Hebdomadaire égyptien en langue française en ligne chaque mercredi

Portrait

La Une
L'événement
Le dossier
L'enquête
Nulle part ailleurs
L'invité
L'Egypte
Affaires
Finances
Le monde en bref
Points de vue
Commentaire
d'Ibrahim Nafie

Carrefour
de Mohamed Salmawy

Portrait
Littérature
Livres
Arts
Société
Sport
Patrimoine
Loisirs
Echangez, écrivez
La vie mondaine

Ahmad Morsi est le poète de l'art plastique égyptien. Son œuvre, profondément humaine, est un chant à la fois chaleureux et inquiétant. La Biennale des arts plastiques du Caire lui rend hommage.

Le moine

Il est à la fois calme et inquiétant. On dira que l'impression d'inquiétude qui se dégage de lui ressemble à celle des visages des personnages qu'il peint comme s'ils étaient des masques. Ces derniers sont sans front et leurs yeux se fondent avec le ciel.

Peut-être que l'inquiétude qu'il inspire est due à sa neutralité et à son air sobre et ferme, mais surtout à son regard aigu qui semble surgir d'une eau profonde et limpide. Malgré cette fermeté, on ressent en lui — surtout quand il sourit — une gaieté cachée, naturellement simple, saine et pleine, mais qui disparaît très rapidement derrière une nature rigide. Une gaieté qui reste toujours de nature mystique. Morsi a vraiment l'air d'un moine en habit laïc. Ses soixante-treize ans semblent le rendre de plus en plus léger au lieu de peser sur son dos. Le fait qu'il vive depuis 1974 à New York l'a de plus en plus détaché du sentiment d'appartenance à un lieu. Ahmed Morsi vient de publier au Caire — il vient en visite une fois par an — son sixième recueil de poésie intitulé Prova bil malabes al-kaméla li fasl fil gahim (Répétition générale pour une saison en enfer) où le poète cherche sa voix dans un enfer imaginé, dans la ville de New York.

« Qu'est ce qui te séduit dans les vitrines ?

Est-ce que le poète aime un mannequin ? »

Cette interrogation qui touche les plus intimes des sentiments et des instincts plane sur une grande partie de son œuvre plastique, située entre le surréalisme et l'expressionnisme conceptuel. Elle est contrebalancée par un autre souci, celui de rendre à l'homme son humanité, même face à cette interrogation menaçante. La quête de l'amour et de l'absolu dans une atmosphère accablante et aliénée, voire cauchemardesque, où règne la violence et la sauvagerie de la machine, est l'essence dramatique de son œuvre, si on ose naïvement résumer son art. Ce dernier reste rebelle à toute interprétation.

« Et me voici montant sur un nuage qui s'appelle New York

Et ce que je dis Alexandrie

Est-ce que je le dis ?

J'ai pris ce chemin plusieurs fois

Et jusqu'aujourd'hui je ne sais pas

Où il conduit »,

dit-il à la fin de son dernier recueil. Il est toujours fidèle à ces interrogations qui ont surgi à Alexandrie, sa ville natale, à laquelle il pense souvent avec beaucoup de nostalgie.

Né en 1930 dans le quartier populaire de Qabbari, d'un père travaillant dans le transport des marchandises importées par bateau, Morsi a commencé, dans son adolescence et sa jeunesse, à peindre les personnages du port et de son quartier. En même temps, il a commencé à écrire de la poésie à l'âge de 14 ans. « A cet âge, j'étais surtout influencé par le poète libanais Gibran Khalil Gibran, et par les poètes de l'école Apollo, puis j'ai commencé à lire la poésie des surréalistes ». Ces derniers semblent avoir la plus grande influence sur son imagination poétique, mais également sur sa peinture.

Après avoir passé son bac, le jeune Ahmad Morsi était décidé à entrer à la faculté des beaux-arts, mais son professeur de langue anglaise Ahmad Fahmi, également peintre et ami de Seif et Ibrahim Wanly, les deux grands peintres alexandrins, lui explique qu'il est déjà artiste et qu'il devrait choisir des études qui pourraient l'aider à travailler et à gagner sa vie. Ainsi, Ahmad a choisi d'étudier la littérature anglaise pour devenir professeur. Durant ses études littéraires, il prend des cours de peinture avec l'Italien Becci dans son atelier. Mais dès que ce dernier a commencé à lui apprendre les couleurs, Morsi décide d'arrêter les cours. « Je voulais développer ma propre vision ». Il a loué ensuite un atelier rue Fouad où il a fait ses premiers tableaux. Durant ses études, il a également commencé à travailler dans un bureau de traduction et à gagner sa vie.

