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Business insolite . Des malades bien particuliers exploitent leurs maladies chroniques en servant de sujet d'étude lors des examens à des étudiants qui veulent réussir à tout prix. Un circuit illégal, mais au su et au vu de tous, qui leur rapporte de l'argent et sauve la mise des futurs médecins.
Une location hors genre

A l'hôpital de Qasr Al-Aïni, dans le pavillon de chirurgie n° 29 , une dizaine de malades sont alités. Angoissé, Hassan, étudiant en dernière année de médecine, se prépare à faire un examen clinique d'un malade. Une épreuve déterminante pour obtenir son titre de médecin, puisqu'elle compte pour 60 % de la note finale. « Tu disposes de 10 mn pour poser ton diagnostic sur ce malade. Tu dois m'indiquer les symptômes, les causes, l'évolution de la maladie et le traitement à proposer, bref je veux tout savoir sur cette affection », ordonne le professeur à Hassan. Le futur médecin, crispé, pose son stéthoscope à droite puis à gauche, le met de nouveau, cherche à écouter les battements du cœur, prend le pouls du patient et avant même de commencer à poser des questions à son malade pour mieux comprendre le mal qui le ronge, ce dernier lui lance : « Ne vous fatiguez pas, jeune homme. Je peux vous décrire tous les symptômes de ma maladie en anglais, vous donner toutes les informations nécessaires et même répondre à toutes les questions que votre professeur est censé vous poser. Un bon conseil, au lieu de perdre votre temps, glissez seulement deux billets de 100 L.E. sous mon coussin et vous aurez une excellente note ». Hassan, embarrassé, promet au patient de lui donner tout ce qu'il veut après l'examen, puis continue son investigation en posant des questions essentielles afin de fixer son diagnostic. Mais le malade s'enferme dans un mutisme obstiné. Hassan comprend qu'il n'a pas d'autre choix que de lui remettre la somme qu'il a réclamée. Soudain, la langue du malade se dénoue et il commence à déballer tout ce qu'il sait sur sa maladie comme s'il récitait une leçon par cœur.

C'est lors des examens cliniques de la quatrième à la sixième année que la plupart des étudiants en médecine sont confrontés à de telles situations. En fait, les professeurs ont recours durant les cours particuliers ou théoriques à l'université à des malades pour faire parvenir les informations médicales aux étudiants. « Et dire qu'à notre époque, le patient n'osait pas bouger, encore moins réclamer un sou aux étudiants. Aujourd'hui, ces derniers se voient obligés de collecter des sommes d'argent pour les remettre à des malades qui rejettent tout traitement parce que leur maladie est devenue un gagne-pain », explique le Dr Amin, chirurgien à l'hôpital de Qasr Al-Aini.


Des maladies qui rapportent

Et d'ajouter : « Avec le nombre toujours croissant des étudiants en médecine et l'importance des examens cliniques durant leur cursus, ce genre nouveau de business a fait son apparition. Autrement dit, des personnes atteintes surtout de maladies chroniques ou graves (problèmes cardiaques hépatiques ou pulmonaires, cancer, insuffisance rénale) utilisent leur état de santé sans s'inquiéter des conséquences pour gagner de l'argent ». A la fin de la consultation qui ne dépasse pas souvent les deux heures, chaque malade récolte au moins une centaine de L.E. Et avec des examens cliniques aussi courants, ces malades d'un genre particulier finissent par apprendre par cœur le moindre détail de leur maladie et par tenir en otage les étudiants n'hésitant pas à exploiter leur peur d'échouer. Chose encore plus étrange, ces malades présentent ce type de service à toutes les facultés de la médecine en Egypte. Ils connaissent l'organigramme de chacune d'entre elles, ce qui leur permet de mieux s'organiser.

