Al-Ahram
Hebdo : Pensez-vous que votre présence en tant
que bouclier humain dans les territoires palestiniens contribue
à diminuer la répression israélienne. En quoi est-ce que
votre présence est utile ?
Susan
Van Dongen : Nous avons plusieurs indices qui montrent
l'utilité de notre présence. D'abord, j'aimerais dire que
l'horrible assassinat de la militante Rachel Corrie a été
un avertissement important à la communauté internationale.
Par cet assassinat, Israël voulait dire qu'il allait renforcer
sa répression. Pour cela, la communauté internationale doit
porter encore plus haut le drapeau de la liberté palestinienne.
Les militants internationaux ne seront pas intimidés par
cet acte d'assassinat. Au contraire, je pense qu'ils seront
plus nombreux à se diriger vers la Palestine, pour servir
de boucliers humains et tout faire pour empêcher la pratique
de démolition des maisons palestiniennes.
— Où
opérez-vous dans les Territoires ?
— Nous
sommes présents dans plusieurs villes. Ce qui est important
pour nous, c'est mettre fin à l'humiliation, à la répression
et au siège imposé aux Palestiniens. Cela est très, très
mauvais.
— Vous-êtes
combien ?
— Je
compte pour l'instant sur environ 1 000 à 2 000
personnes. D'ailleurs, plusieurs organisateurs des activités
de ce genre ont été expulsés et ne peuvent plus retourner
en Palestine. Pour cela, la situation devient difficile.
Mais j'espère qu'en rentrant aux Etats-Unis, je pourrais
recruter des volontaires prêts à aller dans les territoires
palestiniens.
— Est-ce
que vous pensez que la guerre en Iraq a détourné l'attention
de l'opinion mondiale de ce qui se passe en Palestine, ce
qui risque de permettre à Israël de renforcer sa répression
contre la population palestinienne ?
— C'était
justement notre plus grande préoccupation. C'est pour cela
qu'un comité d'urgence a été formé ces derniers jours pour
traiter de manière précise des problèmes qui se présentent
en ce moment à cause de cette question. Notre plus grande
crainte est que l'Etat hébreu procède à l'expulsion de Palestiniens.
Ce comité doit tout
mettre en œuvre pour tenter d'empêcher tout transfert de
population en dehors de la Palestine et tenter d'empêcher
la politique génocidaire menée contre le peuple palestinien.
— Comment
les Palestiniens réagissent à ce risque de transfert ?
— Tout
d'abord, les Palestiniens n'ont aucune intention de partir.
Ils sont unanimes à répéter que ce qui a eu lieu lors de
la guerre de 1948 n'aura pas lieu aujourd'hui. J'avais parlé
à certains habitants d'un village de déplacés de 1948 et
qui vivent aujourd'hui tous prêts de la ligne verte. Et
ces gens-là, même les plus jeunes, vous diront qu'ils ne
quitteront pas leurs maisons.
— Israël
a entrepris la construction d'une clôture de sécurité séparant
Israël de la Cisjordanie, mais qui grignote une partie des
territoires palestiniens. Que pourriez-vous faire pour empêcher
cela ?
— Pour
construire ce mur, Israël va confisquer 10 % des terre
qui sont actuellement propriété palestinienne. Cette zone
est riche en production agricole. Autrefois, ces terres
produisaient entre 60 % et 70 % des fruits et
légumes de toute la Palestine. Aujourd'hui, les Palestiniens
n'arrivent même pas à vendre leur production. A cause des
difficultés de circulation et de transport imposées par
les Israéliens, ces produits ne peuvent même pas être vendus
à Naplouse par exemple qui est l'un des plus grands marchés
de fruits et légumes.
— Comment
les Palestiniens vivent-ils sous la répression continue
de l'armée israélienne ?
— Là
dessus, on peut raconter pleins d'histoires. Il y a ce qui
se passe par exemple lorsque le couvre-feu est imposé. A
ces occasions, les Jeeps et les chars des forces israéliennes
roulent le long des rues et les soldats à l'intérieur tirent
en l'air. On voit alors les habitants des villes courir
à l'intérieur des bâtiments, fermer rapidement les portes
de leurs magasins et essayer de se cacher loin des fenêtres.
Ceci parce qu'une balle perdue peut tuer quelqu'un. A Naplouse,
les gens sortent et défient le couvre-feu quand il est imposé.
