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Education . Longtemps délaissés par des élèves trop occupés par l’enseignement classique, les kottabs refont leur apparition, aussi bien dans les villages égyptiens que dans de nombreux quartiers du Caire.
A l'école du Coran

« Faire ses ablutions avant de pénétrer le village de Sarawa ». Tel est le conseil que l'on donne aux visiteurs de Sarawa, un village situé dans le gouvernorat de Ménoufiya, à environ 40 km du Caire. Un village connu car ses habitants ont une grande connaissance du Coran. En effet, 20 % des habitants de Sarawa, dont le nombre atteint les 10 000 personnes, connaissent le Coran par cœur entièrement.

Il est 14h30. Karima, âgée de 10 ans, vient de terminer sa journée scolaire, elle presse le pas pour rejoindre l'école du soir, l'école coranique, plus précisément le kottab de cheikh Ibrahim Gharib. Assis l'un à côté de l'autre à même le sol, et formant un demi-cercle autour du cheikh Ibrahim, une centaine d'enfants âgés de 4 à 14 ans sont tout ouïe devant leur cheikh. Machinalement, ils répètent derrière lui, suivant le rythme mélodieux de la récitation des versets des sourates du Coran. Certains s'aident en lisant leurs versets sur leur ardoise en aluminium, les plus âgés ont leur propre mochaf (Coran) qu'ils lisent avec aisance. L'endroit est très modeste. Une pièce de 80 m2 dotée de petites fenêtres qui laissent entrevoir la verdure fait fonction de kottab, rien de plus n'est nécessaire pour l'apprentissage du Coran.

Il suffit de rentrer dans cette pièce pour sentir que le temps s'est arrêté. Le cheikh, perché sur sa mastaba (sorte de chaire), un long bâton en main appelé al-falqa, regarde ses élèves d'un œil autoritaire et ne laisse rien passer au hasard. « J'ai dans ce kottab 300 élèves divisés en plusieurs groupes selon le nombre des parties du Coran qu'ils doivent apprendre par cœur. Tous les enfants de notre village, sans exception, bien qu'ils soient inscrits dans les écoles publiques, doivent apprendre le Coran dans l'un des douze kottabs dispersés dans les quatre coins du bourg. Car ici, nous considérons que le seul héritage que laisse le père à ses enfants est l'amour du Coran et le don de sa récitation », explique le cheikh Ibrahim Gharib, ou Sayedéna comme le surnomme ses élèves. Il explique sa méthode. Quand l'enfant vient au kottab, à l'âge de 4 ans, il apprend d'abord l'alphabet et les règles élémentaires des mathématiques, ensuite les attributs de Dieu. Ce n'est qu'à l'âge de 5 ans qu'il commence à étudier le Coran par cœur. Des méthodes et des outils d'apprentissage dignes des kottabs traditionnels et que le cheikh Ibrahim aime à utiliser. « Al-Falqa demeure encore un bon moyen d'éducation. Si l'enfant fait une faute de prononciation, je lui donne un léger coup. Pas de place ici pour l'enfant gâté. Et les parents le savent et m'encouragent à le faire car la récitation du Coran n'est pas une chose facile et nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas donner un bon résultat », souligne-t-il tout en écrivant avec une plume de roseau. Et d'ajouter : « Ici, j’utilise les méthodes des anciens kottabs traditionnels, des méthodes qui, à mon avis, ont fait leurs preuves. Le cahier, par exemple, reste cher pour certains enfants de notre village alors que l'ardoise est à la portée de tous, alors pourquoi ne pas continuer à utiliser l’ardoise ? ».

Cheikh Ibrahim travaille avec zèle. Son but est de préparer certains élèves particulièrement talentueux à se présenter au concours d'apprentissage du Coran d'Al-Azhar. Un succès qui lui revient également, aussi bien au niveau de sa renommée que financièrement. « Si l'élève apprend par cœur le Coran, et passe l'examen à Al-Azhar avec succès, il reçoit une somme de 2 000 L.E. et 1 000 L.E. sont versées au cheikh qui lui a enseigné le Coran », explique cheikh Ibrahim, dont la fille a aussi une école coranique.


Mission difficile pour les cheikhs

En fait, le kottab était le seul lieu d'éducation jusqu'en 1923, lorsque l'enseignement scolaire a fait ses débuts en Egypte. Connu sous le nom d'Al-Khankah, il avait fait son apparition à l'époque des Omeyyades. Au début, l'enseignant ne percevait aucun salaire et le faisait à titre bénévole. Ensuite, les princes et le calife lui ont donné le nom d'éducateur privé car ce type d'enseignant devait se consacrer uniquement à l'apprentissage de leurs enfants et avait donc droit à un salaire mensuel.

Ces établissements se sont multipliés en 1890 pour atteindre le chiffre de 9 000, avec 180 000 élèves, qui devaient apprendre le Coran, la langue arabe et les règles élémentaires de mathématiques. Le prix de ces cours était généralement réglé par troc, des œufs, un poulet, des pigeons ou des galettes.

Avec les années et l’introduction des nouvelles écoles modernes, les kottabs ont commencé à perdre de leur éclat au point où Al-Azhar a annulé les 60 L.E. mensuelles accordées aux cheikhs des kottabs, ne leur laissant comme seule rémunération que le bon vouloir de certains parents et les prix versés lorsque l'un de leurs élèves passe un concours et le réussit. « Il est vrai que les 1 000 L.E. représentent une somme alléchante. Mais comment satisfaire les besoins de nos maisons avec cette somme non garantie et qui ne dépend que du succès d'un concours ? », s'indigne Cheikh Hassan Al-Sayed, cheikh d'un kottab de Guiza, tout en ajoutant que la somme modeste (3 L.E. par mois) que verse chaque enfant les aide à peine à arrondir les fins de mois.

