Susan Van Dongen, infirmière de profession, est une militante américaine pro-palestinienne. Habitant les territoires autonomes, elle fait partie de ces activistes internationaux qui cherchent à aider la population palestinienne contre la répression quotidienne de l'armée israélienne, en tenant parfois le rôle de boucliers humains contre la démolition des maisons palestiniennes.
« Les militants internationaux ne seront pas intimidés par l'assassinat de Rachel Corrie »

Al-Ahram Hebdo : Pensez-vous que votre présence en tant que bouclier humain dans les territoires palestiniens contribue à diminuer la répression israélienne. En quoi est-ce que votre présence est utile ?

Susan Van Dongen : Nous avons plusieurs indices qui montrent l'utilité de notre présence. D'abord, j'aimerais dire que l'horrible assassinat de la militante Rachel Corrie a été un avertissement important à la communauté internationale. Par cet assassinat, Israël voulait dire qu'il allait renforcer sa répression. Pour cela, la communauté internationale doit porter encore plus haut le drapeau de la liberté palestinienne. Les militants internationaux ne seront pas intimidés par cet acte d'assassinat. Au contraire, je pense qu'ils seront plus nombreux à se diriger vers la Palestine, pour servir de boucliers humains et tout faire pour empêcher la pratique de démolition des maisons palestiniennes.

— Où opérez-vous dans les Territoires ?

— Nous sommes présents dans plusieurs villes. Ce qui est important pour nous, c'est mettre fin à l'humiliation, à la répression et au siège imposé aux Palestiniens. Cela est très, très mauvais.

— Vous-êtes combien ?

— Je compte pour l'instant sur environ 1 000 à 2 000 personnes. D'ailleurs, plusieurs organisateurs des activités de ce genre ont été expulsés et ne peuvent plus retourner en Palestine. Pour cela, la situation devient difficile. Mais j'espère qu'en rentrant aux Etats-Unis, je pourrais recruter des volontaires prêts à aller dans les territoires palestiniens.

— Est-ce que vous pensez que la guerre en Iraq a détourné l'attention de l'opinion mondiale de ce qui se passe en Palestine, ce qui risque de permettre à Israël de renforcer sa répression contre la population palestinienne ?

— C'était justement notre plus grande préoccupation. C'est pour cela qu'un comité d'urgence a été formé ces derniers jours pour traiter de manière précise des problèmes qui se présentent en ce moment à cause de cette question. Notre plus grande crainte est que l'Etat hébreu procède à l'expulsion de Palestiniens. Ce comité doit tout mettre en œuvre pour tenter d'empêcher tout transfert de population en dehors de la Palestine et tenter d'empêcher la politique génocidaire menée contre le peuple palestinien.

— Comment les Palestiniens réagissent à ce risque de transfert ?

— Tout d'abord, les Palestiniens n'ont aucune intention de partir. Ils sont unanimes à répéter que ce qui a eu lieu lors de la guerre de 1948 n'aura pas lieu aujourd'hui. J'avais parlé à certains habitants d'un village de déplacés de 1948 et qui vivent aujourd'hui tous prêts de la ligne verte. Et ces gens-là, même les plus jeunes, vous diront qu'ils ne quitteront pas leurs maisons.

— Israël a entrepris la construction d'une clôture de sécurité séparant Israël de la Cisjordanie, mais qui grignote une partie des territoires palestiniens. Que pourriez-vous faire pour empêcher cela ?

— Pour construire ce mur, Israël va confisquer 10 % des terre qui sont actuellement propriété palestinienne. Cette zone est riche en production agricole. Autrefois, ces terres produisaient entre 60 % et 70 % des fruits et légumes de toute la Palestine. Aujourd'hui, les Palestiniens n'arrivent même pas à vendre leur production. A cause des difficultés de circulation et de transport imposées par les Israéliens, ces produits ne peuvent même pas être vendus à Naplouse par exemple qui est l'un des plus grands marchés de fruits et légumes.

— Comment les Palestiniens vivent-ils sous la répression continue de l'armée israélienne ?

