Sous le signe
du dialogue religieux

La visite en Egypte, ce jeudi, du pape Jean-Paul II est un événement en soi. S'agissant de la première d'un souverain pontife, elle mobilise toutes les autorités politiques et religieuses du pays. Jean-Paul II sera reçu par le président de la République, Hosni Moubarak, par la plus haute autorité sunnite, le cheikh d'Al-Azhar, et par le pape des coptes-orthodoxes Chénouda III, 117e successeur de saint Marc, fondateur de l'Eglise d'Alexandrie au Ier siècle. Cela étant, l'Eglise copte-catholique (la majorité des 250 000 catholiques d'Egypte), que préside le patriarche Stéphanos II, s'attache plus à l'aspect pastoral de la visite et à la grande messe qui aura lieu dans la salle omnisports du Stade du Caire, à Madinet Nasr. Il s'agira de la plus grande messe catholique jamais organisée en Egypte, avec un caractère festif exceptionnel. Tous les chefs des Eglises catholiques d'Orient sont attendus à cette occasion. Ils se rendront à l'aéroport du Caire pour accueillir le pape. Des élèves des écoles religieuses chrétiennes d'Egypte seront également présents. Le pape Jean-Paul II sera accueilli dès jeudi soir par le pape Chénouda III. L'entretien qu'il aura par la suite au rectorat d'Al-Azhar avec le cheikh Mohamad Sayed Tantawi revêt une importance particulière, s'agissant du premier entre les deux hommes et s'agissant aussi de la première visite d'un pape catholique à la citadelle de l'islam sunnite. Dans un communiqué à la presse, le cheikh d'Al-Azhar a souhaité que la rencontre avec le pape soit l'occasion d'un « échange bénéfique ». Il a ajouté que « le dialogue entre les religions était fait pour permettre à chacun de nous d'écouter l'autre et d'échanger les opinions utiles qui invitent à l'amour, à la sincérité et à la justice ». Le cheikh d'Al-Azhar a précisé que ce genre d'échange était une « réalité qu'adopte la charia islamique dans l'intérêt de l'humanité ». Le cheikh a tenu à souligner cependant les limites du dialogue : « Celui-ci ne portera pas sur les doctrines. Dialoguer sur les doctrines ne fera que creuser le fossé entre les parties », a-t-il affirmé. Un tête-à-tête entre les deux hommes sera suivi d'une réunion élargie aux membres des deux délégations.
En ce qui concerne l'entretien entre les papes Jean-Paul II et Chénouda III, il devra permettre de faire progresser le dialogue entre les deux Eglises, notamment en ce qui concerne le mariage entre les membres des deux communautés. L'Eglise copte-orthodoxe d'Egypte refuse jusqu'à présent le mariage de ses fidèles avec des membres d'autres communautés chrétiennes (catholique ou protestante).
La dernière partie de la visite du chef de l'Eglise romaine au mont Sainte-Catherine, où il doit adresser un message pastoral, est plus ou moins controversée. Les moines du monastère grec-orthodoxe, fondé en 572 au pied du Mont Sinaï, soupçonnent Jean-Paul II de vouloir faire du catholicisme la religion dominante de la chrétienté. Quoi qu'il en soit, ce que les moines rejettent, comme l'affirme un reportage de l'AFP, c'est notamment le fait qu'il veuille « montrer au monde qu'il est ici le chef de tous les chrétiens ».
Une visite de Jean-Paul II ne peut de toute façon passer pour un simple séjour amical répondant à un vœu du pape depuis longtemps, et dont les préparatifs ont commencé il y a deux ans.

