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Mon compagnon à quatre pattes

Dina Darwich, Mardi, 16 novembre 2021

Certains les adoptent pour être « in » ou pour suivre la tendance. Pourtant, les animaux de compagnie jouent un rôle bien plus important auprès de leurs maîtres. Focus.

Mon compagnon à quatre pattes

« Ronronthérapie ». Le mot peut faire rire, pourtant, c’est très sérieux. Le chat possède de véritables pouvoirs thérapeutiques : il nous apaise, nous déstresse, soigne nos insomnies et chasse nos idées noires. « Une maison sans chat, c’est la vie sans soleil. Un animal de compagnie crée de l’ambiance à la maison et rend plus heureux ». C’est la philosophie de Hala, une employée de 42 ans. Cela fait quinze ans que les ronronnements se font entendre dans les quatre coins de sa maison qui abrite une dizaine de chats. Quand elle s’est mariée, elle a résolument décidé de ne pas avoir d’enfants. Les cris de bébés, non. Les ronronnements, si. Les chats de Hala sont comme ses propres enfants.

Mon compagnon à quatre pattes
Photo : Ahmad Réfaat

« Il arrive qu’ils fassent des bêtises, qu’ils endommagent le mobilier avec leurs griffes, alors je me dispute avec eux, je les menace, mais je ne peux pas les abandonner. Chaque geste anodin de leur part me fait sourire et me rend de bonne humeur. Un attachement et une relation fusionnelle que mon conjoint a fini par admettre », ajoute Hala. La jeune femme consacre chaque mois un budget de 5000 L.E., soit la moitié de son salaire pour ses minets: entre nourriture, soins chez le vétérinaire, shampooings, etc.

Il n’existe pas de chiffres en Egypte sur le nombre d’animaux domestiques, mais à en croire les vétérinaires et les magasins qui vendent des articles consacrés à ces animaux, aujourd’hui, de plus en plus de familles ont tendance à avoir un chien ou un chat. Selon le sociologue Kayaty Achour, la tendance s’est propagée suite à la révolution de 2011. Face au chaos sécuritaire, certains ont adopté des chiens pour garder la maison.

Par la suite, d’autres facteurs sociaux sont entrés en jeu. Beaucoup de jeunes d’aujourd’hui, qui optent pour le célibat et décident de vivre seuls, ressentent le besoin d’avoir un animal de compagnie. La vétérinaire Ghada Farouq atteste que la tendance touche toutes les classes sociales, y compris les catégories populaires aux revenus relativement bas. Les chiens aussi ont fait leur entrée en force dans les foyers égyptiens, notamment avec la fatwa de Dar Al-Iftaa, la plus grande institution chargée de donner des avis religieux, autorisant l’élevage des chiens à domicile, alors que la question faisait auparavant débat. Et face à cet emballement plutôt nouveau en Egypte, l’Autorité générale des services vétérinaires a donc fixé les conditions de détention d’une licence de chien de compagnie, tout en discutant de la fixation des prix de ces licences en coordination avec les différentes directions de médecine vétérinaire des gouvernorats (carte d’identification de l’animal, certificat de vaccination, certificat vétérinaire ou de bonne santé, etc.).

Des arguments sérieux… et moins sérieux

Mais pourquoi donc cet engouement ? Chacun avance ses propres arguments, parfois même rigolos. Pour Ayman, un étudiant de 22 ans, un beau chien de race constitue le référent d’un certain statut social, à l’instar d’une voiture de marque prestigieuse. « Lorsque je me balade avec un Husky, un griffon fauve ou bien un pitbull, j’attire l’attention des jeunes filles, un beau chien ou un beau bébé est une ruse pour aborder les filles ! », dit-il. Si les complexes touristiques huppés de la Côte-Nord sont devenus les endroits incontournables pour exhiber sa voiture de luxe, son maillot de bain, les races de chiens peu communes en Egypte font partie de l’étalage ostentatoire.

Ayman voit la chose d’un certain angle, il est vrai. Pour d’autres, l’affaire est plus sérieuse. Les animaux de compagnie peuvent servir également d’aides thérapeutiques. Un cas, celui de Basma, professeure de 46 ans qui s’est séparée du père de ses enfants, mettant un terme à une relation de 15 ans. « Je me suis retrouvée seule, une semaine sur deux. J’avais besoin de compagnie, d’un peu d’action », confie-t-elle. Son nouveau chat tigré, âgé de six mois, l’a aidée à traverser cette étape difficile. Il lui a apporté́ un peu de douceur... et beaucoup de rires! Petit à petit, le clan s’est agrandi, car elle a adopté d’autres animaux. Et bien que son quotidien semble être surchargé, elle se sent heureuse.

L’arrivée d’un chien à la maison lors de mon adolescence fut un tournant dans ma vie, car il a réuss
L’arrivée d’un chien à la maison lors de mon adolescence fut un tournant dans ma vie, car il a réussi à me faire sortir de ma solitude  », confie Nour. (Photo : Ahmad Réfaat)

Elle se réveille à 5h du matin pour préparer la nourriture de ses animaux, le déjeuner pour sa mère malade, et ce, avant d’aller à l’école à 8h. Elle revient à la maison vers 14h pour s’occuper de ses trois chats et ses deux chiens, s’assurer que leurs pelages ne portent aucun insecte et leur offre des croquettes, leur repas favori, ou des aliments en conserve. « Lorsqu’ils se roulent en boule sur mes jambes, je me dis alors que j’ai bien fait de les adopter à un moment difficile de ma vie. Quand les humains manquent de mots pour réconforter, les animaux adoucissent les coeurs par leur simple présence ».