Au café Al-Attébaa (les médecins), situé devant l'hôpital Qasr Al-Aini, Saber, infirmier, a fixé un rendez-vous avec plusieurs personnes atteintes de maladies graves. Il fait aussi partie de ce circuit de la vente de la maladie. Un circuit apparemment bien organisé. « C'est au courant de cette semaine que les épreuves vont avoir lieu. Vous devez être présents à l'hôpital la veille des examens. Pas une minute de retard, car je peux vous remplacer par d'autres. N'oubliez pas, je prends 40 % de la somme que vous percevrez », leur dit Saber. Cependant, il semble que l'un d'eux n'est pas content, il trouve que 40 % c'est un peu trop. « Pitié. C'est le rizq (gain de pain) de mes enfants que tu es en train d'extirper. De plus, la majorité des étudiants n'ont pas les moyens de nous verser de l'argent ou ne sont pas assez généreux », réplique Ragab, atteint d'une cirrhose du foie. Menuisier de profession, ce dernier a arrêté de travailler suite à cette maladie. Il a fait la connaissance de Saber lors d'une de ses visites à l'hôpital, et c'est grâce à lui qu'il a commencé à gagner son pain. « Comment subvenir aux besoins de mes trois enfants scolarisés dans différents cycles, sans compter les 300 L.E. que je dois verser mensuellement pour les médicaments », explique-t-il, tout en ajoutant qu'au début il se rendait dans les hôpitaux seulement à la période des examens, et peu à peu il s'est présenté dans d'autres centres hospitalo-universitaires et perçoit de chaque étudiant durant les cours particuliers une somme de 2 L.E. Selon lui, les malades qui gagnent le plus d'argent sont ceux atteints des maladies chroniques, ceux qui ont fait des accidents vasculaires graves ou souffrent de maladies nerveuses ou de problèmes thyroïdiens. Des maladies qui exigent des étudiants un examen clinique bien approfondi. Et bien que certaines maladies soient traitables, ceux qui en sont atteints refusent de se soigner. Abdou a un rétrécissement de l'artère coronaire. Il refuse de subir une intervention chirurgicale, alors que les médecins lui assurent la réussite de cette opération. Depuis une dizaine d'années, il fréquente les hôpitaux. et offre ses services aux étudiants. Il s'est même lancé définitivement dans ce business, puisqu'il a ouvert un centre dans le quartier de Manial et son travail consiste à rassembler et louer les malades pour le compte de plusieurs hôpitaux. « Je n'ose pas mettre en jeu mon gagne-pain en acceptant une intervention qui risque de ne pas réussir », avoue Abdou.


Tout le monde en profite

Les étudiants sont à la merci de ces malades, puisqu'ils se voient obligés de payer pour poser un diagnostic. La loi de l'examen n'est pas respectée. Il y a deux types d'épreuves, l'une qui dure 45 mn et l'autre 20 mn. Or, le nombre d'étudiants en médecine est important. Aussi, le manque de temps dont disposent les professeurs a fait que la période de cet examen clinique ne dure que 10 mn pour chaque étudiant. « Comment peut-on poser un diagnostic en si peu de temps, alors que l'on doit poser des questions sur son passé médical ? Il est préférable de verser une somme équivalente à 200 L.E. au malade pour qu'il soit accommodant que de perdre toute une année d'étude », souligne Yasser qui a déjà versé 400 L.E. à cet effet. Il raconte que sa collègue Hoda dont les moyens sont modestes n'a pas réussi à rassembler les 150 L.E. que le malade lui avait réclamées. Et bien qu'elle ait supplié le patient de lui laisser le temps de rassembler cette somme, ce dernier a refusé. Il a fallut qu'elle lui remette sa chaîne en or pour qu'il consente à répondre à ses questions. Ce qui n'est pas le cas de Sami qui a essayé de faire le malin en voulant soutirer le plus d'informations possible du patient. Mais ce dernier lui a donné des informations erronées sur sa maladie. Résultat, il a refait l'année.

Seuls les étudiants brillants qui sont sûrs de leur compétence ne sont pas pris au piège posé par ces malades sans scrupule. Wissam, un étudiant en cinquième année de médecine, a bien révisé. Il a déjà passé de tels examens cliniques l'année précédente et connaît bien les ruses des patients. Devant la réticence du malade, il commence à perdre patience, mais continue sa consultation quand même en décrivant la maladie. Rien à faire, Wissam informe son professeur de la déloyauté du malade. Ce dernier l'autorise à changer de lit pour présenter un autre cas.

Cependant, cette conspiration des malades est connue par tles professeurs, mais il n'y peuvent rien. Une fois, le personnel responsable des examens a voulu donner une bonne leçon à ces malades pour qu'ils ne participent pas aux examens. Pourtant, ces derniers n'ont pas manqué de ruses. Sachant exactement les dates et les horaires, ils se sont fait hospitalisés en passant la consultation externe. Le médecin de garde ne les connaissant pas, les a dirigés vers le pavillon et les étudiants les ont retrouvés de nouveau. « Sans moi, ces étudiants ne deviendront jamais des médecins. Je sers la médecine, en même temps je gagne ma vie », lance le vieil homme atteint d'une tumeur à la vessie à une jeune étudiante. A une autre, qui est sur le point de passer son épreuve et qui lui souhaite un prompt rétablissement, il lui répond : « Pourquoi tiens-tu à ce que je guérisse. Au contraire, tu dois prier pour que je reste dans cet état, car c'est mon seul moyen pour faire vivre ma famille », rétorque-t-il en la fixant des yeux.

Chahinaz Gheith

 

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