Tenant
à la main un sac en plastique rempli de paperasse, Sanaa,
enseignante, est venue, accompagnée de ses deux enfants, elle
monte les escaliers en haletant. « Nous attendions
une telle décision depuis de longues années. Nos enfants vont
pouvoir enfin bénéficier de notre nationalité et ne seront
plus dans cette situation aléatoire », dit-elle avec
beaucoup d'entrain en s'adressant à un agent de la sécurité
qui lui indiqua la direction à prendre. « Est-il logique
que mes enfants soient traités comme des étrangers alors qu'ils
sont nés et vivent en Egypte ? », ajoute Sanaa.
Sanaa est choquée par le brouhaha et la longue
file qui attend derrière les guichets. Les unes essayent de
se faufiler pour avancer tandis que d'autres remplissent des
formulaires. Un état d'agitation a gagné la salle, la tension
monte.
Ballottant entre rêve et réalité, Sanaa,
comme le reste, espère que cette décision sera mise en application
le plus rapidement possible et sans avoir à subir la lenteur
bureaucratique ou à recourir au piston.
En effet, selon les chiffres officiels, le
problème touche environ 20 000 enfants nés de mariage
mixte et vivants en Egypte. Pourtant, un récent rapport, effectué
par l'Organisation égyptienne des droits de l'homme, affiche
d'autres chiffres : 150 000 Egyptiennes sont mariées
à des étrangers et 450 000 enfants sont concernés. Tout
en signalant que c'est en 1980 que ce genre d'union s'est
multiplié suite à l'application de la politique d'ouverture
économique.
Devant le guichet, Sanaa ressasse son passé
et regrette de n'avoir pas eu cette audace de dire non à ses
parents modestes qui lui ont imposé ce riche saoudien afin
d'assurer son avenir ! Deux ans après la naissance de
son quatrième enfant, elle se sépare de son conjoint qui quitte
aussitôt l'Egypte. « Non seulement il ne m'envoie
pas de l'argent pour ses enfants, mais il ne cherche même
pas à avoir de leurs nouvelles », lâche Sanaa. Tous
les cinq ans, c'est le calvaire pour cette femme afin de renouveler
les cartes de séjour de ses enfants. Autre problème, ils n'ont
pas le droit de fréquenter les écoles publiques. Cette maman
a dû inscrire les deux plus jeunes dans des écoles privées
où les frais de scolarité sont multipliés par deux, à savoir :
2 000 L.E. pour un étranger au lieu de 1 000 pour
un élève égyptien. Pire encore : pour obtenir cette inscription,
il lui a fallu retirer un papier du consulat saoudien stipulant
que cette instance ne trouvait aucun inconvénient à ce que
les enfants adhèrent à l'école égyptienne. En outre, ces derniers
ne bénéficient pas d'assurance de santé accordée aux autres
élèves. Quant à son aîné Sayed qui rêvait de faire une carrière
militaire, il n'a pas pu s'inscrire à l'académie de la police
à cause de sa nationalité étrangère. Tant bien que mal, elle
réussit à le caser dans un institut privé où elle doit payer
3 000 L.E. par an.
Sanaa
retire un formulaire obtenu gratuitement d'un des guichets
puis se met à le remplir. Elle doit y apporter le nom, la
nationalité, la date et le lieu de naissance, la fonction
et la religion des enfants, ainsi que du père et de la mère.
Elle doit joindre un contrat de mariage et prouver que ses
enfants résident depuis 10 ans en Egypte puis verser pour
chaque dossier 70 L.E. « Les choses paraissent simples
au départ. Mais je dois joindre un acte de naissance de mon
père, né dans un village perdu en 1905 », s'insurge
Sanaa. Contrariée, elle quitte le mogammaa et projette
de faire ce voyage le plus tôt possible avant que l'organisme
n'arrête la réception des dossiers. « Les fonctionnaires
refusaient de nous donner de plus amples détails concernant
la date de clôture des dossiers. On a même eu droit à des
critiques pour avoir préféré un partenaire étranger au lieu
d'un Egyptien », dit-elle
Le lendemain, Sanaa prend le train menant
à Assouan et se dirige au bureau de l'état civil. Mais là
une mauvaise surprise l'attend. On lui répond que cela prendra
du temps pour retrouver le registre sur lequel est portée
la date de naissance de son père. Elle attendra deux jours
pour connaître la réponse du responsable qui lui conseille
de se rendre aux archives nationales sises à Galaa au Caire.
Là encore, elle apprend qu'elle doit attendre une semaine
pour obtenir cet acte. « Je ne suis pas la seule dans
cette situation. Des centaines de femmes ne peuvent joindre
l'acte de naissance de leur père pour des raisons diverses »,
explique Sanaa à un fonctionnaire de l'organisme, en lui demandant
de se contenter des indications portées sur sa carte d'identité
ou son passeport en attendant de retirer ce papier. Mais elle
a droit à une réponse négative.
Autre problème que doit résoudre Sanaa :
on lui demande de joindre le certificat de fin d'études de
sa fille Samia. « J'ai déjà remis son certificat de
bac au bureau d'inscription des facultés qui a ouvert ses
portes pour les étrangers il y a une semaine. Je l'ai réclamé,
mais on m'a conseillé de le laisser pour ne pas faire perdre
l'inscription », souligne-t-elle, lasse de courir
à droite et à gauche pour rassembler tous les documents nécessaires
afin que ses enfants obtiennent la nationalité égyptienne
Malgré son entrain et son enthousiasme, rien
ne garantit à Sanaa que ses enfants obtiendront la nationalité.
Il faut répondre à certaines conditions et personne ne sait
lesquelles ! L'espoir et l'inquiétude planent sur cette
foule de femmes qui attendent de déposer leur demande de nationalité.
Farida qui a épousé un Pakistanais a eu un garçon de lui.
« Si cette décision présidentielle est applicable
à tous, mon fils pourrait en être privé, vu que le pays de
son père est classé dans la liste noire après les attaques
de 11 septembre », dit-elle en affirmant que les
responsables de l'organisme ont avancé que certaines conditions
seront prises en considération telles que la sécurité nationale
de peur qu'il y ait une infiltration de réseaux d'espionnage
par l'intermédiaire des enfants nés d'un père étranger après
l'obtention de la nationalité égyptienne. « Je veux
m'assurer avant tout que ce genre de questions liées à la
sécurité nationale ne seront pas les premiers prétextes avancés
pour refuser d'octroyer la nationalité égyptienne »,
avance Farida. Jusque-là, elle n'a obtenu aucune réponse.
Pire encore, le cas de Farida semble être délicat étant donné
que son frère a été impliqué dans une affaire de chèques sans
provision alors qu'on exige que tous les membres de la famille
de la personne réclamant la nationalité égyptienne pour les
enfants aient un casier judiciaire propre.
Sanaa, Farida et tant d'autres devront semble-t-il
patauger encore un moment dans le flou avant d'être fixées
sur le sort de leurs enfants. Une fois les formalités terminées,
toutes ignorent si les dossiers déposés vont être acceptés
ou rejetés. Elles ont toutes le sentiment que ce n'est pas
un droit que l'on accorde mais plutôt une faveur.