J'étais
toujours occupé à pétrir la pâte des pains de messe, m'évertuant
à bien la travailler pour la laisser ensuite, lever. J'avais
lavé le pétrin, son couvercle et le tamis à l'eau bénite.
Debout à mes côtés, le prêtre lisait les psaumes de David
en faisant au-dessus de ma tête le signe de la croix. Lorsqu'il
parvint au psaume de Grâce et qu'il se mit à réciter « Loue
le Seigneur, ô Terre entière ! Adorez Dieu dans la
joie. Entrez en Sa demeure en chantant », et alors
que je m'appliquais à pétrir et à travailler la pâte, m'assurant
de sa bonne conscience, le diacre Thawna accourut vers nous.
Il se tint à nos côtés, sans mot dire et avec respect. Quand
le prêtre eut fini de réciter le psaume, je recouvris la
pâte avec le couvercle que j'avais auparavant purifié, comme
j'avais purifié les pinceaux, le tamis et l'estampe du pain
de messe. Tandis que je me dirigeai vers le four à pain
que j'avais au préalable allumé pour la cuisson avec du
charbon de cep de vigne sec, ainsi que le voulait le rituel
sacerdotal, Thawna s'approcha de moi et me dit à l'oreille :
— Bédeir,
termine vite ton travail et cours sans tarder chez père
Youssab !
C'était
un jour du mois de baounâ, que de nombreux séculiers
prononçaient encore « baouni », ainsi que
l'on disait dans l'ancienne langue païenne. C'était la sixième,
peut-être la septième, année des Martyrs. Je me hâtai d'enlever
la pâte collée à mes mains et à mes avant-bras, en les lavant
à l'eau puisée dans la jarre, jusqu'à ce que ma peau se
dévoilât et que le lion de couleur bleuâtre, tatoué sur
la face intérieure de mon avant-bras, se révélât. Alors,
je fus rassuré et je recouvris le tatouage de la manche
de ma bure que j'avais retroussée le temps de pétrir la
pâte, puis je sortis en courant, traversai la cour de l'église
et me dirigeai vers la cellule du père Youssab. Aussitôt
que j'eus gravi les trois marches de basalte données à l'église
par un pieux serviteur d'Hermopolis — fidèle à
un vœu, il les avait arrachées à un temple en ruine de la
vieille ville, d'où il les avait transportées sur ses deux
ânes pour remplacer les anciens degrés de calcaire —,
je m'approchai lentement du vestibule situé à l'est pour
parvenir enfin au lieu où se tenait son Excellence.
Je
le trouvai assis en assemblée avec le prêtre, l'archidiacre
et tous les diacres parmi lesquels était Thawna, qui m'interpella.
Saisi de crainte, je baissai la tête, par respect pour cette
ecclésiale assemblée, et, après m'être prosterné, je restai
cloué sur place, à la porte, sans mot dire. Père Youssab
me regarda, l'air quelque peu méditatif. J'eus l'impression
que quelque chose me concernant le rendait perplexe. Mais
très vite, il leva la main, me signa de la croix, puis me
dit en langue copte bachmourique :
— Bédeir,
bon serviteur, le Seigneur t'a choisi pour une sainte mission
écclésiale. Tu devrais t'en acquitter avec dévouement et
loyauté, tel qu'on te le demandera, ni plus ni moins.
Je
murmurai dans la même langue, d'une voix faible, avec humilité
et sans lever la tête :
— Que
la volonté du Seigneur s'accomplisse, Père bienheureux.
Le
silence devint si pesant qu'on pouvait presque percevoir
le souffle d'un oiseau. Puis il ajouta :
— Tu
vas accompagner le diacre Thawna vers les terres marécageuses.
Tu seras sa langue bachmourique. Tu devras lui traduire
tout ce qu'il sera nécessaire de traduire, car tu sais que,
comme la plupart des gens de notre église, il ne parle que
le copte d'Akhmîm. Il te faudra aussi l'aider à chaque pas
durant votre voyage. Il te devra fraternité et respect.
Tu lui devras obéissance à chaque mot qu'il t'ordonnera.
Tu l'accompagneras partout, quelle que soit la situation.
Et n'oublie pas que la fraternité du baptême ne se dénoue
que le jour de la rédemption. Le Seigneur est seul Comptable.
Il est le Protecteur premier et dernier.
J'opinai
de la tête, sans rien dire cette fois-ci, car, dès que j'entendis
« les terres marécageuses », le trouble
s'empara de moi et mon cœur s'affola comme celui d'un oiseau
s'élevant jusqu'au septième ciel. Aussitôt, des images du
passé — les lieux de ma naissance, de mon enfance,
de ma jeunesse — s'engrenèrent dans mon imagination.
Ils défilèrent devant mes yeux et remuèrent en moi les actes
de ma vieille tragédie et mon premier malheur. Une immense
tristesse m'envahit et je faillis crier : « Non !
