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Football
. La Fédération internationale
a promulgué une décision visant à interdire toute sorte
de pratique saugrenue sur les terrains de football. Incroyable
mais vrai, le monde des sportifs a dévoilé superstitions
et croyances religieuses qui laissent perplexe. Enquête.
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Le gri-gri
de la victoire
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Il est 15
heures. Une agitation inhabituelle règne dans les vestiaires
du Stade du Caire. Juste avant le match décisif qui va les
opposer à la sélection marocaine, les joueurs égyptiens
se préparent et exécutent des gestes devenus sacrés pour
eux. Dans la matinée, le capitaine Hossam Hassan se fait
faire une boule à zéro comme signe de bon augure
et le renard du terrain, Hazem Emam, laisse volontairement
le col de son tee-shirt se froisser. Le gardien de but de
l'équipe, Nader Al-Sayed, il se retire dans un coin du vestiaire.
Incliné sur son Coran, qui ne le quitte jamais, il récite
quelques versets qui pourront protéger son filet des tirs
de l'adversaire. D’autres joueurs ont quant à eux pris soin
de fermer leur portable afin de ne pas recevoir les appels
d’une personne qui pourrait leur porter la poisse.
« Aujourd’hui,
la porte du vestiaire est grande ouverte. C’est de bon augure »,
lance un des joueurs. « Tout à l'heure, en me rendant
au stade, j'ai aperçu un corbeau. C’est exactement ce qui
m'est arrivé lors de la dernière rencontre avec cette même
équipe et nous avions perdu le match », rétorque
un autre. Dès que le rituel de chacun est terminé, toute
l'équipe se range derrière le libéro Hadi Khachaba, surnommé
l’imam, pour faire une dernière prière. Et pour terminer,
ils posent leurs mains sur le livre sacré et récitent d'une
seule voix les sourates Al-Nass et Al-Falaq,
sans oublier la Fatiha. En retrait du groupe, Hani
Ramzi, le seul joueur chrétien, psalmodie quelques extraits
de l'Evangile.
Pour ces joueurs
professionnels, c'est le même scénario qui se répète avant
chaque match important. Selon Mohamad Al-Siagui, secrétaire
général de la Fédération égyptienne de football et ancien
joueur de Ghazl Al-Mahalla, le monde des footballeurs
est plein de pratiques multiples et variées faites de croyances
religieuses, de bon augure et même de superstition. |
Un phénomène à plusieurs facettes |
« Un
rituel ancré aussi bien chez les joueurs que les entraîneurs »,
confie Al-Siagui. Il suffit de citer l'exemple d'un entraîneur
célèbre des années 1980. Ce dernier n'a pas hésité à avoir
recours à un astrologue qui devait lui fixer la date des
rencontres suivant les numéros qui étaient supposés lui
porter chance pour gagner les matchs. « Une recette
qui n’a pas porté ses fruits puisque cet astrologue est
intervenu dans la constitution technique de l’équipe. Conséquence :
nous avons été éliminés du Championnat d’Afrique en quarts
de finale et depuis, ce divin a perdu de sa crédibilité »,
relate Ahmad Chobeir, ancien gardien de l'équipe nationale.
Cependant, de nombreuses pratiques sont ancrées dans l'esprit
des sportifs. « Un phénomène qui est général »,
assure Achraf Mahmoud, journaliste sportif. Et le plus grave,
c'est que certains rituels, considérés comme des gestes
de bon augure, dépassent parfois l'entendement. Ceci a poussé
la Fédération Internationale de Football (FIFA) à interdire
d'une part toutes sortes de pratiques saugrenues sur le
terrain visant à porter chance à une équipe, pour ne pas
enflammer l'esprit du public, et d’autre part à mettre fin
aux superstitions des joueurs.
Cette décision
provoque une polémique dans les milieux sportifs. Alors
que certains jugent cette interdiction comme une action
laïque qui vise à éliminer certaines pratiques religieuses,
d'autres pensent que c'est une atteinte à la liberté des
sportifs. « Il faut que la FIFA sache faire la distinction
entre les différentes pratiques », lance Siyam,
journaliste sportif. D’autres encore soutiennent la décision
de la FIFA sous prétexte que la magie est une croyance en
Afrique noire. Le fait d’interdire certains rituels est
donc considéré pour d'autres comme un passe-droit. |
A chacun son porte-bonheur
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En fait,
ce phénomène varie d’un sportif à un autre. De même, les
pratiques diffèrent selon que le joueur est en dehors ou
à l'intérieur du stade. Certains par exemple ont l’habitude
de faire la prière dans la mosquée d’un saint le jour qui
précède une rencontre importante,
comme c'est le cas de Mohamad Saad, entraîneur de Zamalek,
et qui a pour habitude de se rendre à la mosquée de Sayeda
Néfissa avant chaque match, surtout quand son équipe doit
affronter l'éternel rival, Ahli. Une recette qui
semble porter ses fruits ... mais pas à tous les coups.
