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Coptes . Au Caire, ils ont de plus en plus tendance à quitter leurs quartiers de prédilection et traditionnellement connus comme les leurs tels Daher ou Choubra. Les critères de choix du quartier ont changé.
Le nouveau périple
des coptes du Caire

Il a fait ses bagages, n'a pas hésité une seconde à vendre son appartement, à louer une maison à Zamalek, le quartier le plus huppé du Caire et à tourner définitivement le dos à Choubra.
Réda, un réalisateur à la télévision égyptienne, copte, a habité le quartier de Choubra pendant plus de trente ans. Originaire de Samallout, en Haute-Egypte, sa famille se rend au Caire lorsque son père est recruté par l'Organisme des chemins de fer. Réda gardera dans sa mémoire le souvenir d'années heureuses à Choubra. Pendant tou
tes ces années, il a fait ses études dans ses écoles, prié dans ses églises et fréquenté ses magasins.
Pour lui, Choubra était synonyme d'existence, de sécurité et d'identité. Dans un quartier où la population s'élève à un million et demi d'individus, 80 % sont des coptes, comme l'indique le dernier recensement effectué sur la population du quartier. « Je sentais de la fierté en croisant des visages familiers, en circulant dans ses ruelles et en allant prier d'une église à l'autre ».
Les indices d'un fort rassemblement de coptes frappent à l'œil. Les photos de la Vierge Marie ou de Mar Guirguis (saint George) ornent presque tous les murs des magasins, les cassettes de taranimes (psalmodies) sont entendues partout. Même les noms des stations du métro sainte Thérèse ou Massarra rappellent les noms des fondateurs des premières églises du quartier. Bref, le décor de l'endroit met en relief l'identité de ses habitants. Une atmosphère qui ressemble à d'autres quartiers tels que Zeitoun, Faggala ou Daher où la présence des coptes a laissé ses traces.
Mais Choubra est devenu pour Réda synonyme d'embouteillages et de bruit. A Zamalek, il profite de la tranquillité, se trouve à proximité de l'école de ses enfants et a toutes les commodités.
Selon le Dr Milad Hanna, urbaniste, ce mouvement migratoire des coptes d'Egypte a connu deux étapes. La première et qui date du début du XIXe siècle a été la plus importante en nombre. Il s'agit de l'exode d'un grand nombre de familles coptes provenant de villages de Haute-Egypte en quête d'un meilleur avenir. « Du sud vers le nord ayant pour toute orientation le fleuve, le voyage se faisait généralement à bord de petites felouques. L'installation du premier réseau de chemin de fer à la fin du siècle dernier a facilité cet exode », dit-il.
La grande métropole qu'est Le Caire, avec tous ses bureaux et ses éclats, a attiré ainsi des centaines de coptes qui voulaient s'y aventurer. « Les coptes instruits étaient ceux qui avaient plus tendance à quitter leur village. Il leur était donc plus facile de trouver au Caire des emplois qui conviennent à leur niveau d'instruction », précise l'historien Younane Labib Rizq. Ainsi, les premiers endroits de rassemblement des coptes à la fin du XIXe siècle étaient des quartiers situés à proximité de la gare centrale tels que Qolali et Choubra. C'est ainsi que l'appellation de ces quartiers considérés coptes est née. Le quartier de Daher, à son tour, était en partie habité par des Syriens et des familles étrangères de confession catholique.