Par Dieu, Maître, toi qui seras doté de magnificence dans
le royaume du Seigneur, épargne-moi cette mission qui va
mettre mon cœur à la torture. Mon âme ne pourra l'endurer ».
Mais je craignis d'être accusé de désobéissance et d'insoumission.
Alors, je restai figé sur place, accablé, comme si j'étais
un pêcheur du peuple de Loth sur lequel la malédiction s'était
abattue et qu'elle avait transformé, tel ce peuple, en statue
de sel. Père Youssab semblait avoir remarqué mon silence
et ma pâleur. Lorsque j'entrai au service de l'église, je
venais souvent lui confesser mes fautes et mes péchés, moi
qui, dans le monde séculier, avais longtemps vécu en malheureux
et en égaré du royaume de Dieu. Rassurant, il m'avait dit
alors :
— L'Eglise
balaie et lave fautes et péchés. Elle balaie la demeure
de l'âme, le corps. La porte de la demeure est la bouche
qui ne peut être lavée que par la récitation des psaumes
de David, émanant de la sainteté du Saint-Esprit, gloire
à Lui, par la langue de David le bienheureux purifiée des
diffamations, de la calomnie et de la médisance à l'encontre
de ses frères. L'ouïe sera purifiée par l'écoute du saint
Évangile qui contient l'enseignement du Messie et les
exhortations coercitives. La vue sera purifiée par le regard
porté sur le Saint des Saints, sur les icônes figurant les
saints, par le zèle à défendre leur vie et par l'imitation
de leur foi. L'odorat sera sanctifié par l'inhalation des
encens brûlés au nom de la Sainte-Trinité. Le toucher, enfin,
sera également sanctifié par les livres du Seigneur que
l'on baisera avant de les porter au front, ainsi que par
le baiser de la glorieuse croix. Que tout homme balaie ses
péchés par la prière, et que la scélératesse des scélérats
soit purifiée au royaume du Seigneur miséricordieux. Puis
il répéta qu'il me fallait obéir au diacre Thawna, assidûment
prier, fréquemment réciter les psaumes et les oraisons.
Il me demanda de ne point questionner sur ce qui ne me concernait
pas. Mais si je posais des questions, qu'elles fussent sur
ce qui pourrait raffermir ma foi et servir le Christ. Il
m'ordonna de ne pas mettre en colère le diacre, ni de le
tourmenter, mais de le servir et de le protéger durant notre
voyage vers les terres marécageuses, chez les Bachmouris.
Il nous fallait quitter l'église dès le lendemain, au lever
du jour.
Comme
j'étais le sacristain de l'église, je devais m'acquitter,
durant cette journée, de nombreuses tâches avant de partir
le lendemain matin. Après que j'eus quitté la cellule de
notre vénérable père, j'entrepris de laver les dalles de
l'église, l'un des plus raffinés dallages byzantins, importé
de Césarée par un homme pieux qui avait longtemps vécu dans
le vice chalcédonien, ignorant le chemin de la Vérité. Mais
Dieu l'avait ramené au bercail grâce à notre père Youssab.
Il était riche et puissant. C'est pourquoi il l'avait offert
à notre église.
J'essuyai
également toutes les lampes à huile avec le torchon en lin
que je réservais à cet usage. J'en ôtai la suie et la poussière
qui s'y étaient collées, et à la tombée de la nuit, je les
rallumai à l'aide de la flamme de la lampe se trouvant dans
l'aile est du sanctuaire, allumée jour et nuit, afin que
nul feu, étranger à l'église ou au sanctuaire, n'y fût introduit.
Car du ciel était descendu le feu qui avait brûlé les premières
offrandes, et nul autre feu que celui-ci ne devait y pénétrer.
Aussitôt
que j'eus terminé avec les lampes à huile, je fis un tour
pour m'assurer que les quatorze accessoires de service du
sanctuaire étaient bien à leur place. Je nettoyai ceux quiavaient
besoin de l'être, les examinai tous et redressai ceux qui
n'étaient pas redressés : ainsi la planche de l'autel,
posée telle la pierre tombale, la patène telle la crèche
du nouveau-né, le coffret en bois contenant les livres,
les deux linges consacrés, l'un sous la patène, l'autre
sous le calice qui contient la part du don de sang versé
pour celui qui le tient. Ils représentent le suaire lors
de la mort et de la mise en terre, ainsi que les langes
entourant le corps de notre Seigneur — Gloire
à lui — dans sa crèche. Je nettoyai aussi le calice
consacré pour le partage du don, la cuillère consacrée pour
la communion des hommes et des femmes — ils ne
boivent pas au calice comme les prêtres —, le prospharin
consacré qui représente la pierre dont on ferma l'entrée
du sépulcre, par-dessus le corps enseveli. J'examinai également
les sept autres accessoires, non consacrés, la lanterne,
la burette, le ciboire, l'encensoir, la boîte d'encens et
le support sur lequel sont posés le calice et la croix.
Tout ceci était déposé dans un tabernacle, qui représente
le dôme de la nouvelle Jérusalem.
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