— Là dessus, on peut raconter pleins d'histoires. Il y a ce qui se passe par exemple lorsque le couvre-feu est imposé. A ces occasions, les Jeeps et les chars des forces israéliennes roulent le long des rues et les soldats à l'intérieur tirent en l'air. On voit alors les habitants des villes courir à l'intérieur des bâtiments, fermer rapidement les portes de leurs magasins et essayer de se cacher loin des fenêtres. Ceci parce qu'une balle perdue peut tuer quelqu'un. A Naplouse, les gens sortent et défient le couvre-feu quand il est imposé. Les Israéliens agissent exactement comme une armée nazie. J'ai vu moi-même, il y a à peine quelques semaines, ce genre de comportement dans le village de Wazoun. J'ai vu des soldats qui frappaient aux portes des Palestiniens possédant une voiture et ils les forçaient à conduire devant les Jeeps israéliennes pour annoncer eux-mêmes le couvre-feu. On utilise alors les civils palestiniens comme boucliers humains, comme instrument de leur occupation. Ceci est une pratique courante chez les soldats israéliens et qui est sans doute un crime de guerre. Dans le petit village de Saïda, en Cisjordanie, j'ai vu comment les soldats israéliens effectuaient des fouilles dans les maisons des Palestiniens. Il est même difficile pour moi de décrire ce que j'ai vu, ce sont des pratiques sauvages. Je n'arrive pas à comprendre l'intérêt qu'ils ont de violer, abîmer et détruire absolument tout ce qui est à l'intérieur des maisons d'une manière quasi minutieuse. Les meubles sont détruits, les assiettes cassées, on enlève la nourriture du réfrigérateur et on la jette par terre, on enlève les habits des armoires, on les tache, déchire et jette par terre. C'est vraiment du jamais vu. Dans une des maisons où j'ai été, j'ai vu les soldats jeter un bidon d'huile d'olive dans une immense citerne d'eau, faisant en sorte que toute l'eau soit contaminée. C'était vraiment dégoûtant.

— Quel effet ces comportements provoquent chez les Palestiniens ?

 Ce qui me choque le plus est de voir des petits enfants de trois ou quatre ans raconter et décrire les détails de ces actes de barbarie. J'ai entendu d'eux des propos du genre : « Ils (les soldats) sont arrivés au milieu de la nuit, ils ont jeté mon lit, mes meubles et tous mes jouets par terre. Puis, on nous a mis tous ensemble dans la salle de bain et nous sommes restés tous là-bas (11 heures) dans le froid, sans une couverture ».

Une autre chose qui m'a aussi beaucoup impressionnée, c'était le récit du père d'un garçon de huit ans. Il m'avait dit qu'il était très inquiet parce que l'enfant n'arrêtait pas de répéter qu'il voulait devenir un « chahid » (martyr). Et le père, terrifié par les propos de son fils, ne savait pas comment convaincre le petit qu'il y avait de meilleurs moyens de servir la cause palestinienne autres que de se faire tuer.

— Vous pensez que votre présence change quelque chose au quotidien difficile des Palestiniens ?

— Oui, absolument. Ceci parce que très souvent, quand les soldats israéliens sont conscients de notre présence sur les lieux, ils agissent d'une manière beaucoup plus civilisée. Certains parfois viennent même nous dire en cachette qu'ils auraient aimé pouvoir faire quelque chose ou nous aider, mais qu'ils n'y peuvent rien.

— Décrivez-nous votre quotidien avec l'armée israélienne ...

— Dans certains endroits, notre présence est très évidente. Par exemple, quand nous essayons d'aider les Palestiniens à déplacer un barrage routier. Ceci a une connotation symbolique, puisque c'est vu comme l'enlèvement des symboles de la répression. A Gaza par exemple, les soldats emploient divers moyens d'intimidation. D'abord, ils commencent par tirer en l'air. Ensuite, ils tirent par terre près de nos pieds. Le troisième tir est en général en haut près de notre tête. A ce moment, les volontaires comme nous quittent le lieu parce qu'ils savent que le prochain tir sera sur le corps. Parfois, certains d'entre nous sont attaqués par les colons israéliens. Une fois j'étais arrivée pendant la période de récolte des olives et les colons nous ont attaqués avec toutes sortes d'objets. Les colons sont les plus dangereux. Beaucoupd'entre eux sont des fanatiques, des fous qui pensent que toute la terre leur appartient. Certains convoitent même des terrains au-delà du Jourdain. Ces gens veulent rendre impossible la vie des Palestiniens. Ils les attaquent pendant qu'ils sont en train des faire la récolte de leurs plantations. Une des histoires terribles sur le comportement des colons est celle où ils ont détruit cinq oliviers qu'une veuve, malade du cancer, avait plantés.

Propos recueillis par
Randa Achmawi

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