A. L.

Visite du pape . L'envergure de Jean-Paul II dépasse de loin le domaine religieux. D'où l'importance de sa venue en Egypte alors qu'il vient de faire un geste en faveur de la cause palestinienne.
Un pèlerin très politique

La visite en Egypte du pape Jean-Paul II, la première d'un souverain pontife, intervient alors que le Vatican vient tout juste de faire un geste significatif en faveur des Palestiniens. Elle suit en effet la signature d'un accord qualifié d'historique qui a provoqué une réaction immédiate en Israël avec la convocation du nonce apostolique au ministère israélien des Affaires étrangères.
L'accord porte sur Jérusalem. Au terme d'une rencontre d'une quinzaine de minutes entre Yasser Arafat et le pape Jean-Paul II, les activités de l'Eglise catholique dans les territoires autonomes ont été officialisées, à l'instar d'un accord similaire conclu entre Israël et le Vatican en novembre 1997. En plus, le souverain pontife réclame « une solution équitable pour Jérusalem et un statut spécial garanti internationalement pour la ville, dont la propre identité et le caractère sacré doivent être sauvegardés. Les décisions et actions unilatérales modifiant le caractère spécifique et le statut de Jérusalem sont moralement et juridiquement inacceptables ».
Evidemment, ce document suscite l'ire d'Israël, pays qui use à outrance du fait accompli pour imposer ses volontés. Et l'accord arrive à un moment délicat. Israéliens et Palestiniens se penchant sur les dossiers du règlement final. Le plus épineux d'entre eux étant sans doute celui de Jérusalem étant donné son caractère de Ville sainte pour les trois religions révélées. En signant un accord avec Arafat, le pape reconnaît implicitement une souveraineté palestinienne sur la ville, ce qu'Israël rejette de toutes ses forces.


Le Saint-Siège fidèle à lui-même

Une telle prise de position a été considérée par Israël comme une ingérence dans les négociations actuelles.
Un communiqué du ministère israélien des Affaires étrangères « réprouve » les déclarations du Saint-Siège et rappelle qu'« Israël considère l'ensemble de la Ville sainte, y compris le secteur oriental annexé depuis 1967, comme sa capitale et qu'aucune déclaration ou accord ne peut changer ce fait ». En revanche, les Palestiniens considèrent que la partie orientale de la ville est la capitale de l'Etat qu'ils envisagent d'édifier.
Si le Saint-Siège a toujours maintenu une attitude conforme aux résolutions internationales en ce qui concerne Jérusalem (la résolution 242 du Conseil de sécurité englobe Jérusalem-Est dans les territoires qu'Israël doit évacuer), et s'il a toujours mis l'accent sur le caractère spécifique de la ville, la récente intervention revêt une importance particulière. Elle rétablit un équilibre entre les Palestiniens et Israël. L'accord conclu entre Israël et le Saint-Siège en novembre 1997 avait suscité un tollé général dans le monde arabe : « C'était une sorte de feu vert accordé à Israël pour imposer sa domination sur Jérusalem. Il dénotait aussi d'une attitude contraire aux résolutions internationales sur la Ville sainte », souligne Nabil Abdel-Fattah, politologue et chercheur au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram. L'accord de 1997 avalisait de facto l'autorité d'Israël à Jérusalem-Est : Il reconnaissait les biens de l'Eglise catholique romaine dans les zones où la législation israélienne est appliquée, une formulation incluant Jérusalem-Est où est située l'Eglise du Saint Sépulcre, le principal lieu saint de la chrétienté.
Les Arabes et les Palestiniens, en particulier, peuvent se réjouir de cet appui du pape. Celui-ci, très énergique, est connu pour son engagement politique depuis ses activités en Pologne, alors qu'il était l'archevêque de Cracovie. Jean-Paul II est crédité aussi d'avoir contribué à l'effondrement du communisme en Pologne et dans d'autres pays de l'est. D'où l'importance de sa visite en Egypte au-delà de son statut religieux. L'accord avec les Palestiniens est venu en quelque sorte rompre les réserves exprimées à l'égard du pape, considéré un peu comme un « allié de l'Occident » par de nombreux observateurs.


Accord ambigu ?

