Enfants des rues . Au siège de l’Unesco à Paris, se sont déroulés expositions, colloques et spectacles autour de cette problématique. Un phénomène en pleine expansion dans le monde entier et qui atteint des proportions nouvelles.
Alerte générale
Constat alarmant : l’Unicef avance le chiffre de plus de 8 millions d’enfants dans les rues dans le monde. Le développement exponentiel de l’exclusion sociale des mineurs est malheureusement une autre facette de la mondialisation. Autrefois cantonné aux pays sous-développés du Sud, ce phénomène envahit maintenant les pays du Nord. Dans son préambule, la Convention des Nations-Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant précise : « Tout enfant doit grandir dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension ». Pour La Voix de l’Enfant, fédération qui regroupe près de 300 associations internationales pour les enfants en détresse et qui a pour but « l’écoute et la défense de tout enfant quel qu’il soit et où qu’il soit », cette affirmation généreuse est restée souvent lettre morte. Selon Claude Aiguesvives, président de La Voix de l’Enfant, l’enfant reste souvent en danger : « Maladies, sida, guerres, font des enfants les premières victimes d’un monde inégalitaire ».

Souvent, ce n’est pas l’intérêt de l’enfant qui est la priorité, mais plutôt l’égoïsme des adultes. « L’enfant doit être au cœur de nos préoccupations affectives, éducatives et économiques (…) Malheureusement, ce temps de l’enfance est un moment où beaucoup s’approprient la fragilité de l’enfant », s’indigne Claude Aiguesvives. C’est contre cet état de fait que s’insurgent toutes les associations, organisations et ONG de par le monde, dont la fondation Air France, ainsi que l’Unesco. C’est également dans le but de recherche de solutions adaptées à la problématique des enfants en détresse et plus particulièrement, les enfants des rues, qu’ont été organisés des colloques, expositions et spectacles au siège de l’Unesco à Paris, en présence de Madame Raffarin, l'épouse du premier ministre français. Le colloque a mis en évidence l’action de centaines de projets qui ont vu le jour avec la conviction que l’éducation peut restaurer une enfance bafouée. En 1992, est créée la fondation Air France qui intervient pour les enfants malades, handicapés ou en péril social. Mais l’axe principal de son action réside dans le phénomène des enfants des rues. En 1998, débute le partenariat entre Air France et l’Unesco qui décide de mettre le prestige de l’institution au profit des ces actions, notamment de l’exposition Un Enfant dans ma rue, qui vise à sensibiliser le public sur l’universalité du problème et la similarité de ses manifestations, ainsi que son expansion dans le monde. L’expo est le fruit d’un long travail dans plusieurs pays avec diverses associations et ONG dont, entre autres : Edisca (Brésil), Bayti (Maroc), Parada (France-Roumanie), Virlanie (Philippines) et Pour le sourire d’un enfant (Sénégal). Les photos exposées sont simples et parlantes. Elles montrent des visages d’enfants dont l’innocence et la beauté sont frappantes, mais qui sont déjà marqués par la misère et la souffrance. Le colloque, ainsi que le spectacle, mettent en exergue l’action exceptionnelle et le travail de Titan de la compagnie de danse Edisca (Brésil), ainsi que de l’association Bayti (Maroc).  


Une pionnière arabe

Bayti a été fondée en 1994 par Najat M’jid, pédiatre et médecin directeur de la polyclinique mère-enfant de la CNSS Hay Hassani, à Casablanca, qui en est également présidente, membre active et bénévole. Administratrice et membre de plusieurs associations soutenant les projets d’aide à l’enfance en situation difficile (fondation Mohamed VI, fondation Suez-Lyonnaise des eaux, fondation du groupe Air France, Voix de l’enfant), elle est l’auteur de nombreux rapports et ouvrages sur l’enfance en difficulté, dont Bayti : Un ovni dans la planète rue. M’jid a reçu plusieurs prix, dont le prix du CIDEF (Centre International De l’Enfance et de la Famille), le Prix européen de la pédiatrie sociale, ainsi que le Prix des droits de l’homme de la République française en 2000. De par sa connaissance du terrain, M’jid a développé une approche et des outils psychopédagogiques inédits qui intègrent les dimensions psychosociales et systémiques du problème. Son association œuvre dans le domaine de la réintégration familiale, le réinsertion scolaire et socioprofessionnelle des enfants en situation difficile : enfants des rues, au travail, victimes de sévices, abandonnés, délinquants, mineurs clandestins ou enfants exploités sexuellement. Dans son intervention à l’Unesco, le Dr M’jid a cerné le profil de l’éducateur-rue et des outils qui lui sont nécessaires pour mener à bien sa mission. Car Bayti propose aussi une formation d’éducateur-rue (pour d’autres ONG marocaines et européennes), un programme de partenariat et d’échange entre les jeunes de différentes ONG et Bayti, un programme mineurs et prisons (préparation à la sortie et à la prévention des récidives, ainsi qu’un travail sur la migration clandestine en partenariat avec l’Espagne et la France. Une approche participative, basée sur un réel partenariat, le premier partenaire étant bien entendu l’enfant, est obligatoire pour réussir un programme de réinsertion. La famille, l’école, le secteur professionnel privé, les ONG et les structures étatiques sont également partenaires. Bayti ne se contente pas d’un travail exceptionnel sur le terrain, elle traite aussi le problème en amont et en aval. Elle ne traite pas que l’urgence qui, pourtant existe, mais veut aussi trouver des solutions durables qui passent par le changement des systèmes sociaux et étatiques, ainsi que des mentalités.


