Le pape ... et le pape !
par Mohamed Salmawy

Alors que le pape Jean-Paul II était en visite au Caire, des enfants lui ont présenté un peu de terre d'Egypte. Le pape du Vatican s'est alors courbé et a effleuré de ses lèvres cette terre qu’on lui a présentée. Il a agi ainsi au vu et au su de tout le monde et, notamment, le président Moubarak. Les appareils photos de l'agence de presse américaine AP ont réussi à capter cette scène et le Newsweek l’a publiée dans son dernier numéro. Bien que cette photo soit la seule à être publiée dans ce magazine sur le sujet, il n'en reste pas moins que je n’en ai pas vu de semblable dans aucune publication égyptienne. Et ceci malgré l’importance symbolique qu’elle revêt. D’autant qu’elle répond à la question primordiale que de nombreuses personnes se sont posées, à savoir la raison de cette première visite d'un pape du Vatican en Egypte.
Nombreux ont avancé que les événements de Kocheh étaient derrière cette visite. Mais, en réalité, cette visite a été planifiée longtemps avant les événements vécus par ce village. Bien plus, ce sujet n'a absolument pas été abordé durant les entretiens que le pape a eus avec les responsables égyptiens. Par ailleurs, certains journaux à l’étranger ont indiqué que la visite du pape avait pour objet d’appeler à la tolérance entre les musulmans et les chrétiens. Pourtant, le pape Chénouda III, représentant légal des chrétiens en Egypte, a semblé avoir une position particulière à l'égard de cette visite du pape du Vatican. En effet, le culte orthodoxe, adopté par la majorité des coptes égyptiens, constitue l'origine du christianisme et devance de quatre siècles le catholicisme du Vatican. Durant ces quatre siècles, l'Eglise égyptienne d'Alexandrie, fondée par saint Marc, était le centre unique des chrétiens au monde. D’ailleurs, l'absence du pape des coptes orthodoxes aux cérémonies d'accueil du pape catholique à l'aéroport du Caire, en présence de Moubarak lui-même, a suscité l’étonnement de nombreuses personnes. De toute manière et quelles qu'en soient les raisons, le pape Jean-Paul II n'a pas accueilli le pape Chénouda III à l'aéroport de Rome durant sa célèbre visite de mai 1973 au Vatican. Le pape Chénouda n'a également pas assisté à la grande messe célébrée par le pape Jean-Paul II dans le stade du Caire. Mais il l’a accueilli en son siège au patriarcat copte orthodoxe à Abbassiya.
Selon l'Histoire chrétienne, l'Eglise égyptienne est la première au monde et elle l’est restée durant les 4 premiers siècles jusqu'à ce que l'Eglise catholique s’en soit séparée, puis par la suite l'Eglise protestante, ainsi que d'autres rites.
Les preuves historiques abondent sur le fait que l'Eglise égyptienne a posé les fondements de l'Eglise dans le monde et a répandu le christianisme en Europe. Mais, le fossé entre les différents rites a pris de l'ampleur au fil du temps. Alors que le monde entier autrefois se rangeait sur les dates de l'Eglise copte, les chrétiens d'aujourd'hui ne sont plus d'accord sur une date unique pour célébrer la naissance du Christ, Pâques, ou même sur la célébration des divers cultes de l'Eglise. Or la question qui se pose est la suivante : pourquoi donc le pape du Vatican est-il venu en Egypte ? Est-ce pour retrouver les adeptes de l'Eglise catholique en Egypte, dont le nombre ne dépasse pas 200 000, alors que les coptes orthodoxes sont au nombre de 15 millions ?
L'une des interprétations les plus étranges a été publiée par le Newsweek. Dans la légende de la photo que nous avons ci-haut mentionnée, il est dit que le pape du Vatican est venu en Egypte pour suivre les traces sacrées de Moïse, le prophète juif. L'étrangeté réside plutôt dans le fait que le pape est en effet venu suivre les traces sacrées non pas celles de Moïse, mais celles de Jésus-Christ et de la Sainte Famille, venus en Egypte pour y trouver refuge. J'ai appris par l'un des adjoints de Jean-Paul II que le pape désirait ardemment suivre les pas de la Sainte Famille en Egypte. Et ceci, depuis qu'il était à la tête de l'Eglise polonaise, à cause de toute la symbolique que revêt l'Egypte pour le christianisme. Ainsi, le pape a-t-il qualifié cette visite de « pèlerinage ». Il est certain que s'il n'y avait eu la protection offerte par l'Egypte et son peuple à l'Enfant Jésus, la religion chrétienne, dans sa globalité, aurait été sujette au doute. La sainte Bible relate qu'Hérode, roi des juifs, régnait en Judée qui se trouve en Cisjordanie, en Palestine, et qu'il avait appris qu'un enfant naîtrait dans son royaume et qu'il en deviendrait roi. Il a alors donné l'ordre de tuer tous les nouveau-nés mâles de son royaume. On raconte, d'ailleurs, qu'une caverne dans une vieille église de Bethléem contient les crânes de milliers d'enfants tués sur l'ordre d'Hérode. L'ange de Dieu est ainsi apparu à saint Joseph et lui a ordonné de prendre l'enfant ainsi que sa mère et de partir immédiatement pour l'Egypte pour y trouver refuge et sécurité.
