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Train
. Environ dix mois se sont
écoulés depuis la tragédie d'Al-Ayat, qui a coûté officiellement
la vie à 378 passagers. L'état des trains de troisième classe
reste déplorable malgré les promesses des responsables.
Reportage dans un « tertio » entre Le Caire
et Minya. |
Voyage
avec des billets perdants |
C'est la
croix et la bannière pour avoir un billet de train en troisième
classe. Aucune information précise sur les horaires ni même
sur le quai de départ, même dans la gare principale du Caire.
« Il n'y a plus de tertio (wagons de troisième
classe) qui partent de la gare de Ramsès, il faut se
rendre à Guiza » « Pas de réservation à
l'avance et
il est indispensable de se présenter très tôt pour espérer
avoir un siège. Quant au billet, il faut l'acheter sur place ».
Des réponses qui ne découragent pas des centaines de passagers
de venir de bonne heure pour attendre sur le quai de la
gare Ramsès. Avec le temps, ils se sont habitués aux caprices
du train. « Il y en a un qui part à 7h30 du matin »,
lance un des passagers assis à même le sol. A côté de lui
sont disposés un grand panier en osier, deux sacs et trois
boîtes en carton.
Sur le quai,
des centaines de provinciaux en galabiyas, des fonctionnaires,
des militaires en uniforme et des ouvriers attendent impatiemment
l'heure du départ du train pour aller rejoindre leurs familles
ou leurs lieux de résidence.
Il est 7h45
quand un train vétuste, portant le numéro 93, composé de
10 wagons, fait son entrée dans la gare. Impossible de se
tromper. Sa forme et son état le distinguent des autres
locomotives. Les passagers savent à quoi s'en tenir.
Ils se précipitent, courent, se bousculent et n'attendent
même pas qu'il s'arrête.
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Le filet à bagages ou les toilettes
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Les plus
chanceux trouvent un siège, les autres se contentent d'un
petit coin par terre. Ibrahim, ouvrier, n'a pas dormi depuis
deux jours parce qu'il a assuré le quart. Sachant pertinemment
que son trajet va être long, il tente tant bien que mal
de pousser paniers et sacs pour se frayer une place sur
le filet à bagages. Un emplacement que beaucoup de passagers
convoitent. La plupart d'entre eux doivent endurer au moins
4 heures de voyage debout. D'autres s'installeront carrément
dans les toilettes. Et pourquoi pas, elles sont inutilisables
puisqu'il n'y a pas une goutte d'eau. Non loin, devant la
porte d'un wagon, un groupe de jeunes ouvriers se tient
debout. Les plaisanteries fusent, un moyen pour faire passer
le temps
et surtout dominer la fatigue car à force d'être debout,
ils ont du mal à tenir le coup.
« Qui
va descendre à Wasta, ou à Béni-Souef ? »,
répète un jeune de 16 ans dans l'espoir de se garantir un
siège pour le reste de la route. Il essaye de calmer ses
amis un peu trop agités. « Eloigne cette chicha »,
« Cesse de provoquer ton copain », lance
Mansour. Ce dernier semble se plaire dans ce rôle d'agent
de l'ordre puisque les véritables agents se sont contentés
de faire une seule inspection dans le train pour s'assurer
que les consignes de sécurité étaient bien respectées. A
savoir : défense de fumer, de s'installer dans le filet
à bagages ou de détenir un réchaud à gaz et faire la chasse
aux marchands ambulants qui imposent leur loi. Dès que les
agents disparaissent, tous les interdits sont bannis.
Dans le wagon
crasseux, portes et fenêtres sont bloquées. Une odeur nauséabonde
embaume les lieux. Le vacarme du train se mêle au brouhaha
des enfants. S'ajoute à cet enfer le va-et-vient des vendeurs
qui parcourent les wagons avec tous genres de produits.
Des chaussettes, des babouches, des citrons, des crêpes,
des briquets et même un cireur de chaussures !
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Le receveur fait le clown
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Tout ce bruit
n'a pas empêché Hassan, le militaire, de fredonner un air
du chanteur populaire Moustapha Kamel. Assis à côté de lui,
Mahmoud tente de lire à haute voix quelques versets du Coran.
