Les
pays du monde sont en course pour la reconstruction de l'Iraq,
dont le coût est estimé à 100 milliards de US$. Cette reconstruction
est la plus importante depuis celle du plan Marshall, lancé
par les Etats-Unis en Europe au lendemain de la seconde
guerre mondiale pour reconstruire ce que l'Allemagne nazie
avait détruit. Dans de telles conditions, n'avons-nous pas
le droit de nous demander où en est le rôle de l'Egypte ?
Cette question ne provient pas d'une volonté de profit matériel
pour s'emparer d'une part du gâteau, mais plutôt de la responsabilité
de l'Egypte à l'égard du monde arabe. Une responsabilité
que personne d'autre que l'Egypte ne peut assumer, l'Egypte
qui a reconstruit l'Algérie après la guerre de libération
ainsi que d'autres pays arabes, de l'Arabie saoudite à la
Libye. Aujourd'hui, il lui incombe d'assumer un rôle similaire
en Iraq, car seule l'Egypte, avec d'autres pays arabes qui
en ont les moyens, peut mener à bien cette mission. Quant
aux projets de reconstruction qui seront menés par les seuls
Etats-Unis, ils ne feront que consacrer l'occupation. Chaque
nouvelle installation construite par les Américains déclenchera
une colère populaire contre la présence étrangère.
Une
conférence sur la reconstruction de l'Iraq a été inaugurée
le 5 mai. Au cours de cette réunion, les compagnies américaines
ont pris des contacts via le courrier électronique avec
les responsables américains qui supervisent les projets
de reconstruction de l'Iraq afin d'explorer les moyens de
leur participation à ces projets. Le président d'Equity
International, William Loiry, a déclaré dans le dernier
numéro du Newsweek que sa société a supervisé des
projets de reconstruction semblables à ceux qui auront lieu
en Iraq, au Kosovo, en Bosnie et en Afghanistan. Cependant,
ceux de l'Iraq seront les plus importants vu l'ampleur des
destructions et l'importance de la population qui bénéficiera
de ces projets qui dépasseront de loin ceux du Kosovo, de
la Bosnie et de l'Afghanistan réunis.
Andrew
Natsios, président de l'Agence américaine pour le développement
international, était parmi les responsables qui se sont
adressés aux participants à la conférence. Il leur a proposé
des projets de réparation des puits pétroliers, le rééquipement
des hôpitaux, la reconstruction des routes, des aéroports
et des ports, la mise en place de réseaux d'eau, la construction
des organismes gouvernementaux, des écoles et des réseaux
d'irrigation agricole. Tout ceci s'inscrit dans une longue
liste de projets couvrant tous les aspects de la vie qui
ont été détruits par les bombardements américains de l'Iraq.
Les
entreprises américaines qui seront choisies pour effectuer
les projets de reconstruction de l'Iraq seraient des sous-traitants
de six grandes entreprises américaines ayant effectivement
obtenu des contrats du ministère de la Défense. A
la tête de ces sociétés, Halliburton dont l'ancien
président n'était que le vice-président américain Dick Cheney,
qui entretient toujours des contacts avec cette entreprise,
et surtout sa filiale Kellog Brown&Root.
Il y a aussi Bechtel Corp. qui était présidée par
George Shultz, ancien secrétaire d'Etat américain. Cette
dernière a pu obtenir deux contrats en Iraq dont la valeur
atteint un milliard de US$, l'un deux concerne la reconstruction
du port d'Oum Qasr.
En 1983, alors que Georges Shultz était au département d'Etat,
le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, avait
visité l'Iraq et rencontré Saddam Hussein pour le convaincre
de conclure avec Bechtel un contrat d'extension des
pipelines du pétrole iraqien vers le port d'Aqaba.
Le
fait que ces six sociétés se sont accaparées les contrats
de la reconstruction de l'Iraq a provoqué un état de grogne
chez les autres entreprises américaines qui n'ont pas été
choisies pour cette mission. L'affaire est allée même jusqu'au
Sénat. Plusieurs sénateurs dont Hillary Clinton ont présenté
une interpellation pour savoir les raisons du choix de l'Administration
américaine de certaines entreprises bien déterminées pour
effectuer les projets de reconstruction de l'Iraq, sans
lancer d'appels d'offre.
La
différence entre le plan Marshall et la reconstruction de
l'Iraq est que le premier visait à reconstruire ce que l'ennemi
nazi avait détruit pendant la guerre. Quant à l'Iraq, ce
sont les Etats-Unis eux-mêmes qui ont détruit les réseaux
d'électricité, d'eau, les immeubles gouvernementaux et les
écoles. Ce sont eux également qui ont détruit les ports,
les aéroports et tous les services pour qu'ils prennent
en charge leur reconstruction après la guerre. Personne
ne sait pourquoi ont été frappés les réseaux d'électricité
et d'eau de Bagdad. Ceci au moment où les forces américaines
ne cessaient de parler de leurs « bombes intelligentes »
qui atteignent, selon elles, leurs objectifs avec une grande
précision.
En
Iraq, c'est le Pentagone qui attribue les projets aux entreprises
américaines qu'il choisit de son plein gré sans intervention
aucune d'une partie iraqienne. Donc, les Etats-Unis concluent
un contrat avec eux-mêmes.
Contrairement
aux précédentes opérations de reconstruction en Europe,
la reconstruction de l'Iraq se fait aujourd'hui conformément
à un plan établi par les Etats-Unis et en dehors de toute
participation ou approbation des Nations-Unies ou des organismes
internationaux. Seuls les Etats-Unis choisissent les sous-traitants.
