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Ecoliers : Le parcours de tous les dangers

Hanaa Al-Mékkawi, Dimanche, 23 novembre 2014

Des millions d'élèves risquent leur vie dans les transports en commun les menant à l'école. Tandis que les parents vivent dans l'angoisse, les responsables publics ne réagissent froidement qu'une fois l'irréparable commis.

Ecoliers : Le parcours de tous les dangers
Les élèves n'ont pas d'autre choix que de risquer leur vie deux fois par jour, afin de pouvoir se rendre à l'école. (Photo:Mohamad Adel)

Il est 6h, Youssef et sa soeur Radwa quit­tent leur domicile pour entamer leur cal­vaire quotidien dans les transports. Ils fréquentent des écoles publiques qui n’offrent pas d’autobus aux élèves comme ceux des écoles privées. C’est à eux de trouver un moyen de se rendre en classe. Ils habitent à Choubra Al-Kheima, au nord du Caire, et sont inscrits dans un établissement au fin fond de ce vaste quartier. Les moyens de transport public ne manquent pas. Ils ont l’embarras du choix entre le bus, le métro ou le microbus. « Si je veux faire le trajet assis, je dois me lever un peu plus tôt et marcher jusqu’à la station prin­cipale. Et si je veux vivre une petite aventure avec mes amis, je prends le microbus, car c’est amusant. On s’amuse avec les adultes pour monter, se frayer une petite place et les bagarres quotidiennes nous divertissent », lance Youssef, 12 ans.

Plus on s’éloigne de la ville, plus ce luxe disparaît, les choix étant très limités. En allant vers le sud, une région privée d’infrastruc­tures, la situation semble plus dangereuse. A Atfih, village situé à 70 km du Caire, les écoles primaires, préparatoires et secondaires sont nombreuses, mais aucun panneau ne l’in­dique. Fatma et ses camarades, leurs cartables au dos, se tiennent par la main et attendent le bon moment pour traverser la route. Elles doivent courir comme des lièvres pour éviter les voitures.

Toutes les écoles des villages sont situées sur la route agricole qui traverse diverses localités. Aucun ralentisseur n’est en vue, ni de trottoir pour séparer l’école de la route. Ces élèves utilisent les moyens de transport ordinaires empruntés par les villageois. Les enfants tentent de trouver une place dans le véhicule, sinon, ils s’accrochent à l’arrière, au pare-choc, pour arriver à l’heure, oubliant le danger. Chaque jour, ces élèves courent le même risque, car en général, il n’y a pas d’école dans chaque bourg. Ils font le chemin à pied si l’école est à proximité, sinon ils sont obligés de prendre un moyen de transport et parcourir 10 km. Les moyens de transport varient entre le vélo, la moto d’un parent qui peut transporter à l’arrière trois enfants à la fois, ou une petite camionnette que les élèves se partagent avec les villageois qui transportent du fromage, du beurre et parfois du bétail au marché. Ils peuvent aussi monter dans un tok-tok que plusieurs adultes louent à 30 L.E. par mois pour emmener leur progéniture à l’école.

Sur la route agricole menant au gouvernorat du Fayoum, une file de véhicules se gare deux fois par jour à l’entrée et à la sortie des éco­liers. Ces derniers doivent traverser des champs pour rejoindre leur école. « Il y avait une pan­carte et un dos d’âne à 500 m de l’école qui obligeaient les voitures à ralentir, mais on les a supprimés », dit Sayed Ahmad, enseignant, qui répète ce que disent beaucoup de gens. Avec l’aide d’autres collègues, ils bloquent la route un moment pour permettre à leurs élèves de la traverser et de rejoindre la classe sans danger. Certains écoliers n’ont d’autre choix que de prendre des moyens de transport qui sont dans un piteux état. D’après les chiffres de l’Organisme central des statistiques, l’Egypte compte une moyenne de 30 décès par jour sur les routes. Et selon l’Organisation égyptienne du soutien des victimes d’accidents de la route, 20 % des victimes sont des enfants de moins de 15 ans.