Suivre les pas du groupe

A Choubra et Qolali, la forte concentration des coptes donnait l'image d'un véritable îlot. « Cela a été un mouvement migratoire bien organisé, entrepris généralement en groupes. Natifs d'un même village, ils parlent le même dialecte et ont la même confession, la philosophie des premiers arrivants était de vivre ensemble », analyse le Dr Hanna. Lui-même a vécu cette expérience. Né dans la rue Khallat à Choubra, il a connu ces années d'union d'antan. En fait, ce sont ces nouveaux-venus qui ont fondé les premières églises du quartier, l'église de Massarra, Khallat et de Qolali au début du XXe siècle.
Le choix de Qolali et Choubra a été bien étudié. Non seulement ces quartiers étaient situés près de la gare mais avaient aussi une activité commerciale qui convenait à leur aspiration. Ceci explique le nombre croissant de magasins qui se sont vite répandus dans ces deux quartiers.
Aujourd'hui, selon les urbanistes, un autre déplacement est en train de se produire. Une grande tranche de familles chrétiennes, ayant habité pendant de longues années des quartiers comme Choubra, Qolali ou Zeitoun déménagent. Ces coptes appartenant à des classes sociales diverses changent carrément de quartiers. Un phénomène qui a suscité la curiosité des chercheurs et des observateurs mais n'a pas encore fait l'objet d'une étude. « En prenant en considération que l'emplacement des lieux de culte coptes était un indice pour le rassemblement des coptes, la propagation des églises dans tous les quartiers du Caire a permis leur décentralisation. Une image bien différente de la carte religieuse du Caire tracée il y a moins d'un demi-siècle », remarque Milad Hanna.
Au cours des années, l'établissement de différents réseaux de transport reliant tous les quartiers du Caire a permis à chaque habitant de pouvoir fréquenter l'église qui lui convient, et pas forcément celle de son quartier.
Marie Assad, activiste dans une ONG, a elle-même vécu cette mutation. Ayant habité le quartier de Faggala pendant plus d'un demi-siècle, il a fallu un beau jour le quitter.
« Nous habitions une villa voisine de celle de la famille de Boutros pacha Ghali, nous avons vu le quartier se détériorer du jour au lendemain. Une autre couche plus populaire a fait son intrusion dans Faggala, notre déménagement ainsi que d'autres familles coptes a été presque une échappatoire », se rappelle-t-elle. Il lui a été difficile de voir le quartier des anciens pachas se dégrader. Aujourd'hui, à Garden City, dans son luxueux appartement au bord du Nil, elle a la paix.
Ce déplacement des coptes vers d'autres quartiers plus chic du Caire prouvent que beaucoup d'entre eux aspirent à une sorte d'ascension sociale. Marie Assad comme d'autres n'a pas tenu compte des critères religieux, ni des sentiments de sécurité qu'offre le rassemblement dans un même endroit. Pour elle, l'important était de trouver le logement qui correspond à ses aspirations.
Karam Al-Naggar, scénariste copte, a lui aussi bien fait ses calculs. Il ne regrette pas d'avoir pris la direction d'Héliopolis, quittant Clot Bey où il était entouré de coptes et où il voyait de son balcon la prestigieuse ancienne cathédrale qui fait le charme de ce quartier. Pendant de longues années, ce lieu de culte avait étroitement lié tous les fidèles du quartier. La famille de Karam Al-Naggar s'est aujourd'hui dispersée entre Maadi, Héliopolis et Garden City. Pour Karam, ce phénomène est bien justifié. « Le déplacement des coptes se fait aujourd'hui selon des facteurs économiques et non religieux ». D'après Al-Naggar, ce changement reflète que les coptes sont plus en confiance et n'éprouvent plus le besoin d'être entourés. « A l'encontre de la Syrie, du Liban et de l'Iraq où des villes et des quartiers entiers sont habités par des coptes, la carte démographique du Caire n'est plus divisée selon la confession de ses habitants », explique-t-il. La nouvelle carte démographique du Caire tient plutôt compte du facteur économique.


Mieux vivre ou vivre ensemble

D'autres familles coptes viennent toujours de provinces vers la capitale ou ses environs. La famille d'Atef Abdel-Messih a choisi le quartier d'Ezbet Al-Nakhl. Ayant fui son village natal Dayrout à Assiout en 1991 où des actes terroristes étaient perpétrés, il a préféré s'installer dans ce bidonville situé à l'extrémité du Caire. Ici, il a rejoint des centaines de familles coptes venus du Saïd. Ouvriers, vendeurs ambulants et agriculteurs forment l'essentiel de la population de ce quartier. « On a peur de s'aventurer dans le Grand-Caire, car il nous effraie. Ici, loin du centre, à l'entrée de la capitale, nous nous sentons protégés », s'est dit Atef. Une des raisons de ce choix, le prix abordable des loyers dans ce quartier. Cet agriculteur est venu avec toute sa famille constituée de 8 frères et sœurs qui habitent des maisons mitoyennes et fréquentent la même église. Un lieu de culte auquel ils vouent un grand attachement. Venus du fond du Saïd, les fidèles qui souhaitent s'installer dans la capitale commencent toujours par chercher leurs repères, à savoir une église à laquelle appartenir et d'autres familles coptes originaire de leur village à fréquenter.
C'est autour de l'église d'Ezbet Al-Nakhl que se rassemblent ces coptes et où l'activité commerciale est prospère. « Je vis sur la générosité des fidèles. Je profite des jours de la messe pour vendre de l'encens aux passants, car je ne possède aucune source de revenu », raconte Yvette, 65 ans, originaire de Bani-Mazar, à Minya. Une situation qui risque de ne pas durer pour ces habitants timides d'Ezbet Al-Nakhl. Une fois le choc Saïd–Caire surmonté, ils penseront tout comme leurs prédécesseurs à se rapprocher de la capitale et à habiter ses quartiers.

Amira Doss
Magda Barsoum

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Al-Ahram Hebdo
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