Un autre acquis de cet accord est celui de la confirmation par le Saint-Siège des droits de toutes les religions à Jérusalem. Rétorquant aux critiques israéliennes, le nonce apostolique Pietro Sambi a souligné : « Il n'y a aucune référence à la situation politique de Jérusalem dans l'accord. Il y a uniquement référence à l'aspect religieux de Jérusalem, une ville sacrée pour les trois religions monothéistes : judaïsme, christianisme et islam ».
Pour la première fois, le Vatican accorde un rôle fondamental aux Palestiniens et « évite que les Israéliens n'aient le monopole de Jérusalem », estime pour sa part, Samir Morcos, secrétaire général du Centre des Eglises du Moyen-Orient. « Il était auparavant exclu pour le Saint-Siège que les Palestiniens aient un statut important en ce qui concerne Jérusalem. Il avait une vision de la ville qui finalement allait dans le sens des intérêts israéliens ». Cet accord est nouveau et positif, affirme-t-il. « Le problème reste cependant que la déclaration ne s'attache pas aux détails. C'est-à-dire à la configuration de la ville et à la détermination du rôle de chaque partie. De telles précisions restent les plus importantes ». L'action du Saint-Siège ne va pas aussi sans la préservation des droits des chrétiens de la ville. La politique de judaïsation et l'intégrisme musulman qu'elle a nourris ont fait fuir la quasi-totalité de la population chrétienne qui habitait la ville.
Cette prise de position va-t-elle cependant contribuer au règlement de ce dossier si épineux ou s'ajoutera-t-elle aux multiples textes et initiatives de la communauté internationale restés lettre morte ? Par ailleurs, l'accord ne contient-il pas certaines ambiguïtés ? En Israël, des chercheurs estiment qu'il pourrait constituer une percée en ce qui concerne ce dossier si compliqué et apparemment insoluble de Jérusalem. Deux articles parus dans le quotidien Haaretz affirment que le document est tout aussi contraignant pour les Palestiniens que pour Israël. « Il engage, pour la première fois, le dirigeant palestinien à respecter un statut spécial pour la partie-Est de la ville. De quoi représenter une ouverture pour résoudre l'une des questions les plus épineuses des négociations israélo-palestiniennes. C'est la première fois également que les Palestiniens s'engagent à reconnaître les droits des minorités ».
L'analyse est tendancieuse dans la mesure où les Palestiniens ont toujours mis en relief la nécessité d'accorder un statut spécial à Jérusalem même s'ils veulent en faire leur capitale. Et l'accord souligne bien le fait qu'Israël ne saurait établir sa souveraineté sur tout Jérusalem sans encourir d'autres blâmes. La communauté internationale n'a pas reconnu Jérusalem comme la capitale d'Israël. La plupart des pays maintiennent leurs ambassades à Tel-Aviv. Les Palestiniens qui considèrent Jérsalem-Est comme leur future capitale font valoir que les Israéliens ont violé les accords de paix en construisant des logements et des colonies à Jérusalem-Est et dans ses alentours.
L'accord avec le Vatican montre qu'il y a une sorte de partage à instaurer entre les deux parties, arabe et israélienne à Jérusalem. De tout ceci, les Palestiniens retiennent l'analyse suivante : « Le Vatican considère, qu'à Jérusalem il existe deux aspirations nationales qui doivent être satisfaites et les droits des trois religions qui doivent être respectés », comme l'estime Afif Safieh, envoyé de l'OLP au Vatican.
Une vision qui confirme que le Vatican ne reconnaîtra aucune mesure unilatérale concernant Jérusalem-Est. Certes, pour les observateurs, il est difficile de savoir jusqu'où peut aller un tel soutien aux Palestiniens. Mais obtenir le soutien moral du Saint-Siège est un succès indéniable d'Arafat. Les horizons de ce soutien s'éclairciront peut-être lors de la tournée du pape en mars dans les territoires autonomes, en Jordanie et en Israël.

Ahmed Loutfi et Inès Eissa
Photo AFP

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