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Le faux pas de Washington

Maha Al-Cherbini avec agences, Jeudi, 11 janvier 2018

Le président américain Donald Trump a suspendu l'assistance sécuritaire au Pakistan, qu'il accuse de laxisme dans la lutte antiterroriste. Une décision risquée, alors qu'une éventuelle migration des djihadistes de Daech vers l'Asie centrale est redoutée.

Le faux pas
Des manifestations contre la décision de Trump ont éclaté dans les rues pakistanaises cette semaine. (Photo : AP)

La nouvelle année commence mal en ce qui concerne les relations américano-pakistanaises, déjà tendues depuis des années après la décision américaine de geler l’assistance sécuritaire au Pakistan. Au lieu d’améliorer ses relations avec ce pays alors que se profile le danger d’une éventuelle migration des djihadistes de Daech vers l’Asie centrale, le président américain, Donald Trump, s’en est pris au Pakistan, son allié dans la lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001. Une alliance en dépit de laquelle les Etats- Unis ne cessent d’accuser Islamabad — qui a empoché plus de 33 milliards de dollars d’aide sur la période 2002-2017 — de soutenir les talibans actifs en Afghanistan. Donald Trump a ainsi accusé les responsables pakistanais de collaborer avec des groupes djihadistes qui lancent des attaques en Afghanistan à partir de leurs bases le long de la frontière entre les deux pays. « Les Etats-Unis ont bêtement donné 33 milliards de dollars d’aide au Pakistan ces 15 dernières années et ils ne nous ont rien donné en retour, si ce n’est que des mensonges et de la duplicité, prenant nos dirigeants pour des idiots », a lancé le président américain. Passant à l’acte, M. Trump a annoncé vendredi 5 janvier la suspension de centaines de millions de dollars d’assistance sécuritaire au Pakistan, prévus dans le cadre du « fonds de soutien de la coalition » destiné à rembourser au Pakistan ses dépenses liées aux opérations antiterroristes. Washington a même menacé de suspendre jusqu’à 2 milliards de dollars d’aide au Pakistan. « Il y a environ 2 milliards de dollars d’équipement et de financement de soutien à la coalition qui sont en jeu jusqu’à ce que le gouvernement pakistanais prenne une action décisive contre les talibans », a affirmé la porte-parole de la diplomatie américaine, Heather Nauert, rajoutant que les fonds gelés pourraient être débloqués si le Pakistan prenait des mesures contre les groupes djihadistes.

En septembre dernier, l’Administration américaine avait déjà suspendu le versement de 255 millions de dollars d’aide militaire au Pakistan, Trump accusant Islamabad de jouer un double jeu en Afghanistan et d’abriter sur son sol des « agents du chaos ». Or, la décision de Trump, qui intervient à un moment critique de la guerre antiterroriste, risque d’avoir des conséquences incalculables sur cette lutte, préviennent les experts, qui s’attendent à une escalade de la menace de Daech et des talibans en Afghanistan et au Pakistan en 2018. Une éventuelle rupture entre Washington et Islamabad ne ferait que servir à la montée du terrorisme au Pakistan et en Afghanistan. « Les Etats-Unis semblent peu désireux de couper complètement les ponts avec le Pakistan. Ils veulent simplement faire pression sur le Pakistan pour qu’il modifie sa politique plutôt que de l’abandonner complètement », souligne l’analyste pakistanais Hasan Askari, cité par l’AFP. En effet, Washington a largement besoin de l’accès à l’espace aérien pakistanais et à ses routes d’approvisionnement vers l’Afghanistan.

Il a, de plus, besoin qu’Islamabad use de son influence sur les talibans dans la perspective de potentiels pourparlers de paix. Enfin, il ne faut pas oublier que le Pakistan est le seul pays musulman à détenir la puissance nucléaire, et les Etats-Unis veulent s’assurer qu’elle ne sera pas utilisée contre l’Inde rivale et ne tombera pas aux mains d’extrémistes, même si ces deux éventualités restent minimes. Dimanche 7 janvier, le Pentagone a affirmé réfléchir aux options possibles pour ravitailler ses forces en Afghanistan en cas de représailles du Pakistan. Pour l’heure, la fermeture de l’espace aérien pakistanais aux avions-cargos américains serait un énorme problème, car elle empêcherait le ravitaillement des forces américaines en Afghanistan en biens, équipements et nourriture.

Colère pakistanaise

En réponse, des responsables pakistanais ont appelé à des mesures de rétorsion contre Washington sans avancer de précision. Furieux, le gouvernement pakistanais a convoqué une réunion d’urgence de son Conseil national de sécurité à laquelle ont participé les ministres et les principaux généraux. A l’issue de cette réunion, un communiqué du gouvernement a mis en avant les « sacrifices énormes » consentis dans la lutte contre le terrorisme, affirmant que le conflit a causé dans leur pays plus de 62 000 morts et coûté 123 milliards de dollars sur la période 2003-2017. Pour sa part, le ministre pakistanais de la Défense, Khurram Dastgir- Khan, a rétorqué avoir aidé les Etats-Unis à « décimer Al-Qaëda », pour n’obtenir en retour que « des invectives et de la méfiance », rappelant que son pays avait lancé en 2014 une campagne d’opérations militaires dans les zones tribales, à la frontière afghane, pour éradiquer toutes les bases des groupes islamistes. Dans un geste de défiance rare à l’égard des Etats-Unis, Islamabad a convoqué l’ambassadeur américain au Pakistan pour lui exprimer son profond mécontentement. Même colère partagée par le chef de l’opposition au parlement, Imran Khan, qui a menacé : « Nous devons refuser que les Etats-Unis utilisent les installations que nous leur fournissons gratuitement ». Sur le front populaire aussi, des manifestations anti- Trump ont éclaté à Karachi et Lahore — les deux plus grosses villes pakistanaises — et ont brûlé le drapeau américain. Reste à savoir quelles seront les conséquences du gel de l’assistance sécuritaire américaine. Selon les analystes, cela pourrait se traduire par une grave perte de l’influence américaine au Pakistan qui pourrait se tourner vers d’autres alliés. Déjà, un allié de poids a affiché cette semaine son soutien farouche à Islamabad, à savoir la Chine. Très active dans un méga projet d’infrastructure massif au Pakistan, d’un coût total de 60 milliards de dollars, la Chine a préféré, vendredi 5 janvier, louer « la remarquable contribution » de son nouvel allié à « la cause globale du contre-terrorisme », via un porte-parole de son ministère des Affaires étrangères. Fin décembre, Pékin, de plus en plus diplomatiquement actif dans la région, avait accueilli un premier sommet tripartite contre la menace terroriste avec le Pakistan et l’Afghanistan. Cette réunion est intervenue alors que la Chine tente depuis longtemps d’obtenir un appui de la communauté internationale pour s’attaquer aux menaces que fait peser, selon elle, l’infiltration des groupes terroristes radicaux dans le Xinjiang (région de l’ouest qui a des tendances séparatistes). On risque donc de nous diriger vers une nouvelle alliance entre Islamabad et Pékin qui va profiter de la crispation des relations américano-pakistanaises pour remplacer Washington et faire front uni avec le Pakistan face à la menace croissante de Daech en Asie centrale.

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