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Pourquoi détruire le Sphinx chinois ?

Dalia Farouq, Mardi, 03 juin 2014

Bien que les répliques des célèbres monuments égyptiens sont généralement d'excellents ambassadeurs du tourisme, le ministre égyptien des Antiquités a demandé qu'un Sphinx chinois en béton soit démoli. Sa démarche ne fait pas l'unanimité.

Pourquoi détruire le Sphinx chinois

La réplique presque grandeur nature du Sphinx, érigée il y a quelques semaines dans la province du Hebei en Chine à 300 kilomètres au nord-est de Pékin, sera finalement détruite, a annoncé l’Agence de presse officielle, Chine Nouvelle.

Le ministère égyptien des Antiquités avait porté plainte auprès de l’Unesco au sujet de cette réplique qui, selon le ministre des Antiquités, Mohamad Ibrahim, porte atteinte, par sa laideur, au vrai monument. Le ministre a demandé à l’Unesco d’appliquer l’accord de 1972 concernant la protection du patrimoine culturel et naturel des pays.

La sixième clause de cet accord prévoit que les pays membres ne doivent pas nuire, directement ou indirectement, au patrimoine culturel ou naturel de tout autre pays membre. « Cette réplique du sphinx est autant laide que méprisante pour le grand Sphinx d’Egypte sculpté dans la pierre. Je trouve cette réplique absurde et laide », a lancé Mohamad Ibrahim.

Une société chinoise avait fabriqué, le mois dernier, une réplique de taille presque réelle (10 cm de moins) du Sphinx de Guiza dans un terrain vague de la ville de Shijiazhuang. Cette copie, qui mesure donc 60 mètres de long et 20 mètres de haut, comprend par ailleurs trois entrées, une sur le devant et deux sur les côtés. Certains touristes chinois grimpent sur le Sphinx pour se faire prendre en photo.

Sphinx

Le Sphinx chinois est construit avec des poutrelles métalliques. Son revêtement extérieur est en béton. Un studio de cinéma aurait dû être installé à l’intérieur du Sphinx.

Depuis plusieurs mois, cette copie soulève une vague d’indignation en Egypte. « C’est une infraction à la propriété de l’Egypte. Par ailleurs, la Chine aurait dû demander la permission de l’Egypte », s’indigne Ayman Waziri, vice-président de l’Union des archéologues arabes. Waziri va jusqu’à demander une compensation au gouvernement chinois.

De simples copies

La chine n’est pourtant pas le premier pays à avoir reproduit des monuments égyptiens. On trouve un sphinx au Mexique et de fausses pyramides aux Etats-Unis.

Pour Waziri, « l’Egypte est l’unique détentrice des droits de reproduction de ces monuments. Les revenus générés par ces copies doivent revenir à l’Egypte », prétend l’archéologue.

« Dans quelques mois, on aura peut-être de fausses pyramides à côté du Sphinx! Cela nuit au tourisme égyptien », affirme Mohamad Hassan, un archéologue. Il dit soutenir la réaction de l’Egypte qui a déposé plainte auprès de l’Unesco, afin de dissuader les autres pays de faire de même. « C’est un vol de l’histoire et du patrimoine de l’Egypte. On a bien fait de porter plainte », ajoute-t-il.

De formidables ambassadeurs du tourisme

Mais la plupart des experts sont loin d’être d’accord avec cette vision simpliste. Mohsen Teama, un autre archéologue, explique que des pièces antiques égyptiennes se trouvent partout dans le monde, comme l’obélisque de la Concorde à Paris ou le Buste de Néfertiti au musée de Berlin et que ceci n’a guère empêché les touristes de venir visiter l’Egypte pour admirer ses trésors archéologiques.

les monuments du monde

« Ces monuments à l’étranger sont des ambassadeurs du patrimoine et du tourisme en Egypte. Ils éveillent l’imagination des touristes et leur donnent envie de visiter l’Egypte pour découvrir d’autres pièces uniques », poursuit-il.