Résultat, beaucoup de cheikhs se sont tournés vers d’autres métiers ou vers d’autres pays arabes, laissant les kottabs d’Egypte entre les mains de récitateurs loin d’être à la hauteur. Aujourd'hui, de nombreux cheikhs ne sont pas assez qualifiés pour enseigner le Coran.

Du coup, l'alternative a été le recours aux cours particuliers. De nombreux parents faisaient appel à des cheikhs qui venaient à la maison enseigner le Coran aux enfants. Mais la méthode n'a pas fait ses preuves, d'où la création de nouveaux kottabs.


De timides initiatives

Aujourd'hui, l'Egypte compte environ 7 000 kottabs ou écoles coraniques. Des kottabs qui n’ont comme fonction qu’une éducation religieuse facultative par rapport à l’école classique. Certains parents ont cherché à installer un kottab dans leur quartier. Des initiatives qui restent timides et modestes, mais qui ont pour but de faire survivre ces écoles du Coran.

Ces parents tiennent à ce que leurs enfants connaissent bien le Coran. Question d’honneur ou de piété, ils les inscrivent donc dans ces kottabs puisque les écoles ne prévoient pas l'apprentissage du Coran dans son curriculum. Tel est le cas de Ramadan , mécanicien, qui a voulu que tous ses fils connaissent et récitent tout le Coran. Habitant du village de Kiratine, à 20 km du Caire, Ramadan envoyait quotidiennement ses enfants à un kottab qui se trouvait dans un village assez loin de chez lui. Mais il était difficile de concilier les horaires de ses enfants à l'école avec ceux du kottab. Ramadan a enfin décidé de consacrer une parcelle de sa terre à la construction d'un kottab.

« Aujourd'hui, nous assistons à une diminution des cours de religion dans les écoles, voire à la suppression des cours de religion. Il est inadmissible que les responsables de l'éducation nationale remplacent les cours de religion par une autre matière appelée la morale. D'autant plus que l’apprentissage du Coran est le devoir de tout musulman. Dieu nous punira si nous n'enseignons pas le Coran à nos enfants », s'indigne Ramadan, qui assure que les habitants de son village de Kiratine, qui n'avait pas vu de kottab depuis 10 ans, ont profité de son initiative et y ont tous inscrit leurs enfants.

Aujourd’hui, Kiratine se voit doté de quatre nouveaux kottabs. De plus en plus de kottabs voient le jour pour pallier ce manque ressenti d’éducation religieuse et chacun selon ses moyens. Le Dr Raffat Osmane, l'ex-doyen de la faculté de la charia et de la loi, pense que l'une des raisons du retour du kottab est la détérioration de l'enseignement de la langue arabe. « Aujourd'hui, beaucoup de diplômés n’ont pas une bonne connaissance de la langue arabe et font beaucoup de fautes de grammaire et d'orthographe. Et ce, parce qu'ils ne cpas le Coran, qui est la source de la langue arabe », souligne-t-il. Et d’ajouter : « Le Coran est la source de la langue arabe, de la Constitution, de la législation et des références historiques. De grands personnages ont fait leurs études dans des kottabs, tels que le doyen de la littérature arabe Taha Hussein, le leader Saad Zaghloul et le penseur Mohamad Abdou, etc. ».

Ces écoles coraniques ne sont pas répandues seulement dans les gouvernorats et les villages, mais aussi dans la capitale. Faute d’endroit, beaucoup de kottabs se font dans les mosquées ou même dans les rez-de-chaussée d'immeubles sous le nom de « maison d'apprentissage du Coran ». « Si les villageois tiennent à faire apprendre le Coran à leurs enfants, nous, les Cairotes, le faisons aussi. La religion est une protection spirituelle », souligne Mohamad Fouad, fonctionnaire, qui a envoyé ses enfants à la mosquée de Moustapha Mahmoud, à Mohandessine pour l'apprentissage du Coran pendant les vacances scolaires. « Ma fille, Roba, âgée de 5 ans, suit des cours à l'école coranique à la mosquée. J'ai fait le tour des mosquées avant de choisir cette école. C'est l'esprit ouvert du cheikh, ainsi que le niveau social de ses camarades, qui m'ont persuadé. De plus, ils ont introduit de nouvelles techniques dans l'apprentissage du Coran, notamment l'ordinateur ».

Ces écoles servent parfois de centre de leçons particulières pour les étudiants des instituts azharis. Mossaad, étudiant à la faculté des études islamiques, se rend tous les jours dans un kottab de Kiratine. « Grâce à cette école, je parviens à perfectionner ma connaissance du Coran. Nous répétons et répétons après le cheikh pour exceller dans les cadences, le rythme et la longueur des voyelles », dit-il, interrompu par des youyous qui sortent de la maison de son voisin, Abou-Ahmad. Ce dernier célèbre un jour très particulier. Chez lui, du sirop et du riz au lait (pâtisserie orientale) sont offerts aux élèves du kottab Al-Cheikh Chaarawi. Un mouton a été sacrifié et un repas copieux attend les invités au dîner. L'événement n'est pas un mariage, mais plutôt une occasion spéciale. « Oqbal andoko, notre fils de 12 ans, Saleh, vient de terminer l’apprentissage par cœur du Coran », explique Abou-Ahmad, un père si fier de son fils qu’il a fait le tour du village pour annoncer la nouvelle.

Chahinaz Gheith
 

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