Un rapport de CI Capital soutient que la baisse des taux d’intérêt entraînera une fuite des investissements dans les bons du Trésor. Un argument rejeté tant par le gouvernement que par les économistes. Analyse.
Les récentes décisions de la Banque Centrale d’Egypte (BCE) de baisser les taux d’intérêt entraîneront une fuite des investissements étrangers dans les bons du Trésor. Pour éviter un tel scénario, la BCE doit prendre des mesures de précaution pour éviter un choc probable dans le contexte d’une économie globale perturbée. C’est ce qu’affirme un récent rapport de l’analyste économiste, Noaman Khaled, à CI Capital Asset Management.
La BCE avait baissé les taux d’intérêt bancaires à deux reprises depuis le flottement de la livre, et ce, après une série de hausses successives en 2016. La première baisse est intervenue le 15 février dernier. Les taux d’intérêt avaient alors baissé de 1 % sur les dépôts et les crédits bancaires pour se chiffrer à 17,75% et 18,75% respectivement contre 18,75% et 19,75 % auparavant. La deuxième baisse est intervenue le 29 mars. Les taux ont baissé à nouveau de 1 % pour se situer à 16,75 pour les dépôts et 17,75% pour les crédits.
« L’Egypte risque de perdre sa place de choix, qu’elle a préservée tout au long des 15 derniers mois en tant que destination privilégiée pour les investissements dans les bons du Trésor publics dont les taux d’intérêt, excessivement élevés, avaient frôlé les 22 % », note le rapport.
Selon Noaman Khaled, les taux annuels des bons du Trésor à court terme ont connu des baisses importantes depuis janvier 2018 et cela peut avoir des retombées négatives. Ces investissements à revenus fixes sont nécessaires pour couvrir le déficit de la balance de paiement durant les années fiscales 2017-2018 et 2018-2019 et maintenir les liquidités nécessaires pour les opérations de la BCE.
Il est à noter qu’en décembre 2017, les investissements étrangers dans les outils de la dette à court terme avaient atteint 20 milliards de dollars contre 60 millions seulement avant le flottement de la livre, au milieu de 2016.
Les fonds étrangers avaient permis à l’Egypte de financier le déficit dans la balance des paiements et avaient été une source certaine d’approvisionnement en devises étrangères, vu l’incertitude qui régnait sur le flux des investissements étrangers directs.
Deux approches différentes
De nombreux experts s’opposent au rapport de CI Capital. « La baisse des taux d’intérêt est intervenue au bon moment après la stabilisation des taux de change et après la chute de l’inflation à un digit après avoir atteint des niveaux sans précédent en juillet dernier, soit 36% du PIB», estime Amr Adly, professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire. Et d’ajouter que le gouvernement était appelé à diminuer les taux d’intérêt pour relancer l’économie loin des secteurs qui investissaient dans la dette publique.
Selon toute vraisemblance, Noaman Khaled adopte une approche très conservatrice lorsqu’il analyse le dossier des outils de la dette à court terme. Il compare l’Egypte aux pays émergents qui ont connu une dépréciation de leur monnaie, et qui se trouvent obligés d’accroître le portefeuille de leurs investissements étrangers dans les bons du Trésor, comme la Turquie, l’Argentine, l’Ukraine et le Nigeria.
Le déficit actuel de la balance des paiements doit se chiffrer autour de 11,5 à 12 milliards de L.E. Ce qui veut dire que l’Etat a besoin de 15 à 18 milliards de dollars pour maintenir l’équilibre de la balance commerciale afin de protéger les réserves en dollars. « Ceci ne peut être réalisé que si l’Egypte maintient sa place de pays attractif pour les investissements dans la dette à court terme. Ce qui veut dire que les taxes nettes sur la dette publique ne doivent pas baisser au-delà de 1% et non de 3% comme c’est le cas actuellement », explique Noaman Khaled.
Iman Negm, analyste économiste à la maison de courtage Prime Securities, rejette radicalement cet avis et avance que le recul des investissements étrangers de la dette publique n’est nullement à craindre, surtout avec l’amélioration des indicateurs macroéconomiques. « Le flottement de la livre n’avait pas pour objectif initial d’attirer des bons du Trésor. Cependant, maintenant que nous avons des sources durables de réserves étrangères qui contribuent à la croissance comme le tourisme, les exportations, les Investissements Etrangers Directs (IED) et les fonds des Egyptiens à l’étranger, l’importance des bons du Trésor recule, bien qu’elle soit primordiale à une époque », affirme Negm. Et d’ajouter: « Le ratio de la couverture de la dette publique est en train de diminuer parce que les institutions et les banques orientent leurs fonds vers l’investissement ».
Une meilleure notation
Noaman Khaled écrit dans son rapport que le régulateur doit s’assurer que les bons du Trésor ne reculent pas au même rythme que les taux d’intérêt. Et il doit adopter des politiques d’ajustement en diminuant de 20% les taxes imputées aux investisseurs des bons du Trésor. Parallèlement, dit-il, la BCE doit continuer ses efforts pour absorber les liquidités et réduire la demande sur la dette locale. Ce qui ne va pas à l’encontre de la tendance actuelle de l’Etat.
En effet, le ministre des Finances, Amr Al-Garhy, a indiqué dans un document relatif au budget que les politiques monétaires étaient orientées vers une diminution de la dette publique et une réduction de l’endettement gouvernemental. D’ailleurs, pour la première fois, le gouvernement prévoit un excédent primaire de la balance budgétaire de 1,7 à 2% en 2018-2019, ce qui entraîne, en général, une décélération du ratio d’endettement en pourcentage du PIB qui pesait lourd. Negm explique que le tiers des dépenses publiques est orienté vers les services de la dette, à cause de la hausse des taux d’intérêt. « 1% d’intérêts diminués économise chaque mois dans les dépenses gouvernementales 3 milliards de L.E. », explique-t-elle.
Sur ce même ton, Bloomberg avait rapporté que les officiels égyptiens estiment que le recul des bons du Trésor ne veut pas dire nécessairement un exode des étrangers, car les investisseurs sont plus enclins à accepter une baisse des revenus en échange d’une meilleure notation, soit B3 dans le cas de l’Egypte, selon Moody’s Investors Services.
Le rapport conclut que l’économie égyptienne est très bien placée pour faire face aux chocs de l’économie globale, car il est possible que les taxes imposées par certains pays mènent à une guerre commerciale, et une guerre des devises entre les pôles de l’économie globale. Dans pareil cas, les gérants des fonds mondiaux préfèrent les canaux sécurisés d’investissement.
Durant la crise financière mondiale de 2008-2009, 132 milliards de dollars ont été pris aux marchés émergents de la dette publique. Selon Khaled, les efforts de la BCE qui détient des comptes bloqués à hauteur de 8 à 10 milliards de dollars sont louables et pourraient prévenir de tels chocs, mais ils doivent aller en parallèle avec un niveau plus élevé des réserves en devises étrangères. Avec un taux de croissance projeté à 5,8 %, ainsi qu’une baisse du déficit budgétaire, une forte livre égyptienne mettra également le pays à l’abri de tels chocs globaux. D’autant que les économistes de Bloomberg estiment que la monnaie locale gagnera en force fin 2018.
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