anecdote racontée par
le président de Microsoft Proche-Orient pour rire. Cependant,
je l'ai trouvée extrêmement sérieuse. J'ai d'ailleurs fait le
lien avec la question que m'a posée mon voisin de table au début
de la soirée. Et je me suis demandé combien de lettres de ce
genre sont envoyées par nos citoyens aux responsables, ministres,
gouverneurs ou chefs de quartiers, sans que ces derniers ne
les reçoivent, et si elles sont reçues, elles trouvent leur
chemin vers les poubelles, malgré les plaintes amères qu'elles
comportent ou bien des appels à lever une quelconque injustice.
L'envoi
de plaintes aux responsables est une tradition typiquement égyptienne
et remonte à l'époque des pharaons. Le jeune de Charqiya qui
a envoyé une lettre à Bill Gates l'exhortant à assurer l'apprentissage
des techniques Microsoft n'est que le descendant du « paysan
éloquent » qui a envoyé au pharaon d'Egypte une plainte
concernant l'âpreté de la vie sous l'emprise de la crise économique
et lui demandant de promulguer ses directives aux collectionneurs
des impôts pour alléger la souffrance des paysans qui n'avaient
plus rien pour payer.
Si
la lettre du paysan éloquent a trouvé une place dans les textes
de l'histoire antique comme l'incarnation de l'éloquence et
de la finesse du paysan égyptien dans sa demande de lever l'injustice,
celle adressée à Gates introduit dans notre littérature une
preuve de l'inertie gouvernementale et du peu de cas qu'elle
accorde à la valeur du citoyen.
Bill
Gates aurait pu agir comme nos responsables et se dire :
« En quoi cela me concerne l'apprentissage ou non de
l'informatique d'un jeune Egyptien ignorant l'anglais ?
Qu'il aille au diable avec son gouvernement qui n'arrive pas
à lui procurer les opportunités que les écoles américaines accordent
à leurs élèves ! Et peu m'importe ce pays africain pauvre
dont ma fortune dépasse de loin son budget annuel ».
Même
si Bill Gates n'avait pas personnellement lu la lettre du jeune
Egyptien, il est manifestement clair qu'il a créé un système
qui accorde un grand intérêt aux correspondances qu'il reçoit.
Est-ce là que réside l'une des raisons de son succès ?
Mon
intérêt s'est accru quant à la question de mon voisin de table
et je me suis trouvé en train de répéter : « Qu'adviendrait-il
si Gates était effectivement notre chef du gouvernement ? ».
Gates
a accordé une importance majeure dans son allocution à l'enseignement
et au fait que l'ordinateur est devenu l'un des outils élémentaires
à cet égard. Il a déclaré qu'il a tenu à faire en sorte que
l'ordinateur soit à la portée de tous.
Il
a écrit dans son livre The Road Ahead (1995) que pour
connaître le revenu par personne dans le passé, il suffisait
de savoir son pays d'appartenance, mais aujourd'hui ce qui le
détermine, c'est le niveau de l'éducation acquis.
Gates
a déclaré que le progrès scientifique se fait à pas de géant
et à une vitesse vertigineuse, à tel point qu'il est difficile
de prédire le progrès que réalisera l'ordinateur à la fin du
siècle. Bill Gates n'est pas de ce type d'hommes d'affaires
avides, mais il a une conscience sociale élevée et fait beaucoup
de dons, surtout pour les recherches scientifiques et médicales.
On lui a demandé ce qu'il ferait de ces milliards. Il répondit
qu'il voulait qu'ils reviennent à la société.
Bill
Gates tient à placer tous ses fonds dans des investissements
productifs, car il estime que la sécurité de n'importe quelle
société réside dans le volume de l'argent versé pour le développement
de l'avenir et non pas ce qui est versé pour la consommation
au présent.
La
conférence internationale organisée par Microsoft au
Caire, regroupant des représentants des différents gouvernements,
pour l'échange d'expériences, avait pour thème l'usage de la
technologie dans la modernisation de la performance gouvernementale
et le développement des services publics.
L'allocution
de Gates a duré moins d'une demi-heure et a été suivie par des
questions de l'assistance. Et enfin, mon voisin me dit encore
une fois : « Vois-tu, ce ne serait pas une catastrophe
qu'un tel homme soit à la tête de notre gouvernement ».
Je rétorquai : « Mais la catastrophe est celle
qui s'abattrait sur Microsoft ».
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