Prières matinales

Ecoliers : Le parcours de tous les dangers

Ossama Nabil, expert en ponts et chaussées à la faculté d’ingénierie, déclare : « Le risque que courent les élèves est dû aux moyens de transport souvent vétustes. Ajoutez à cela l’état des routes, le manque de maintenance des véhicules et l’attitude des conducteurs qui ne respectent pas le code de la route », explique-t-il. Nabil rappelle que l’accident récent dans le gouvernorat de Béheira qui a causé la mort de 18 élèves révèle les risques que courent ces enfants habitant les provinces. Mohamad, âgé de 7 ans, déteste prendre le tok-tok, ce tricycle à moteur qui l’emmène chaque jour à l’école. Il est traumatisé par un accident qui lui a causé un handicap au bras. Mais il est obligé de le faire. C’est le cas de tous les élèves dont les parents ne cessent de répéter des prières matinales pour leur protection. Mais la peur et l’angoisse qui se lient dans les yeux des parents n’empêchent pas les enfants d’attendre impatiemment ce trajet quotidien car ils détes­tent rester à la maison. « C’est notre seule sortie », dit Rahma, 13 ans, avec un grand sourire. Ces élèves considèrent ce trajet comme leur seul divertissement. « Je rencontre mes amis, on papote, on mange et on joue. Mon père est toujours inquiet lorsqu’il me met dans cette voiture remplie de gens. Mais pour nous, c’est une aventure qui brise cette vie mono­tone », poursuit Rahma.

Cercueils flottants

Si les voitures ne sont pas en bon état, les tok-tok ou les motos sont considérés comme des moyens de transport plus dangereux qui circulent sur des routes très risquées, dans les villages de Sohag, en Haute-Egypte. Les trac­teurs, les bateaux et les chariots sont les seules alternatives de transport offertes aux élèves. Ils s’entassent par dizaines en se serrant les uns contre les autres. On les appelle les cercueils volants ou flottants selon le genre. « On ne peut pas les empêcher, car les villages ne sont pas reliés par des ponts », dit Nasser Gaber, un professeur au village. Cette ville de la Haute-Egypte vient de vivre un autre drame il y a quelques mois. Une voiture transportant des élèves est tombée dans la rivière. Résultat : la mort de 18 personnes.

« Il faut résoudre les problèmes de la distri­bution géographique des écoles pour éviter de prendre ces moyens de transport sur de longs trajets ou bien il faudrait que l’Etat contrôle ces véhicules qui transportent nos enfants », dit Gamil Fahmy, professeur au village Paris, dans le gouvernorat d’Al-Wadi Al-Guédid. Les élèves risquent chaque jour leur vie car ils arrivent de loin sur des routes caillouteuses, ce qui a causé de nombreux accidents.

Malgré les plaintes des habitants, rien n’est fait par les responsables. Même les solutions préventives les plus simples comme les dos d’âne et les panneaux de signalisation n’exis­tent pas. Les accidents de la circulation dont les élèves sont les victimes font les unes des journaux. Des enfants perdent la vie, d’autres subissent des blessures parce qu’ils veulent tout simplement aller à l’école. Dans les cas d’accidents graves, les responsables présentent leurs condoléances seulement et offrent des dédommagements.

Par contre, ces accidents ont au moins fait réagir les experts de l’assurance sociale. Selon les déclarations de Abdel-Raouf Qotb, respon­sable de l’Union égyptienne de l’assurance, cette instance a exigé l’instauration d’une assu­rance pour les élèves contre les accidents de la route. « Malheureusement, le gouvernement a refusé notre proposition », annonce Wafaa Mahmoud, responsable du comité général de l’assurance des accidents à l’union. Mais, les responsables au ministère de l’Education affir­ment que ce sont les parents qui ont refusé de payer des charges supplémentaires. Quant au ministère, il affirme son incapacité à supporter ces frais.

En l’absence de toute protection, les citoyens baissent les bras. « J’envoie quotidiennement mes enfants à l’école sans savoir s’ils rentre­ront le soir à la maison. Je ne suis soulagée que lorsque j’entends la sonnette et les vois en face de moi. Je déteste l’heure de la sortie de l’école car ils doivent passer une demi-heure sur une route à grand risque », conclut Camélia Chaabane, qui confie assister comme « à une nouvelle naissance de ses enfants » à chaque fois qu’ils rentrent de l’école .

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