L'écrivain
Nasr Hamed Abou-Zeid, accusé il y a 7 ans d'apostasie, est à
nouveau au centre d'un débat agité. Un de ses livres, Le
Discours et l'interprétation, a été interdit cette semaine
suite à un rapport de l'Académie des recherches islamiques (relevant
d'Al-Azhar). « Le livre porte atteinte à deux doctrines
fondamentales de l'islam, le monothéisme et le Coran »,
affirme le rapport de l'Académie des recherches. Dans son ouvrage,
Nasr Hamed Abou-Zeid livre sa conception sur l'interprétation
des textes religieux en affirmant que celle-ci doit prendre
en considération le contexte dans lequel elle se situe. Il s'oppose
ainsi à la lecture textuelle des textes. Nasr Hamed Abou-Zeid
vit aux Pays-Bas depuis 1995. Il a été condamné par un tribunal
cairote à se séparer de sa femme pour apostasie.
Le
livre d'Abou-Zeid, paru il y a quelques années et qui a été
réédité, devait être approuvé par Al-Azhar avant d'être autorisé
en Egypte. Une commission présidée par l'écrivain islamiste
Mohamad Emara a été chargée d'étudier le livre. La commission
a rédigé un rapport au ministère de l'Information, estimant
que le livre était contraire aux préceptes de la religion. Abdel-Moeti
Bayoumi, membre de l'Académie des recherches islamiques, affirme
que cette décision ne reflète aucune intention d'Al-Azhar de
nuire à la liberté de pensée et de créativité, mais il s'agit
de conserver les principes de la société de toutes déviations.
« C'est pourquoi tous les organismes concernés doivent
respecter les recommandations d'Al-Azhar en ce qui concerne
les œuvres religieuses. Je réclame également d'attribuer à quelques
membres de l'académie le droit juridique de saisir directement
toute œuvre portant atteinte à la religion et aux mœurs »,
ajoute Bayoumi.
Il
ne s'agit pas du premier acte de ce genre ; plusieurs ouvrages
similaires avaient été saisis ces dernières années. L'affaire
relance le débat sur le rôle d’Al-Azhar et son impact sur la
liberté de pensée et de créativité. Pour Mahmoud Amine Al-Alem,
penseur de tendance gauche, la saisie des œuvres constituent
une sorte de terrorisme intellectuel menaçant la créativité
et la liberté de pensée. « L'islam au nom duquel ces
livres ont été saisis défend la liberté d'expression en incitant
ses adeptes à l'Ijtihad (l'effort d'analyse et de réflexion).
Il est scandaleux que depuis des centaines d'années les oulémas
et les penseurs ont pu renouveler les concepts religieux selon
les nouvelles données de la société, et aujourd'hui nous voulons
nous en tenir à la lettre au texte religieux et non pas à son
esprit », dénonce Al-Alem. Il ajoute que tout le monde
a le droit de faire part de ses idées, même les plus osées.
« Les idées doivent être combattues par les idées et
non pas par la confiscation, qui témoigne de l'incapacité d'Al-Azhar
de défendre son point de vue. Au lieu de saisir le livre d'Abou-Zeid,
il fallait argumenter pour dénoncer ses idées. C'est la seule
garantie d'une évolution ».
Avis
partagé par Hussein Abdel-Razeq, écrivain secrétaire général
adjoint du parti du Rassemblement unioniste progressiste (qui
a organisé cette semaine un colloque sur l'interdiction du livre
d'Abou-Zeid). Il critique l’ambiguïté des clauses des lois qui
permettent à Al-Azhar de poursuivre les intellectuels et leurs
œuvres religieuses. « Sous l'étiquette des bonnes mœurs,
tout peut être interdit. Ces lois sont formulées dans des termes
tels que tourner les religions en dérision et atteindre
les bonnes mœurs ». Il explique que les idées et les pensées
sont relatives. Les gens ne voient pas les choses du même œil.
« L'Ijtihad existe depuis l'ère du prophète.
Mais cette tendance conservatrice refusant l'interprétation
du Coran et son adaptation selon les nouvelles données de l'époque
reflète une mentalité bornée incapable de comprendre l'esprit
de la religion », ajoute Abdel-Razeq.
Des
accusations que rejette Abdel-Moeti Bayoumi, qui estime que
la liberté n'est pas absolue et doit avoir des limites à ne
pas dépasser. « C'est une règle appliquée dans tous
les pays du monde ». Fahmi Howeidi, écrivain de tendance
islamiste, ne refuse pas pour sa part l'interprétation et l’Ijtihad
s’ils ne touchent pas le fond de l'islam, mais il ajoute :
« Pourquoi les gens se révoltent dès qu'on parle de
manque de liberté en matière de pensée, pourquoi ne se révoltent-ils
pas quand on parle d'absence de liberté politique ».
« Il s'agit d'une crise de liberté en général »,
conclut-il. |