Les typologies rue

Bayti a développé en premier lieu le programme rue où l’éducateur va vers le jeune, en lui proposant des ateliers rue, pour les soins, l’hygiène et la nutrition. Se trouvent, par la suite, d’autres ateliers contractualisés, qui se passent dans les Drop-in center et les sas-rue. A l’arrivée des jeunes dans ces centres, un contrat est passé : respect des horaires, pas d’agressivité, pas de sniffing. Ces ateliers se situent à divers points de la ville et à différentes heures, pour préparer les jeunes à un préapprentissage de la temporisation et de la spatialisation. Repères qu’ils ont presque toujours perdus. Il existe aussi dans le programme rue « les séjours rupture ». Les jeunes quittent la rue, accompagnés d’éducateur pour aller dans d’autres contrées du Maroc. Le but étant de créer des chantiers permettant à ces jeunes d’apporter une contribution à diverses populations. L’éducateur peut ainsi voir le jeune en dehors du système rue. A partir de cette étape décisive, il est possible aux éducateurs d’établir ce qu’ils appellent les typologies rue qui sont diverses et variées, parce que déterminées par plusieurs facteurs : l’usage de la rue, le squat, le statut par rapport au clan, etc. Dans l’étape suivante, les éducateurs se livrent à l’analyse systémique de situation : comprendre la problématique de la famille, du quartier et de son parcours passé. Il est possible, alors, de localiser les compétences des jeunes et de transformer les compétences de survie qu’ils ont acquises dans la rue en compétences de vie au travers d’ateliers organisés et qui correspondent à leurs besoins. Une fois arrivé à ce stade : renforcement des compétences, traitement des déviances, projection dans le futur et élaboration de projets de vie, les jeunes sont internés dans des centres. Ces centres sont des lieux de vie, des appartements et ne sont pas une finalité en soi. Ils sont régis par les jeunes eux-mêmes qui décident du règlement intérieur. L’éducateur n’est alors qu’un observateur. Ces centres permettent ainsi de développer l’esprit de citoyenneté des jeunes. Ils doivent devenir des acteurs de la société et une force de proposition. Cela bien sûr en accord avec la devise de Bayti de partenariat et non-assistanat. Rien n’est construit pour eux, mais tout est construit avec eux. Le projet de vie élaboré, c’est la mise en œuvre du projet qui commence, que ce soit une scolarisation ou autre. Et dans ce cas, il y a aussi un suivi et un accompagnement de l’école elle-même avec révision de la pédagogie des tests d’évaluation et des enseignants. Au niveau de la formation professionnelle des partenariats avec le secteur privé sont organisés avec les principes de tutorat et de mentoring et non pas d’exploitation et de charité. Un contrat est alors signé entre le jeune, l’éducateur référant et le tuteur pour des stages de formation, qualifiants ou d’emploi. Bayti a maintenant sa première entreprise de sous-traitance en menuiserie qui répond à un besoin spécifique du marché et qui est aussi en partenariat avec le secteur privé.


Des résultats probants

On s’imagine difficilement ce véritable parcours du combattant et pourtant les résultats sont là : au niveau de l’intégration sociale réussie, c’est-à-dire après trois ans de suivi minimum, parce que souvent le problème peut resurgir : 325 réinsertions familiales ont été réussies. En matière de prévention, en amont du problème : 700 enfants ont été empêchés d’aller dans la rue. 125 enfants sont maintenant scolarisés normalement. 500 enfants se trouvent en ateliers pédagogiques. En formation professionnelle et initiation se trouvent 250 jeunes. En emploi, c’est-à-dire en autonomie économique, 55 jeunes portent leurs projets. Au niveau des candidats à la migration clandestine, 60 jeunes ont été pris en charge. Au niveau de la sortie des mineurs de prison, pour prévenir la récidive et favoriser l’intégration : 65 jeunes.

Il s’agit là d’une expérience tout à fait concluante à laquelle l’Egypte s’est associée au travers de l’association pour enfants des rues Beit Al-Kheir. Un réseau d’associations arabes est d’ailleurs en cours de création pour généraliser les impressionnantes avancées que M’jid a réussi dans le domaine.

Haut de page
Retour au sommaire
La Une    L'événement   Le dossier   L'enquête   Nulle part ailleurs    L'invité   L'Egypte   Affaires   Finances   Le monde en bref   Points de vue   Commentaire   Carrefour   Portrait   Littérature   Livres   Arts   Sport   Escapades   Loisirs   Echangez, écrivez   La vie mondaine  
Al-Ahram Hebdo
[email protected]