Ce même scénario se répète dans différents gouvernorats,
à la différence que les saints protecteurs changent de nom.
Alors que l’équipe de Tanta fait sa prière à la mosquée
de Sidi Sayed Al-Badawi, Al-Mahalla se rendra à Sidi
Al-Dessouqi, célèbre pour avoir fait des miracles. Quant
à l'équipe de Qéna, elle fera sa prière du vendredi
à la mosquée de Sidi Al-Qénawi. D’autres sportifs ont pris
l’habitude de faire un geste de charité. C'était le cas
de cet entraîneur d’Assouan qui invitait les pauvres à un
grand festin.
Superstition
et malchance dépassent le cadre de la croyance. « Nombreux
sont les joueurs qui fréquentent cheikhs, astrologues ou
magiciens pour obtenir un gri-gri qui réduira à néant les
compétences du rival et augmentera les siennes »,
avoue Achraf Mahmoud. On a aussi le cas du club de Mansoura,
qui a sacrifié une bête sur le terrain sous prétexte que
le sang qui a coulé écarte la malchance ! Mais, ce
sacrifice n’a pas empêché le club de perdre et d'être mal
classé. Bien que dans les milieux sportifs, on tente de
cacher ce côté superstitieux, le club de Mansoura
l'a exhibé. Mais ce dernier ne faisait que prendre l'exemple
de l'équipe de Kotoko Ashante, au Ghana, qui en 1983,
lors d'un match qui l'opposait à Ahli, a sacrifié
un cochon et répandu son sang aux quatre coins du stade.
Un signe de bon augure pour les fans du football de ce pays,
d'autant plus qu'ils sont sortis vainqueurs de ce match.
Autre anecdote,
« au Kenya, notre équipe a été aspergée d'une poudre
magique. En Côte-d’Ivoire, on a jeté sur nos têtes les abats
d'un animal alors que nous rentrions sur le stade et en
rentrant aux vestiaires », raconte Chobeir. Selon
Mahmoud Al-Siagui, qui a accompagné la sélection dans plusieurs
pays africains, il existe des pays où l'usage de la magie
noire est une pratique courante, notamment au Nigeria, au
Mali, en Tanzanie, au Cameroun, ou encore au Maroc, très
réputé dans ce domaine.
Mahmoud Al-Siagui
se rappelle d'un match contre une équipe africaine et s'y
met à y croire dur comme fer : « Bien que je
ne veuille pas croire à la magie, il m'est arrivé de diriger
le ballon tout près du but et de le rater. Il a fallu qu'un
spectateur descende sur le terrain pour ôter le gri-gri
du gardien, accroché à son gant. Et c'est à partir de ce
moment-là que les buts ont commencé à pleuvoir ».
Et d'ajouter que durant ce tournoi, son équipe a fait appel
à un cheikh pour lire des versets du Coran et anéantir les
effets de toute magie.
L’expérience
marocaine s'est avérée utile à d’autres pays arabes, notamment
l’Arabie saoudite, dont les pages des journaux ont été témoins
d'une bataille entre deux grands clubs du royaume. L'un
accusant l'autre d’avoir recours à la magie et de faire
des voyages secrets au Maroc avant chaque rencontre. D’autres
équipes vont encore plus loin. Ils ramènent avec le staff
technique un magicien qui porte le titre de « Hakim »,
le sage. Ce dernier passe son temps à réciter des imprécations
et n'oublie pas de jeter des gris-gris autour du stade.
Ce n'est qu'après
le dernier championnat africain de 2000 qu'on a interdit
et commencé à sanctionner toutes les équipes qui ramènent
avec elles des Hakims. Mais comment la FIFA pourra-t-elle
gérer les folies d'Ibrahim Saïd, le défenseur d'Ahli,
qui à chaque match choisit de se teindre les cheveux en
rouge ou rose. Le bleu lui ayant porté malheur contre Zamalek.
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Dina Darwich
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