La Bible confirme que la Sainte Famille a effectivement effectué le voyage en Egypte. « Voici le Seigneur monté sur un nuage rapide : il vient en Egypte. Les idoles d'Egypte tremblent devant lui. Et le courage de l'Egypte fond dans ses entrailles » (Isaïe 19:1). Il confirme aussi que l'Egypte l'a protégé de la violence et de la persécution d'Hérode jusqu'à la mort de ce dernier. Dieu lui a alors ordonné de retourner en Palestine. « D'Egypte, j'ai appelé mon fils » (Osée 11:1). L'ange de Dieu est apparu une nouvelle fois à saint Joseph en lui disant : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère et retourne avec eux dans le pays d'Israël, car ceux qui cherchaient à faire mourir l'enfant sont morts » (Mathieu 2:19-20). En reconnaissance du rôle de l'Egypte dans la protection du Christ Jésus, Dieu l'a béni ainsi que son peuple en disant : « Bénie soit l'Egypte, mon peuple » (Isaïe 19:25). La Bible a confirmé l'éternité de cette bénédiction en disant : « Car les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables » (Romains 11:29)
Malgré cette place divine de l'Egypte, dont le pape a baisé le sol au début de sa visite, la Bible ne mentionne aucun détail sur le séjour de la Sainte Famille en Egypte, ni sur les périples du voyage, ni sur les lieux par lesquelles elle est passée. Ceux qui veulent connaître ces détails doivent chercher dans les documents de l'Eglise copte en Egypte. En effet, elle constitue la première source d'informations à ce sujet. Tous ceux qui ont travaillé sur le séjour de la Sainte Famille en Egypte, qu'ils soient Egyptiens ou étrangers, résidents en Egypte ou non, ont pris ces textes comme référence. Certains documents sont toujours en Egypte, alors que d'autres se trouvent dans les musées et les grandes bibliothèques à l'étranger. Le papyrus du Fayoum rédigé dans l'ancienne langue copte du Fayoum et qui se trouve dans la bibliothèque de l'Université de Cologne, en Allemagne, remonte au IVe siècle. Ce papyrus affirme clairement que le séjour de la Sainte Famille en Egypte a duré 3 ans et 11 mois. Cette question reste sujette à de nombreuses spéculations, car il n'existe pas de documents qui confirment ce fait de façon certaine. Quelques-uns ont estimé la durée de ce séjour à 3 ans, mais d'autres l'ont limité à une seule année. L'archéologue allemande, Mme Scheinkel, issue d'une famille experte dans l'histoire ancienne, a publié cet important papyrus. Son père était un savant de renommée internationale en histoire copte. La longueur de ce papyrus ne dépasse pas 31,5 cm et sa largeur 8,4 cm. Néanmoins, il revêt une grande importance scientifique et historique. Il ne tranche pas seulement au sujet de la durée du séjour de la Sainte Famille en Egypte, mais il détermine aussi la date du début du voyage, à savoir le 24 du mois copte de Bashons, correspondant au début du mois de juin dans le calendrier grégorien. L'Eglise copte connaît bien cette réalité. En effet, elle fête annuellement la mémoire du voyage de la Sainte Famille à cette date. Ce qui confirme l'exactitude des informations citées dans le papyrus.
Ce papyrus, unique en son genre, ne relate pas uniquement le séjour de la Sainte Famille en Egypte, mais décrit dans les menus détails la vie dans l'Egypte de l'époque. Il décrit l'Egypte comme la terre la plus importante du monde et confirme que la grâce de Dieu va planer sur l'Egypte et son peuple qui seront bénits à tout jamais.