Pour lui, le Sphinx chinois n’est qu’un outil marketing pour attirer le public chinois dans un parc d’attractions. « Cela prouve, une fois de plus, l’importance et la magie des monuments égyptiens. En outre, la Chine a reproduit beaucoup d’autres monuments, comme la Tour Eiffel, le Taj Mahal ou la Maison Blanche, et aucun pays n’est allé à l’Unesco pour se plaindre: tout le monde sait qu’il s’agit de copies », s’exclame-t-il.

Achraf Achmaoui, ex-conseiller juridique au Conseil suprême des antiquités, estime que l’Unesco n’est en rien concernée par cette copie. Il précise que le rôle de l’organisation internationale est d’éviter la production de faux. La copie chinoise n’a, en effet, aucune prétention de passer pour le vrai Sphinx. « L’Unesco n’a rien à faire avec cette affaire. En plus, au lieu de se plaindre d’une telle réplique, il vaut mieux en profiter pour faire la promotion du tourisme et du patrimoine égyptien ! ».

Selon l’Agence chinoise Chine Nouvelle, qui cite un responsable du parc où se trouve la réplique, celle-ci doit uniquement servir de décor provisoire au tournage de films et de séries télévisées. « Nous avons un profond respect pour l’héritage culturel mondial et nous présentons nos excuses au cas où il y aurait un malentendu », a déclaré ce responsable qui a souhaité garder l’anonymat.

Contrairement aux cris de certains quant à cette réplique, la réaction de la Chine est apparue plus que respectueuse.

Les monuments du monde version chinoise

De la Tour Eiffel à Venise en passant par les moulins de Hollande, les Chinois ont la passion des reproductions. La Chine a bâti des répliques de la plupart des plus célèbres monuments du monde. Recensement.

Depuis plusieurs années, la Chine est devenue la spécialiste de la reproduction des plus célèbres monuments du monde. Des quartiers entiers inspirés de modèles français, autrichiens, hollandais ou italiens aux copies de monuments connus comme la Tour Eiffel ou une fontaine du parc de Versailles: tout cela est visible dans la ville de Hangzhou à l’est du pays. A 25 km du centre de Pékin, les Chinois ont aussi construit une réplique exacte du château de Maisons-Laffitte (Yvelines).

Situé au sud de la Chine, Huizhou est un village conçu comme le double oriental du village de Hallstatt en Autriche. Inscrit au patrimoine de l’Unesco, Hallstatt et ses célèbres couleurs pastel ont inspiré les promoteurs locaux qui l’ont reproduit quasiment à l’identique.

Ceux qui ont plus d’affinités avec les Anglais peuvent se rendre à Suzhou, près de Shangai, où se trouve une copie du célèbre Tower Bridge londonien.

Construit au début des années 2000 dans la banlieue de Shenyang, une ville du nord-est, « Holland Village » est un quartier imaginé dans le pur style néerlandais. Tout aussi exotique, cette réplique des moulins à vent et des champs de tulipes, emblèmes des Pays-Bas, à Pékin.

La Chine possède également sa Florence, dans le district de Wuqing, à 150 km de Pékin. Il aura fallu 2 milliards d’euros pour construire cette réplique de la capitale toscane. A Shanghai, temple de l’excentricité architecturale, on trouve également une reconstitution de la Tour de Pise en Italie.

Depuis 2009, la province du Sichuan s’est dotée d’un bassin dont la salinité se rapproche de celle de la mer Morte au Moyen-Orient. Devenu l'un des parcs de loisirs les plus prisés de Chine, ce bassin artificiel reçoit, les jours de grosses chaleurs, jusqu’à 10000 baigneurs.

Et bien sûr: le Taj Mahal indien! Ouverten 1993, le Beijing World Park propose de voir, à côté du Taj Mahal, plus de 106 répliques de grands bâtiments des quatre coins de la planète. Comme si les voyages se résumaient à une collection de sites touristiques.

A Pékin, un immeuble du gouvernement a récemment été construit en s’inspirant fortement du Kremlin de Moscou.

Dans la ville de Chongqing au sud-ouest se trouvent des répliques du David de Michel Ange, du Penseur de Rodin ainsi que des têtes géantes de quatre présidents américains de Mont Rushmore.

Le pays le plus peuplé au monde se passionne pour l’architecture occidentale, au point de vouloir la recréer sur son sol.

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