Les Israéliens agissent exactement comme une armée nazie.
J'ai vu moi-même, il y a à peine quelques semaines, ce genre
de comportement dans le village de Wazoun. J'ai vu des soldats
qui frappaient aux portes des Palestiniens possédant une
voiture et ils les forçaient à conduire devant les Jeeps
israéliennes pour annoncer eux-mêmes le couvre-feu. On utilise
alors les civils palestiniens comme boucliers humains, comme
instrument de leur occupation. Ceci est une pratique courante
chez les soldats israéliens et qui est sans doute un crime
de guerre. Dans le petit village de Saïda, en Cisjordanie,
j'ai vu comment les soldats israéliens effectuaient des
fouilles dans les maisons des Palestiniens. Il est même
difficile pour moi de décrire ce que j'ai vu, ce sont des
pratiques sauvages. Je n'arrive pas à comprendre l'intérêt
qu'ils ont de violer, abîmer et détruire absolument tout
ce qui est à l'intérieur des maisons d'une manière quasi
minutieuse. Les meubles sont détruits, les assiettes cassées,
on enlève la nourriture du réfrigérateur et on la jette
par terre, on enlève les habits des armoires, on les tache,
déchire et jette par terre. C'est vraiment du jamais vu.
Dans une des maisons où j'ai été, j'ai vu les soldats jeter
un bidon d'huile d'olive dans une immense citerne d'eau,
faisant en sorte que toute l'eau soit contaminée. C'était
vraiment dégoûtant.
— Quel
effet ces comportements provoquent chez les Palestiniens ?
— Ce
qui me choque le plus est de voir des petits enfants de
trois ou quatre ans raconter et décrire les détails de ces
actes de barbarie.
J'ai entendu d'eux des propos du genre : « Ils
(les soldats) sont arrivés au milieu de la nuit, ils
ont jeté mon lit, mes meubles et tous mes jouets par terre.
Puis, on nous a mis tous ensemble dans la salle de bain
et nous sommes restés tous là-bas (11 heures) dans
le froid, sans une couverture ».
Une
autre chose qui m'a aussi beaucoup impressionnée, c'était
le récit du père d'un garçon de huit ans. Il m'avait dit
qu'il était très inquiet parce que l'enfant n'arrêtait pas
de répéter qu'il voulait devenir un « chahid »
(martyr). Et le père, terrifié par les propos de son fils,
ne savait pas comment convaincre le petit qu'il y avait
de meilleurs moyens de servir la cause palestinienne autres
que de se faire tuer.
— Vous
pensez que votre présence change quelque chose au quotidien
difficile des Palestiniens ?
— Oui,
absolument. Ceci parce que très souvent, quand les soldats
israéliens sont conscients de notre présence sur les lieux,
ils agissent d'une manière beaucoup plus civilisée. Certains
parfois viennent même nous dire en cachette qu'ils auraient
aimé pouvoir faire quelque chose ou nous aider, mais qu'ils
n'y peuvent rien.
— Décrivez-nous
votre quotidien avec l'armée israélienne ...
— Dans
certains endroits, notre présence est très évidente. Par
exemple, quand nous essayons d'aider les Palestiniens à
déplacer un barrage routier. Ceci a une connotation symbolique,
puisque c'est vu comme l'enlèvement des symboles de la répression.
A Gaza par exemple, les soldats emploient divers moyens
d'intimidation. D'abord, ils commencent par tirer en l'air.
Ensuite, ils tirent par terre près de nos pieds. Le troisième
tir est en général en haut près de notre tête. A ce moment,
les volontaires comme nous quittent le lieu parce qu'ils
savent que le prochain tir sera sur le corps. Parfois, certains
d'entre nous sont attaqués par les colons israéliens. Une
fois j'étais arrivée pendant la période de récolte des olives
et les colons nous ont attaqués avec toutes sortes d'objets.
Les colons sont les plus dangereux. Beaucoupd'entre eux
sont des fanatiques, des fous qui pensent que toute la terre
leur appartient. Certains convoitent même des terrains au-delà
du Jourdain. Ces gens veulent rendre impossible la vie des
Palestiniens. Ils les attaquent pendant qu'ils sont en train
des faire la récolte de leurs plantations. Une des histoires
terribles sur le comportement des colons est celle où ils
ont détruit cinq oliviers qu'une veuve, malade du cancer,
avait plantés.
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