Une autre source égyptienne importante sur le séjour de la Sainte Famille en Egypte est connue sous le nom des mémoires du pape Théophile. C'est un manuscrit en langue arabe, dont il n'existe que trois exemplaires. L'un au Vatican, l'autre à la Bibliothèque Nationale à Paris et enfin le dernier à la bibliothèque des manuscrits de Deir Al-Moharraq en Egypte. L'histoire de ce manuscrit est très étrange. Le pape Théophile, 23e pape de l'histoire de l'Eglise copte, a rassemblé et a rédigé à la fin du IVe siècle l'histoire orale du séjour de la Sainte Famille en Egypte. Histoire que les Egyptiens se transmettaient de génération en génération. Pendant la nuit du 6 du mois copte Hatur, la Sainte Vierge est apparue au pape qui l'avait longuement priée. La Vierge Marie lui a raconté, en détails, son voyage avec Jésus, saint Joseph et son accoucheuse Salomé de Palestine à travers le désert jusqu'au Sinaï. Elle lui conta aussi comment elle s'était introduite dans la vallée du Nil pour s'installer dans le sud de l'Egypte pendant 6 mois et 11 jours. Ceci jusqu'à ce que l'Ange de Dieu apparaisse à saint Joseph pour l'informer que Hérode était mort et qu'il devait prendre l'enfant et sa mère et retourner en Palestine. Trois ans et 11 mois s'étaient déjà écoulés depuis leur arrivée en Egypte. La Sainte Vierge a demandé au pape d'enregistrer ses dires qui ont confirmé certains faits et corrigé d'autres.
L'apparition de la Sainte Vierge peut sembler étrange dans notre monde empreint de matérialisme et où les valeurs spirituelles ont connu un retrait évident. Pourtant, ce genre d'apparitions dans le christianisme représente une tradition authentique. De nombreux indices démontrent l'apparition de la Vierge Marie dans plusieurs églises à travers le monde, dont l'Eglise de Zeitoun au Caire. Elle est apparue au-dessus de ses coupoles en avril 1968 à la suite de la guerre de juin 1967, lors de ce moment de crise intense qu'a connu le peuple égyptien. C'est en effet, ce même peuple qui a apporté son soutien à Marie et à l'enfant Jésus dans leur moment de crise et leur a apporté la sécurité jusqu'à la disparition du danger. Le peuple égyptien en 1968 a bien sûr compris la signification de ce geste de la Vierge Marie.
L'apparition de la Sainte Vierge arrivait en même temps que la crise qu'il vivait. Elle a ainsi apporté sa bénédiction à ce peuple lorsqu'il souffrait. Des milliers d'Egyptiens, chrétiens et musulmans se regroupaient chaque nuit devant l'église de la Vierge Marie de la rue Toumanbay à Zeitoun pour attendre son apparition. Selon le livre du pape Théophile, la Sainte Famille avait fait une halte à l'emplacement de cette modeste église sur sa route vers Matariya. L'apparition de la Sainte Vierge à l'église de Zeitoun s'est répétée tous les soirs durant le mois d'avril et un peu après. Ces apparitions étaient accompagnées d'événements extraordinaires comme la guérison de malades qui venaient voir la Sainte Vierge au-dessus des coupoles. Les journaux, à cette époque, regorgeaient de faits se rapportant à ce phénomène. Phénomène qui a fortement préoccupé la société égyptienne, toutes tendances confondues. Le pape Kyrillos VI avait alors formé un comité présidé par Mgr Grégorios, évêque responsable des études supérieures, de la culture copte et de la recherche scientifique. Le 4 mai 1968 à 13h, le patriarcat a tenu une conférence internationale au siège du patriarcat à Ezbékiya, à laquelle ont assisté de nombreux représentants des médias et des correspondants d'agences de presse locales et étrangères. Un communiqué spécial du pape Kyrillos a été diffusé en arabe et en anglais. Selon ce communiqué, dont je possède une copie, il a été prouvé que l'apparition de la Sainte Vierge avait eu lieu à partir du 2 avril 1968, qu'elle s'était poursuivie jusqu'à la date de la diffusion du communiqué et qu'elle prenait différentes formes. Son corps apparaissait parfois en entier, tandis que d'autres fois ce n'était que son buste qui émergeait, entouré d'un halo de lumière. Cela se déroulait à travers les ouvertures des coupoles de l'église ou à l'extérieur. La Sainte Vierge bougeait, marchait au-dessus des coupoles, ou s'inclinait devant la croix surmontant la coupole qui s'illuminait alors d'une lumière étincelante. Elle regardait les milliers de personnes venues la voir, les bénissait de sa main ou inclinait légèrement la tête. Cette apparition ne prenait parfois que la forme d'une lumière précédée par des formes spirituelles comme des colombes qui parcouraient le ciel à grande vitesse. Elle pouvait durer longtemps comme à l'aube du mardi 30 avril 1968 avec une durée de 2h 15. Cette aube-là, elle était apparue en son entier, toute lumineuse, de 2h45 à 5h.
