Robert
Solé aime l'Egypte, il le dit, le répète et le confirme
dans tous ses livres en commençant par Le Tarbouche
et en terminant par le Dictionnaire amoureux de l'Egypte.
Et pourtant, il a quitté ce pays quand il avait 17 ans
et n'y est retourné que beaucoup plus tard. Appartenant
à une famille égyptienne chrétienne d'origine syro-libanaise,
Solé, né au Caire, y a passé toute son enfance et adolescence.
Une vie qui au départ ne semble être différente de celle
de tous les Egyptiens de cette classe avec la capitale
et Alexandrie comme véritables pôles. « J'ai vécu
essentiellement à Héliopolis et je passais mes vacances
d'été sur la Côte-Nord près d'Alexandrie, donc j'ai
des souvenirs d'enfance et d'adolescence heureux presque
suspects, c'est-à-dire probablement embellis ».
Et c'est sans doute ce qui explique cet amour qu'il
porte pour sa terre natale. « Il y a plus d'une
façon de tomber sous le charme de ce pays. Le coup de
foudre m'était interdit. Né sur les bords du Nil, où
j'ai vécu jusqu'à l'âge de dix-sept, je ne pouvais être
de ceux que l'Egypte saisit brutalement et ensorcelle.
C'est un amour d'enfance … ».
En fait,
ce pays n'aurait pu être qu'un vague souvenir dans sa
mémoire, puisque quand il l'a quitté, il a commencé
une nouvelle vie en France et a presque tourné la page.
« J'ai choisi pour ma part d'aller en France
et de m'y intégrer, sans vouloir regarder en arrière »,
remarque-t–il dans la préface de son dernier livre.
Ayant obtenu
un bac « mathématiques » de l'école
des Jésuites et son père étant architecte, Robert Solé
avait quitté Le Caire pour faire des études dans une
école d'ingénieurs, mais très vite il a compris qu'il
voulait écrire et s'est donc inscrit à l'école de Journalisme
de Lille, obtient son diplôme et à 21 ans il travaillait
déjà. Lorsque Robert Solé évoque son parcours en France,
il le fait très vite. Tout a été facile, le travail,
l'adaptation, la vie. « J'ai peut-être eu de
la chance, mais je n'ai eu aucune difficulté à vivre
en France. J'ai épousé une Française, j'ai intégré le
journal Le Monde à 23 ans. Peut-être que le fait
que je venais d'Egypte et que je parlais l'arabe a aidé,
mais cela ne suffit pas à expliquer une telle facilité ».
Et ce, d'autant plus que Robert Solé n'a au départ pas
écrit sur l'Egypte ou même le Moyen-Orient lorsqu'il
a commencé sa carrière. Rédacteur de 1967 à 1969 au
quotidien Nord-Eclair, à Roubaix, il rentre au
Monde en 1969 où il est affecté à la rubrique
religieuse. Il sera ensuite correspondant à Rome de
1974 à 1980 et à Washington de 1980 à 1983. Après avoir
été chef du service Société à Paris jusqu'à 1989, il
intègre la hiérarchie du journal, occupant les fonctions
de rédacteur en chef et de directeur adjoint de la rédaction.
Aujourd'hui, il est le médiateur du Monde, une
fonction nouvellement créée en France, mais qui existe
dans des journaux américains comme le Washington
Post. Il s'agit d'une chronique qu'il signe tous
les samedis, en toute liberté, « dans laquelle
il fait état des remarques des lecteurs et de ses propres
réflexions sur le journal ».
Une carrière
qui a duré plus de 20 ans et dans laquelle l'Egypte
était remarquablement absente. « C'était carrément
une autre vie », celle du journaliste français,
car ce n'est qu'en 1992 que Robert Solé publie son premier
Roman, Le Tarbouche. Un livre qui le fera retrouver
sa terre natale qu'il regardera dorénavant avec d'autres
yeux. Pourquoi ce livre ? Et pourquoi ce retour ?
Le rythme de la conversation se ralentit, car Robert
Solé aime parler de l'Egypte, mais aussi de ses livres
et des personnages de ses romans et qui le passionnent.
Des personnages qu'il crée à l'image de parents, ou
d'amis qu'il a connus et qui ont habité son passé et
ses souvenirs. « Il y a eu un moment où j'ai
éprouvé le besoin de regarder en arrière et de retrouver
la trace de mes pas. De retrouver un monde qui m'avait
laissé des souvenirs éblouis. Et j'ai eu, en même temps,
besoin de comprendre l'histoire de ma famille et des
familles proches de la mienne ». De là, Solé
est revenu pour faire ses recherches à partir d'archives,
de documents et de livres, mais aussi en interviewant
des personnes qui faisaient partie de ce monde d'antan
et qui sont « malheureusement mortes aujourd'hui ».
Sans doute sont-elles enterrées dans le cimetière grec
catholique du Caire et où reposent bien des personnages
de ses romans. C'est en passionné qu'il commence à parler
de ses recherches, de ses trouvailles et de ses personnages
qu'il va créer de A à Z, même s'ils ressemblent à une
tante éloignée, un voisin où à un épicier au coin d'une
rue d'Héliopolis. Ce quartier qui l'a vu naître et grandir.
C'est ainsi qu'en 1992 est né Le Tarbouche, son
premier roman. « Je me suis passionné pour la
reconstitution d'une famille imaginaire, mais qui aurait
pu être la mienne. Et très vite s'est imposé à moi un
objet qui symbolisait toute une époque qui est le tarbouche.