« C'est vers cette date que j'ai publié à Alexandrie mon premier recueil intitulé Aghani al-maharib (Chants des mihrabs) dont la couverture est faite par Ahmad Fahmi, dont les idées m'ont beaucoup influencé ». En fait, ce dernier était un intellectuel qui influençait également les deux frères Seif et Ibrahim Wanly qui partageaient son atelier. C'est durant ces années, très importantes pour sa formation, qu'Ahmad Morsi s'est lié d'amitié avec l'écrivain et poète Edouard Al-Kharrat. Ce dernier a écrit son premier recueil de nouvelles dans l'atelier de Morsi, où il venait travailler durant les heures où son ami était au bureau de traduction. Et c'est en 1954 que Morsi participe pour la première fois à la Biennale d'Alexandrie. Il était le plus jeune des artistes.

Plus tard, Edouard Al-Kharrat deviendra le premier critique artistique du peintre avec un livre qu'il a consacré à l'art de son ami et qu'il a intitulé Le Poète de l'art plastique, paru en janvier 1997. Ce livre demeure la plus profonde lecture de l'œuvre d'Ahmad Morsi comme ce dernier l'affirme lui-même.

Après avoir fini ses études à la faculté de lettres, Morsi part pour l'Iraq où il enseigne l'anglais dans un collège à Bagdad. Là-bas, il commence à écrire sur les peintres iraqiens dans les journaux locaux, jetant la base de la critique artistique approfondie dans ce pays où il est resté deux ans. C'était l'âge d'or de l'art plastique en Iraq.

De retour en Egypte, Morsi quitte Alexandrie et vient s'installer au Caire. « Nous étions trois à quitter Alexandrie pour Le Caire : Alfred Farag le dramaturge, Edouard Al-Kharrat et moi. Je me suis installé chez Alfred Farag qui était le premier à venir au Caire jusqu'à ce que je trouve un logement ». Il commence tout de suite à travailler comme traducteur à la radio et, parallèlement, il fait le tour des galeries en présentant les œuvres des artistes égyptiens, pour la seconde chaîne de radio (centrée sur la diffusion de la culture). C'était une période d'effervescence artistique pour Morsi dont les peintures accompagnaient les recueils des poètes modernistes arabes comme Salah Abdel-Sabour et Abdel-Wahab Al-Bayati.

L'amitié avec Alfred Farag l'a peut-être encouragé à travailler comme chef décorateur pour le théâtre, un travail qui était jusqu'à cette date réservé aux artistes étrangers. Ainsi, il a fait le décor de la première pièce de Farag, Soqout Faraon (La chute de pharaon), puis il a réalisé le décor de trois autres pièces dont Gamila Bouhreid d'Abdel-Rahmane Al-Charqawi. Parallèlement à ces activités au théâtre qui nourrissaient évidemment la mise en scène et la dramatisation de ses tableaux, Morsi a commencé à travailler pour l'Agence de presse du Moyen-Orient jusqu'à devenir son représentant à New York en 1974. Et bien qu'il soit à la retraite, il continue à vivre dans cette ville dont le cosmopolitisme ressemble un peu à celui de l'Alexandrie des années 1940 et 1950.

Le voyage aux Etats-Unis n'a pas représenté pour Morsi le même choc que pour d'autres artistes. Il a continué à approfondir sa propre vision et son style, éprouvant une sorte d'antipathie envers les tendances minimalistes qui étaient à la mode lors de son arrivée à New York. Et quand le néo-expressionnisme fait son apparition, vers la fin des années soixante-dix, les critiques remarquent que l'art d'Ahmad Morsi puisait déjà dans les conceptions de cette tendance. Or, ce qui distingue l'art de ce dernier des tableaux des autres artistes néo-expressionnistes est sa profonde spiritualité et sa traduction mystique de la valeur du temps, ce que Morsi appelle : L'âme égyptienne unique. « Le lyrisme des œuvres de Morsi reflète ainsi une tristesse née d'une grande conscience. Elle est parfois d'une intense férocité. Devant ses tableaux, on sent quelque chose qui dépasse la volonté de peindre, quelque chose qui a rapport avec l'endurance psychologique et spirituelle », dit le critique américain Jonathan Goodman. Ou comme le dit l'artiste lui-même avec son air de moine : « Je peins parce que je dois peindre. Mais Dieu seul sait pour qui je peins ».

Les énormes champs vides dans les tableaux et les regards détournés des personnages traduisent bien cette solitude de l'artiste.

Hayssam Khachaba

Jalons

1930 : Naissance à Alexandrie.

1952 : Exposition à l'alliance Française.

1958 : Exposition à la Biennale d'Alexandrie.

1969 : Exposition à l'Atelier du Caire.

1994 : Exposition de gravure sur zinc à la galerie Machrabiya.

1997 : Publie Album New York (recueil de poésie).

 

Pour les problèmes techniques contactez le webmaster

Adresse postale: Journal Al-Ahram Hebdo
Rue Al-Gaala, Le Caire - Egypte
Tél: (+202) 57 86 100
Fax: (+202) 57 82 631