C'est l'anarchie totale. Cependant, les passagers ne semblent
pas s'en soucier. Mariam, fonctionnaire originaire de Sohag,
n'hésite pas à donner la tétée à son bébé tout en camouflant
son sein avec un foulard. Son mari assis auprès d'elle se
chamaille avec Chaabane, le receveur qui fait le clown pour
distraire tout le monde. Ce dernier ne peut cependant rien
faire pour améliorer le confort des gens, bien qu'il ait
le droit de demander des wagons supplémentaires en cas
de forte affluence. En principe, le nombre de
passagers ne doit pas dépasser les 110 par wagon. Selon
lui, il atteint les 200 et parfois les 300, comme ce fut
le cas du train qui a pris feu en février durant la fête
du grand Baïram. « Je n'ai pourtant pas le
droit de protester ni de refuser de travailler, sinon je
risque de perdre mon poste. D'ailleurs, la première destination
où je peux me permettre de demander des wagons est Minya »,
explique-t-il, tout en ajoutant que ce ne sont que de vieux
wagons récupérés de différents trains comme s'il s'agissait
d'une galabiya qu'on tente de rapiécer.
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Des promesses sans lendemain
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Selon Chaabane,
qui a travaillé en tant que contrôleur sur le fameux train
accidenté et qui fut impliqué dans cette affaire pour négligence,
puis acquitté par le tribunal, l'état des wagons de troisième
classe n'a pas beaucoup changé depuis l'accident. « Seulement,
quelques changements superficiels comme les locomotives
qui ont été repeintes. Des extincteurs ont été installés
dans chaque wagon, mais il faut mettre 10 minutes pour les
actionner étant donné qu'ils sont placés dans un endroit
élevé et coincé par une planche en bois. Cependant,
le dispositif de freinage d'urgence est désormais placé
dans une boîte en verre que l'on peut briser facilement
en cas d'urgence. Auparavant, la protection de la boîte
était constituée d'un morceau de bois cloué »,
explique-t-il en ajoutant que parmi les éléments nouveaux,
un talkie-walkie est mis à la disposition du contrôleur
en chef pour lui permettre de communiquer à tout moment
avec le chauffeur du train. Un seul donc est disponible
pour les dix wagons.
En fait, 5
milliards de L.E. seront consacrées, selon les responsables
de l'Organisme des chemins de fer, pour l'acquisition de
nouveaux wagons, suite à la catastrophe de février dernier.
Un plan qui doit être appliqué sur trois ans. Cependant,
les responsables accusent le manque de civisme des passagers
qui compromet tout changement.
Un prétexte
qui ne suffit pas pour expliquer l'état lamentable des trains
qui pour la plupart ont besoin de d'une maintenance. Pourtant,
800 millions de passagers voyagent dans cette catégorie
de train chaque année. « Je travaille en tant que
chauffeur journalier au Caire. Un jour je gagne ma vie,
un autre je ne trouve pas de quoi manger, je ne peux pas
payer plus de 4 L.E. pour rendre visite à ma famille à Minya.
J'accepte les mauvaises conditions du voyage car je n'ai
pas d'autre choix. Je dois voyager assis par terre
ou debout durant 4 heures », explique Mansour.
D'autres sont obligés de souffrir car leur destination est
plus lointaine : Assouan. La situation est encore plus
grave lorsque les parents sont accompagnés d'enfants en
bas âge. Les mamans couvrent leurs bambins de lainage pour
les protéger du froid, comme c'est le cas de plusieurs gamins
assis à proximité d'une fenêtre sans vitre.
Dans ce genre
de train, un coup de frein suffit pour créer une scène de
panique. C'est ce qui est arrivé à Ibrahim, qui dormait
profondément dans le filet à bagages, qui est tombé sur
l'épouse de Hag Saber. Quant à Mahmoud, qui a perdu l'équilibre,
il est tombé sur la sœur de Mansour. Des injures sont proférées
et une rixe a failli éclater. Mais cela ne dure pas longtemps.
Des accolades et des pardons suivent les jurons. Ce coup
de frein n’annonce qu'une des douze stations jusqu'à Minya,
car le train s'arrête environ tous les quarts d'heure. On
est arrivé à Béni-Souef. Kyrollos, un militaire habitué
de ce train, monte dans le train pour Minya. Comme beaucoup
d'autres coptes, il profite des congés de fête pour passer
quelques jours avec ses parents.
Il n'a pas
trouvé de place et s’assoit entre les deux wagons. Un endroit
à risque pour un train qui date de 40 ans. « Je
ne sais pas pourquoi l'Organisme des chemins de fer nous
traite comme des citoyens de seconde zone », s'interroge-t-il
tout. Et d’ajouter : « Ce n'est pas parce que
nous sommes pauvres que l'on ne doit pas se soucier de notre
vie ». Malgré tout, Kyrollos ne peut se passer
de rendre visite à ses parents durant la fête. C'est la
croix et la bannière pour avoir un billet de train en troisième
classe. Mais Kyrollos, comme les autres, n'a pas le choix
et il en veut un. A tout prix.
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Chahinaz
Gheith
Doaa Khalifa
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