Le tarbouche qui était presque un emblème de l'Egypte ».
En effet, c'est à travers Michel Batrakani, un jeune
Syrien qui appartient à une famille chrétienne du Levant,
débordant de francophilie à l'heure du cosmopolitisme
égyptien, et dont le père est fabricant de tarbouches,
que Solé retrace une importante partie de l'histoire
de l'Egypte dans une saga qui n'a d'autres lieux qu'Héliopolis
et Alexandrie. Dans son roman La Mamelouka, qui
est l'histoire d'un mauvais photographe qui tombe amoureux
d'une femme qui est peintre amateur, Solé s'est inspiré
d'une personne très proche de lui dans sa famille pour
créer son personnage « qui avait ce côté un
peu hâbleur, sympathique, très touchant qui séduisait
les femmes et les enfants. Il y avait d'autres personnes
dans ma famille des personnages loufoques que j'ai totalement
transformées dans Le Tarbouche et qui a donné
cet Edmond Touta obsédé par la démographie et qui comptait
tous les ans les passants du pont Qasr Al-Nil ».
Cependant, insiste-t-il à dire, « tous mes personnages
sont des créations, même si souvent des lecteurs ne
veulent pas l'admettre et insistent à dire qu'ils ont
très bien connu Georges Batrakani, par exemple, qui
aurait été un voisin. Ce qui est finalement un hommage
pour moi. Pourquoi pas ? Je finis par en douter
moi-même », ironise-t-il. En fait, Le Tarbouche
ne représente que le début de ses retrouvailles avec
l'Egypte, puisque Solé, à travers ses autres romans
comme Le Sémaphore d'Alexandrie (1994), La
Mamelouka (1996) ou Mazag (2000) et ses deux
essais historiques L'Egypte : passion française
(1997) et Les Savants de Bonaparte (1998), va
remonter dans le temps pour arriver à l'époque des pharaons,
dans ce qu'il considère être une suite logique des choses.
Car il s'était attaché à la famille qu'il avait créée
dans Le Tarbouche et a voulu retracer son histoire
et ses origines. « Mais, je ne me suis pas contenté
simplement de retourner en arrière, puisque je m'intéresse
également à l'Egypte d'aujourd'hui. Ce pays qui était
pour moi un amour d'enfance est devenu aussi un objet
d'étude mais non pas comme un spécialiste, je ne suis
ni égyptologue, ni sociologue, ni économiste. Je m'intéresse
à l'Egypte sans frontière c'est-à-dire à tous les thèmes,
à tous les sujets et à toutes les époques ».
Et ce, car Solé ne veut pas être un amoureux aveugle
de l'Egypte. Il se refuse de penser à l'Egypte en nostalgique,
il le dit et le répète dans la préface de son dernier
livre, Dictionnaire amoureux de l'Egypte. « Ce
pays m'enchante et me tourmente. C'est quand il me tourmente
que je me sens le plus lié à lui ». Car il
a retrouvé l'Egypte qui est une partie de lui, une partie
de son identité, ce qui lui donne le droit donc de jeter
un regard critique, voire sévère. Raison pour laquelle
il a voulu traiter dans son dernier livre des choses
qu'il n'aime pas en Egypte, des sujets graves, comme
les atteintes au patrimoine archéologique et à l'environnement,
les droits de l'homme mais aussi l'extrémisme. « Je
n'ai pas un regard de touriste sur ce pays, lorsque
je voisla saleté dans la rue, je ne trouve pas cela
pittoresque, je trouve cela inacceptable »,
dit-il non sans émotions. L'Egypte est tout simplement
un pays qui le touche et qui restera pendant longtemps,
semble-t-il, une source d'inspiration. Il continuera
d'en parler aussi bien dans ses articles que dans ses
romans, mais aussi dans ses récits historiques. Car
si l'on interroge Robert Solé sur son métier, il répondra
qu'il en a trois. « Je suis journaliste à temps
plein, je suis romancier et je suis aussi essayiste,
spécialiste de l'Egypte et ce sont trois choses qui
se rejoignent, mais qui sont totalement différentes.
Et, même si dans les trois cas, on manie des mots et
dans les trois cas on fait des métiers publics, chacun
de ces exercices reste très particulier »,
dit-il. En fait, ce que Solé aime vraiment, c'est raconter
une histoire, qu'elle soit vraie ou imaginée. N'est-ce
pas aussi ce que Solé aime dans l'Egyptien, le fait
de raconter des histoires, même si ce ne sont que des
noktas, des blagues, qui sont, selon lui, indissociables
de l'Egypte. N'a-t-il pas grandi en lisant des romans
de Tewfiq Al-Hakim dont il a consacré quelques pages
dans le Dictionnaire des amoureux de l'Egypte,
désignant Le Journal d'un substitut de campagne
comme un chef-d'œuvre de la littérature arabe. En fait,
Robert Solé aime l'Egypte, mais surtout il aime la raconter,
il le fera en tant que Français qu'Egyptien, peu importe
son identité, il est ce qu'il est, « pourquoi
pas un oiseau particulier », l'essentiel c'est
de continuer ce vagabondage sur les bords du Nil et
de raconter de nouvelles histoires vraies ou imaginées.
Mais pour son prochain livre, il revient en France,
au pied de l'Obélisque, place de la Concorde, pour remonter
encore une fois le temps.
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