Le comité a entendu le témoignage de centaines de personnes, de différentes religions et dogmes, des Egyptiens et des étrangers, des hommes de religion, des scientifiques, des personnes de différentes professions. Tous ont été d'accord sur les faits. Ils ont fait, selon la nuit où elle leur était apparue, les mêmes descriptions de la scène : l'emplacement, la durée et la forme qu'avait pris la Vierge. « Des témoignages collectifs selon lesquels l'apparition de la Sainte Vierge toute en lumière dans cette région est une chose unique qui n'a pas besoin de justification ou de preuve ».
Après l'apparition de la Sainte Vierge au Caire, des contacts ont eu lieu entre le pape de l'Eglise orthodoxe en Egypte et le pape de l'Eglise catholique au Vatican. Ceux-ci ont été suivis de négociations continues à l'issue desquelles le pape catholique a accepté de restituer à l'Egypte les reliques de saint Marc, fondateur de l'Eglise égyptienne qui a donné son nom à l'Eglise copte. Celles-ci avaient été prises par des marins italiens qui les avaient emportées à Venise. Le Livre Saint cite : « Ce jour-là, il y aura un autel du Seigneur au cœur du pays d'Egypte et une stèle du Seigneur près de la frontière. Ce sera un signe et un témoin pour le Seigneur, le tout-puissant, dans le pays d'Egypte » (Isaïe 19:19). Deir Al-Moharraq à Assiout est le lieu où la Sainte Famille a passé la majeure partie de son temps, soit 6 mois et 10 jours. A cause de cela, ce lieu a été bénit et surnommé le Second Bethléem. On a découvert que Deir Al-Moharraq est au centre des terres égyptiennes, quelle que soit la direction. Quant à la stèle située aux frontières de l'Egypte, ce n'est autre que le siège de Saint-Marc, fondateur de l'Eglise égyptienne, qui est resté à Alexandrie, frontière nord de l'Egypte au moment où l'Eglise de saint Marc était l'unique église au monde. Elle a ainsi souffert toute seule de la persécution des Romains jusqu'en 641, date de l'arrivée des Arabes en Egypte.
Le pape Chénouda III, dans un livre récemment publié, nous apprend que le pape Benyamin est retourné au Siège de Saint- Marc à Alexandrie, alors qu'il était exilé et les Arabes lui ont restitué toutes les églises que les Romains avaient violées.
Le 24 juin 1968 au soir, les reliques de saint Marc, fondateur de l'Eglise égyptienne, ont été restituées à l'Egypte, alors que des milliers d'Egyptiens, coptes et musulmans, qui avaient connu la bénédiction de l'apparition de la Sainte Vierge à Zeitoun, quelques semaines plus tôt, s'étaient rassemblés dans les rues pour cet événement. Ils scandaient :
Saint Marc, saint Marc,
toi le prophète.
Regarde la Vierge Marie,
Mère de toutes les lumières !
Le pape Kyrillos VI, en personne, les yeux pleins de larmes dans une scène inoubliable, a pris les reliques de saint Marc de l'intérieur de l'avion. Elles ont été déposées à la grande cathédrale du patriarcat copte-orthodoxe à Abbassiya sous son autel. Cette cathédrale n'est autre que celle dont le président Nasser et le pape Kyrillos VI avaient posé la première pierre et que le pape Jean-Paul II a visité, en signe de respect pour l'Eglise copte et de reconnaissance pour la prédication de saint Marc. Le pape Chénouda III, pape de la plus ancienne Eglise du monde, y a accueilli le pape du Vatican. Il lui a offert une croix copte dorée, et le pape du Vatican lui a offert à son tour une icône en triptyque de bronze représentant la voyage de la Sainte Famille en Egypte.
Pouvons-nous trouver dans ce qui vient d'être dit une réponse à certaines questions que la visite du pape du Vatican en Egypte a soulevée ?!

photo Salah Ibrahim

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