Les
incidents du 11 septembre 2001, puis la chute tragique
en mars 2003 de Bagdad, l'ancienne capitale des Abbassides,
ont fait surgir une fois de plus l'analyse de Samuel
Huntington : le choc des civilisations. La civilisation
arabo-musulmane est-elle vraiment vouée à un conflit
avec l'Occident ? Conscient des conséquences désastreuses
d'une telle approche, Chérif Al-Choubachi, premier sous-secrétaire
d'Etat au ministère de la Culture et directeur du Département
des relations culturelles extérieures, a confié à Abdel-Moneim
Gemeii, professeur d'histoire à l'Université du Caire,
la préparation d'un travail de recherche documentaire
sur le rôle de la civilisation arabo-musulmane dans
la démarche du progrès humain. Une recherche documentaire
qui a pris le soin d'exposer des travaux de scientifiques
arabes, des sciences naturelles aux sciences humaines,
qui ont frayé la voie à la Renaissance européenne,
à l'Europe moderne. Un des mérites de cette recherche
bien documentée, outre sa pertinence et sa diversité,
est qu'elle a mis l'accent sur l'esprit d'évolution
qui fait épanouir toute civilisation indépendamment
de son cadre géographique, historique, racial ou religieux.
Cet esprit de progrès est par nature dialectique.
Plus
clairement dit, le progrès ne peut pas être réalisé
si on n'accepte pas l'autre, si on ne discute pas sa
raison, sa propre vision du monde. Les Arabes étaient
conscients de la nécessité de cette interaction pour
bâtir leur civilisation. « Les cultures humanistes
ont été historiquement propagées par le biais des contacts
et des interactions ou par la conquête et la traduction.
A l'issue des conquêtes de l'islam, les chrétiens de
l'Orient ont vécu paisiblement avec les musulmans dans
une ambiance de tolérance religieuse », souligne
Gemeii.
« Ils
ont même joué un rôle pionnier dans l'émergence de la
renaissance scientifique islamique en traduisant vers
l'arabe le patrimoine scientifique grec. Dans l'islam,
la recherche scientifique est née libre. Les musulmans
et les chrétiens s'échangeaient mutuellement savoir
et connaissances. Il en était de même pour les Arabes
et les Persans. Les civilisations humaines sont en fait
le produit d'un effort cumulatif diversifié et prolongé
dans le temps (...). Des philosophes et scientifiques
comme Al-Kandi, Farabi et Avérocène étaient les premiers
à fonder les piliers d'un dialogue constructif entre
la civilisation arabo-musulmane naissante en Orient
arabe et d'autres civilisations plus antiques, celles
de l'Inde, de la Perse en Orient et de la Grèce en Occident »,
poursuit l'historien. |
Afin
d'entamer un débat sur ce travail documentaire qui réfute
les allégations de certains courants de pensée, Al-Choubachi
a organisé un colloque dans les locaux du Centre égyptien
de la coopération culturelle internationale. Un nombre
surprenant d'auditeurs ont assisté à ce débat. Ce qui
prouve que le choix du thème et le moment du débat ont
réussi à attirer les gens parce qu'en fait, l'identité
arabe est à l'heure actuelle victime d'une attaque sans
précédent, qui tend par tous les moyens à effacer cette
identité culturelle. Une identité qui est, à vrai dire,
la dernière ligne de défense face à la marche de l'impérialisme.
Une
des explications convaincantes des raisons de la diffusion
médiatique de la pensée de Huntington est celle du professeur
Raouf Abbass Hamed, président de l'Association égyptienne
des études historiques, invité à participer au débat :
« Pour les historiens, le concept de choc est
dénué de tout fondement scientifique parce que l'interaction
et l'assimilation étaient les deux facteurs qui ont
assuré l'épanouissement des civilisations humaines tout
au long de l'Histoire. La propagation de la pensée de
Huntington s'inscrit plutôt dans le cadre d'une politique
impériale expansionniste qui se cherche un nouveau protagoniste
après l'effondrement de l'Empire soviétique ».
Pour
mieux saisir la portée de l'argument avancé par Abbass
Hamed, il faut savoir que le complexe militaro-industriel
impérial ne peut maximiser ses profits de vente de l'industrie
de l'armement qu'en créant un ennemi fictif que les
médias — y compris certains courants de pensée —
se chargent ensuite de transformer en une réalité présente
imposante, même menaçante ! Cet ennemi est devenu
l'islam et les musulmans de par le monde entier. Une
auditrice qui semble avoir vécu longtemps à l'étranger
s'est attachée par contre à attirer l'attention sur
des pratiques négatives de certains musulmans qui ont
nui à l'image de l'islam. D'autres auditeurs s'adressant
à Choubachi ont demandé avec insistance que le livre
ne soit pas seulement traduit vers l'anglais comme il
envisage de le faire, mais aussi vers d'autres langues.
Mais personne ne lui a demandé d'accorder dans le futur
à ce débat plus d'envergure et plus d'ampleur en organisant
en coopération avec la Bibliothèque d'Alexandrie, par
exemple, une conférence afro-arabe sur les chances d'un
dialogue des civilisations. |