La vétérinaire Ghada Farouq a remarqué que beaucoup de ses clients sont attachés à leurs animaux domestiques. Ils apprécient leur compagnie, les promènent avec eux et leur parlent même, ce qui est bénéfique pour la santé humaine. « Développer un lien affectif avec son animal a des effets bénéfiques pour la santé. Personnellement, j’ai un chat et deux chiens à la maison. Je passe mon temps à les cajoler. A bien y penser, je me demande qui fait le plus de bien à l’autre! », dit-elle. Et d’ajouter: « Dans notre monde hyper-compétitif, en mouvement, la place du chat et du chien demeure immuable dans les foyers. Cet amour inconditionnel ne peut que nous faire du bien, diminuer la tension et booster nos défenses immunitaires », poursuit la vétérinaire.

Et ce n’est pas uniquement efficace pour conjurer le sentiment de rejet, l’animal favorise également une bonne santé mentale en créant des liens affectifs tout en combattant le repli sur soi. Chawqi, 52 ans et traducteur, vit seul depuis la mort de son père. C’est son chien qui l’a aidé à surmonter ce moment si difficile. « Mon Dobby me fait sentir que je suis la personne la plus importante dans sa vie. Il est presque la seule créature qui m’accueille chaleureusement et avec beaucoup d’émotions. Un sentiment dont j’ai besoin », précise-t-il.

Plus qu’une compagnie, une thérapie

En effet, les animaux de compagnie sont une importante source de soutien social qui apporte du réconfort, selon une étude publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology de l’American Psychological Association. Les résultats de la recherche ont démontré que les propriétaires d’animaux étaient plus heureux, en meilleure santé et mieux adaptés. Ils ont une meilleure estime de soi, sont plus en forme physiquement, ont tendance à se sentir moins seuls, sont plus consciencieux, plus extravertis, moins anxieux et moins préoccupés, d’après un article publié sur le site Psychomédia.

Des chercheurs de Harvard ont réussi à déterminer que 87% des propriétaires se sentaient plus calmes et plus sereins après avoir accueilli un chien ou un chat à la maison. Ce n’est pas étonnant, puisque la présence d’un animal réduit le taux de cortisol, l’hormone du stress, et que l’affection que témoigne l’animal à son maître lui permet de secréter plus d’ocytocine (l’hormone du bonheur), ce qui réduit l’anxiété. Une chose très bénéfique aussi pour les seniors, selon la psychiatre Walaa Sabri, car avoir des animaux à la maison est un moyen d’éviter les démences et la maladie d’Alzheimer.

La zoothérapie est une méthode thérapeutique non conventionnelle dans laquelle l’animal de compagnie
La zoothérapie est une méthode thérapeutique non conventionnelle dans laquelle l’animal de compagnie joue le rôle-clé.

On parle même aujourd’hui de zoothérapie (médiation animale) qui est par définition le fait d’utiliser les animaux comme des médiateurs pour créer une interaction entre un thérapeute et une personne. Le but est d’offrir un moment de bien-être à travers l’animal ou même de réaliser un véritable travail psychologique qui rentre dans un cadre thérapeutique. D’ailleurs, un chien de compagnie pourrait être bénéfique pour la santé physique de son maître. Chérif, journaliste de 52 ans, dit qu’étant de nature paresseux, son chien lui a donné l’opportunité de faire de la marche. En effet, selon une étude de l’American Heart Association, posséder un chien diminue les risques de maladies cardiovasculaires chez les adultes (première cause de mortalité dans le monde). Et pour cause, les promenades quotidiennes du chien, les jeux et les soins permettent aussi d’être moins exposés aux maladies cardiaques.

Et pour les enfants, l’animal domestique est plus qu’un compagnon, il peut être un outil pédagogique très bénéfique aux petits. Selon la pédagogue Nihal Lotfi, le fait de prendre soin d’un chat ou d’un chien procure un sentiment d’accomplissement, ce qui a sans doute un impact sur l’estime de soi. Aujourd’hui âgée de 20 ans et étudiante à l’Université de polytechnique, Nour a eu une adolescence difficile. « Je sentais que j’étais différente des filles de mon âge et j’avais du mal à tisser des amitiés. Pour ne pas me sentir seule, mes parents m’ont ramené un chien. Ce fut un tournant dans ma vie, car il a réussi à me faire sortir de ma solitude et m’a rendue une personne responsable. Car c’était moi qui en prenais soin et le nourrissais. Je me sentais autonome et à la fois responsable de ce chien, ce qui m’a donné confiance en moi-même, surtout durant cette période délicate de ma vie », confie la jeune fille. La psychiatre Walaa Sabri dit utiliser parfois cette approche avec les enfants pour leur apprendre à devenir des personnes responsables ou générer une énergie positive chez ceux qui vivent une période transitoire. Par exemple, après la perte d’un proche ou la séparation des parents, élever un animal de compagnie et en prendre soin peut éviter que l’enfant ne sombre dans la dépression, estime-t-elle. Et c’est ce qu’elle conseille à ses patients.

Mais avoir un animal domestique n’est pas une mince affaire. Si on prend la décision pour traverser une période de détresse ou résoudre un problème, il faut être capable d’en assumer la responsabilité définitivement.

Consultez cet article sur le site d'Al-Ahram:

https://gate.ahram.org.eg/daily/News/832453.aspx

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