Ellen Yount, de l'Agence
américaine pour le développement international, a déclaré
que l'unique moyen pour assurer la participation des entreprises
non-américaines aux projets est de devenir des sous-traitants
pour les sociétés américaines. Elle a fait des déclarations
au New York Times selon lesquelles les opérations
de reconstruction pourraient durer trois ans.
J'ai été récemment
étonné de voir un important homme d'affaires égyptien se
plaindre de l'absence complète de l'Egypte des opérations
de reconstruction de l'Iraq. Je lui ai dit que je savais
qu'au moins deux hommes d'affaires égyptiens ont obtenu
des contrats en Iraq. Lorsque j'ai signalé à mon interlocuteur
les deux noms, il me déclara qu'il n'avait jamais entendu
parler du contrat du premier. Quant au second, il a dit
qu'il avait obtenu son contrat non pas en sa qualité d'homme
d'affaires égyptien, mais en sa qualité de propriétaire
d'une société privée établie aux Etats-Unis. Il a ajouté
que ceci n'était pas étrange vu que cet homme avait auparavant
participé à la construction de la base militaire américaine
d'Al-Oudeid au Qatar, qui a servi de base pour les avions
américains pendant la guerre. Il ajouta ensuite : Est-ce
une pratique acceptable ?
Je répondis
que la reconstruction de l'Iraq n'est pas une opération
acceptable, mais surtout un devoir national. Et loin de
la création d'entreprises américaines, de la construction
de bases militaires ou d'éventuelles réserves légitimes
qui peuvent exister, le devoir national de l'Egypte et sa
responsabilité arabe l'oblige à être à l'avant-garde des
opérations de reconstruction de ce pays arabe frère dont
les installations ont été détruites en l'espace de trois
semaines seulement. L'Iraq a subi des dégâts qui dépasseraient
ceux dont avaient été victimes certains pays européens pendant
quatre ans lors de la seconde guerre mondiale. Si l'Egypte
n'a pas de place dans la reconstruction de l'Iraq, la faute
ne serait pas du côté américain uniquement qui considère
toujours ces projets comme un gâteau qu'il doit dévorer
tout seul. Mais cette responsabilité revient également au
côté égyptien et surtout aux hommes d'affaires qui n'ont
pas revendiqué leur droit. Surtout que d'un point de vue
purement commercial et purement américain, il y a l'accord
de Camp David dont nous avons avalé tous les inconvénients,
sans pour autant bénéficier de ses atouts, sauf en ce qui
concerne la restitution de nos terres occupées. Cet accord
stipule clairement que le gouvernement américain garantit
aux entreprises égyptiennes et israéliennes un traitement
préférentiel, semblable à celui qu'il accorde aux entreprises
américaines. Israël a réussi à tirer profit de cette clause
dans des transactions qui selon les se sont approchés de
7 milliards de US$ à un moment où l'Egypte n'a aucunement
profité de cette disposition depuis la signature du traité
de paix en 1979 et le renouvellement, dix ans plus tard,
de son volet économique. Je ne pense d'ailleurs pas que
les Etats-Unis seraient prêts à être les premiers à violer
l'accord de Camp David qui a été signé grâce à leur médiation.
Donc,
conformément à la conception américaine même qui accorde
en exclusivité les contrats de reconstruction de l'Iraq
aux entreprises américaines, tout en donnant l'occasion
à d'autres entreprises de devenir des sous-traitants pour
les six grandes entreprises choisies pour cette mission,
les entreprises égyptiennes ont le droit de participer à
la reconstruction de l'Iraq.
L'Egypte a
accouru, il y a quelques années, pour reconstruire une station
libanaise d'électricité qui avait été frappée par Israël.
Elle a également contribué à reconstruire l'Algérie après
sa libération. D'ailleurs, le nom de l'ingénieur égyptien
Moustapha Moussa se trouve gravé sur beaucoup de constructions
à Alger. Le nom de la grande société de construction égyptienne
Arab contractors se trouve également en plusieurs
endroits en Arabie saoudite et au Koweït, dans les pays
du Golfe et la Libye. Il est inconcevable donc que l'Egypte
soit loin de ces opérations de reconstruction de l'Iraq.
Je pourrais
aller plus loin et dire que les seules opérations légitimes
de reconstruction de l'Iraq seront celles que peuvent effectuer
l'Egypte et les autres pays arabes qui en ont les moyens.
Toute autre opération qui serait accomplie dans l'ombre
de la présence militaire américaine, qui manque de légitimité
juridique et internationale, sera la cible de la colère
populaire qui n'a cessé d'exprimer son refus de la présence
militaire américaine depuis la chute du régime de l'ex-président
Saddam Hussein.
A un autre
niveau, si le camp arabe sous le commandement de l'Egypte
commence à prendre en charge sa responsabilité dans la reconstruction
de l'Iraq, ceci constituerait le début d'une action arabe
conjointe qui a fait défaut à la nation arabe au cours de
la guerre. Il est grand temps que l'Egypte prenne l'initiative
pour ressusciter une action commune aux pays arabes, qui
doivent parvenir à une nouvelle formule pour confirmer leur
présence sur la scène internationale. Cela devra se faire
tout d'abord dans le domaine de la reconstruction de l'un
des pays arabes, entièrement ruiné par les Etats-Unis.
|