Mercredi, 24 avril 2024
Opinion > Opinion >

La stratégie nucléaire de l’Iran

Hicham Mourad , Lundi, 22 novembre 2021

Cinq mois après l’interruption des négociations sur le rétablissement de l’accord nucléaire de 2015, l’Iran et l’Union européenne ont annoncé la reprise des pourparlers le 29novembre.

Hicham Mourad

Avec des divergences entre Téhéran et Washington toujours importantes après six séries de pourparlers indirects sur certaines questions-clés— telles que la vitesse et la portée de la levée des sanctions et comment et quand l’Iran reviendra à sa position nucléaire d’avant 2015—, les chances d’un accord semblent faibles.

L’Iran insiste sur le fait de supprimer immédiatement toutes les sanctions de l’ère de Donald Trump selon un processus vérifiable. Il considère que les sanctions qui, selon les Etats-Unis, ont été imposées pour des actes de terrorisme ou des violations des droits de l’homme, sont liées à l’accord nucléaire et doivent donc être levées. En revanche, Washington a annoncé qu’il lèverait les sanctions liées à l’accord si l’Iran revenait à le respecter, ce qui impliquerait qu’il en laisserait les autres dont celles imposées en vertu de mesures antiterroristes ou relatives aux droits de l’homme.

Téhéran cherche également à obtenir des garanties qu’aucune administration américaine ne reviendra à nouveau sur l’accord. Il considère Joe Biden comme un probable président à mandat unique et s’inquiète des intentions de son successeur en 2024. Si ce dernier est démocrate, il continuera à honorer l’accord, mais un président républicain ne le fera probablement pas, surtout s’il s’agissait de Trump ou d’un de ses proches hommes politiques.

Le problème est que Biden ne peut pas accéder à la demande iranienne, car l’accord nucléaire est un accord politique non contraignant, et non un traité juridiquement contraignant. L’accord, négocié sous l’ancien président Barack Obama, n’était pas un traité, car il n’y avait aucun moyen pour le président démocrate d’obtenir l’approbation du Sénat, à majorité républicaine à l’époque. La situation n’est pas meilleure pour Biden. En vertu de la Constitution américaine, les traités requièrent le consentement des deux tiers des 100 membres du Sénat. Etant donné que celui-ci est actuellement divisé à égalité entre démocrates et républicains, il n’y a aucun moyen plausible pour le démocrate Biden d’atteindre ce seuil. De nombreux sénateurs républicains pourfendent l’accord nucléaire et même certains démocrates s’y opposent.

Le fait que les radicaux tiennent aujourd’hui les rênes du pouvoir en Iran complique la conclusion d’un accord. Sous la houlette du nouveau président Ebrahim Raïssi, ils estiment qu’il faut placer haut la barre dans toute négociation et sont peu enclins à faire des concessions. Ces partisans de la ligne dure pensent qu’une approche ferme, menée par leur guide suprême fortement anti-occidental, l’ayatollah Ali Khamenei, peut forcer Washington à accepter les exigences maximalistes de Téhéran.

Certes, Raïssi veut conclure un accord en vue de lever les sanctions américaines qui pèsent sur l’économie iranienne, mais pas à n’importe quel prix. Car malgré les effets dévastateurs des sanctions, il estime que l’économie du pays peut se développer, même avec des sanctions, en stimulant la production nationale et en renforçant les relations commerciales avec les pays voisins. Lui et les radicaux croient à la croissance de l’économie grâce à une « résistance maximale », une référence à l’autonomie économique. Cette conviction est induite en partie par la perche qui a été tendue à Téhéran par la Chine. Enfreignant les sanctions américaines, cette dernière, grosse consommatrice d’énergie, a fourni une bouée de sauvetage financière à Téhéran en important plus d’un demi-million de barils de pétrole iranien par jour au cours des trois derniers mois. Cet engouement chinois pour le brut iranien fait suite à la conclusion en mars dernier d’un partenariat stratégique global Iran-Chine.

Dans le même ordre d’idées, les radicaux estiment que l’admission de l’Iran en tant que membre à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) en septembre aiderait l’économie iranienne à surmonter l’obstacle des sanctions américaines. L’OCS, qui regroupe la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan et quatre Etats d’Asie centrale, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, est le plus grand bloc politique, économique et sécuritaire au monde, comprenant plus de 40% de la population mondiale et 20% du PIB mondial. L’adhésion à l’OCS offre à l’Iran la possibilité d’étendre le commerce sur des marchés importants et en croissance et lui accorde un large éventail de mécanismes commerciaux avec divers membres, ce qui aura pour effet d’atténuer l’impact des sanctions.

Ces considérations expliquent en partie la tactique dilatoire du nouveau gouvernement iranien avant qu’il n’annonce la reprise des négociations. D’une part, et vu ce qui précède, la restauration de l’accord nucléaire n’a ni la même priorité, ni le même sens d’urgence pour les radicaux au pouvoir que pour le précédent régime modéré du président Hassan Rohani. D’autre part, les radicaux iraniens estiment que le temps joue en leur faveur, car il permet à Téhéran de poursuivre ses activités nucléaires en dehors des limitations imposées par l’accord de 2015.

L’Iran a commencé à enfreindre ces restrictions nucléaires en réponse à la décision prise par Trump en mai 2018 de se retirer de l’accord et de réimposer des sanctions économiques sévères. Dans une tentative apparente de faire pression sur le successeur de Trump pour qu’il lève les sanctions et fasse plus de concessions, l’Iran a accéléré ses violations en reconstituant les stocks d’uranium enrichi, en l’affinant à une pureté fissile plus élevée et en installant des centrifugeuses avancées pour accélérer la production.

Téhéran a également limité l’accès des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique aux seuls sites nucléaires déclarés. L’objectif de l’Iran était de gagner du temps avant la reprise des pourparlers en vue de faire progresser son expertise atomique et de créer de nouvelles réalités. Ce qui, pense-t-il, pousserait les Etats-Unis à vouloir conclure rapidement un accord— quitte à faire davantage de concessions— avant qu’il ne soit trop tard et de se retrouver devant un fait accompli, rapprochant Téhéran du seuil de production de l’arme atomique .

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique