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Le palais Andrawos n’est plus

Nasma Réda, Mardi, 31 août 2021

La démolition du palais de Tawfiq pacha Andrawos, qui côtoie le temple de Louqsor en Haute-Egypte, est déplorée tant par les urbanistes que par les habitants de la ville.

Le palais Andrawos n’est plus

Situé au bord du nil, tout près du temple de Louqsor, le palais de Tawfiq pacha Andrawos, construit en 1897, a été démoli. Bulldozers et tracteurs ont transformé le palais en un tas de pierres en l’espace de quatre jours. Cette démolition a suscité la tristesse des archéologues, des historiens mais également des habitants de la ville. Aucun communiqué du ministère du Tourisme et des Antiquités n’explique les causes de cette démolition. « La décision de démolir ce palais a été prise par le ministère du Tourisme et des Antiquités à cause de son état lamentable. Ses murs sont fissurés et son sol augure d’une catastrophe », affirme toutefois Tareq Loutfi, chef du conseil municipal de Louqsor, assurant que deux équipes ont travaillé en parallèle, l’une pour vider l’édifice de ses meubles et l’autre pour le démolir. Selon lui, les deux comités ont assuré qu’il était difficile de restaurer ce palais vu son état lamentable depuis des années, surtout à cause des fouilles illicites faites par la contrebande jusqu’en 2020. « Ce palais est cher aux citoyens de Louqsor. C’est toute une histoire qu’on a perdue », se lamente un guide touristique de la ville qui a requis l’anonymat, ajoutant que pendant ces dernières années, Louqsor a perdu plusieurs monuments sous prétexte de transformer la ville thébaine en un musée en plein air. Il donne l’exemple de la mosquée d’Al-Meqachqech construite il y a plus de 350 ans et démolie en 2010. En fait, le guide explique que de nombreux récits et contes se sont tissés autour de ce palais et son propriétaire qui a bâti plusieurs édifices coptes et islamiques au gouvernorat de Louqsor et qui était un homme de charité très aimé des habitants. « En tant que citoyen j’aurai préféré que le palais soit restauré et exploité, surtout qu’il ne gêne ni les touristes ni le projet de développement de l’Allée des béliers », reprend le guide. En fait, après que le gouvernement eut annoncé son intention de démolir le palais, les habitants, surtout les jeunes parmi eux, se sont hâtés de prendre des photos du palais pour qu’il reste gravé dans leur mémoire. « Les Thébains sont attachés à ce palais et à ses histoires. Depuis la mort des filles d’Andrawos pacha, on a permis à peu de gens de visiter le palais et à en prendre des photos », souligne Loutfi. Soheir Zaki Hawas, professeure d’architecture et d’urbanisme à l’Université du Caire, pense qu’il était possible de restaurer ce palais historique et d’en bénéficier à des fins culturelles. « Les édifices d’Andrawos sont considérés comme les plus importants de la Haute-Egypte, ils ont un style architectural distingué et ils représentent la mémoire de la ville », souligne-t-elle.

Si les uns considèrent ce palais comme un édifice historique de valeur et si certains habitants y sont fortement liés, d’autres, au contraire, estiment que le palais n’a pas de grande valeur. « Il est illogique de laisser un tel bâtiment côtoyer le temple historique de Louqsor, surtout qu’il n’est ni classé sur la liste du patrimoine du ministère du Tourisme et des Antiquités ni considéré par l’Organisme de l’harmonisation urbaine comme un palais de style architectural exceptionnel », affirme l’archéologue Mokhtar Al-Qassabani, membre du premier comité créé par le ministère de la Culture en 2009 pour examiner l’état du palais. En fait, cette date marque la volonté des autorités égyptiennes de démolir les deux palais de la famille Andrawos, celui de Yassy pacha démoli en 2010 et celui de son frère Tawfiq pacha démoli cette semaine.

Le palais Andrawos n’est plus

« Le palais ne possède pas les éléments architecturaux nécessaires pour figurer sur la liste des monuments antiques », reprend Al-Qassabani soulignant qu’en 2010, le grand palais de Yassy Andrawos, siège du Parti national démocrate, a été démoli, et avec la mort des deux filles de Tawfiq pacha il y a huit ans, ce « petit » édifice abandonné représentait un grand danger pour les passants. Actuellement, avec les travaux de fouille, de restauration et de développement de l’Allée des béliers, la démolition du palais était devenue inéluctable.

Malgré la démolition, le débat continue. Et pour apaiser le grand public, Moustapha Waziri, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités, explique la raison pour laquelle le palais a été démoli. « Nous avons trouvé en 2008-2009 des traces d’un temple romain sous le palais Andrawos, et on va poursuivre les fouilles juste après le débarras des débris », déclare Waziri. Un prétexte inacceptable pour la grande majorité. « S’il existe un temple sous le palais, il est alors inconcevable d’utiliser des véhicules lourds pour sa démolition. Il faut conserver ce qu’il y a en dessous », affirme l’archéologue Abdel-Hamid Abdel-Qader. En effet, selon de nombreux spécialistes, la célèbre ville thébaine a beaucoup perdu après la démolition du palais Tawfiq pacha Andrawos. « La ville a perdu une valeur architecturale, urbaine, commémorative, esthétique, historique, nationale et symbolique », conclut l’architecte Essam Safieddine.

Le palais en dates :

1897 : La famille bourgeoise d’Andrawos quitte le gouvernorat de Qéna et s’installe à Louqsor. Le père Andrawos pacha Bichara, un des grands commerçants de la Haute-Egypte, construit deux palais, l’un pour son fils Yassy et l’autre pour son frère Tawfiq.

1923-1935 : Tawfiq pacha Andrawos devient député du gouvernorat de Louqsor pour trois mandats consécutifs.

6 janvier 1935 : Mort de Tawfiq à 43 ans laissant quatre enfants : Gamil, Gamila, Loudy et Soufy.

1953 : Après la Révolution de 1952, le conseil du commandement de la révolution confisque le grand palais de Yassy Andrawos après la fuite de la famille hors d’Egypte, alors que les descendants de Tawfiq gardent leur palais et ne l’ont jamais quitté.

Dans les années 1980 : Le grand palais de Yassy devient le siège du Parti national démocrate.

2010 : Le gouvernorat démolit le grand palais de Yassy.

2011 : Décès de Gamila Tawfiq après son frère.

7 janvier 2013 : Assassinat des deux autres soeurs.

2020 : Fouilles illicites au palais.

Août 2021 : Démolition complète du palais historique

Mort énigmatique

Le palais Andrawos n’est plus

Aimées et respectées des citoyens, Loudy et Soufy, 82 ans et 79 ans, vivaient seules dans le palais de leur père qui leur a laissé un grand héritage, soit plus de 200 feddans. Pendant des années, le palais semblait abandonné, mais durant la première semaine de 2013, les deux ont été vues plusieurs fois sur le balcon de leur palais. Lors du Noël copte, soit le 6 janvier, inquiet que les deux soeurs ne répondaient pas, leur avocat se rend à la police. Occupée en raison des fêtes, la police se rend le lendemain sur les lieux, pour découvrir l’assassinat des deux dames au moyen d’une barre métallique tranchante, sans que rien soit volé du palais. L’affaire a été classée.

La maison de la Nation de la Haute-Egypte

Le palais Andrawos n’est plus

En plus de ses caractéristiques architecturales et esthétiques, ce palais a aussi une grande importance historique. Tawfiq pacha Andrawos faisait partie des leaders du parti du Wafd en Haute- Egypte. Bien qu’il ait terminé ses études supérieures à l’Université anglaise d’Oxford et étant consul honoraire en France, en Belgique et en Italie, Tawfiq refuse le poste d’ambassadeur suggéré par le roi de l’Egypte, à condition qu’il arrête son soutien au parti du Wafd et son leader Saad Zaghloul.

En fait, Andrawos déploie un grand effort lors de la Révolution de 1919, surtout en Haute- Egypte. En 1921, il arrête le navire transportant Saad Zaghloul pacha vers son exil et l’accueille dans son palais, sur lequel il suspend les trois drapeaux des pays étrangers où il a été consul. Une ruse qui l’éloigne de la prison. Depuis lors, sa maison est nommée « La maison de la Nation de Louqsor » et aussi « La grande maison louqsorienne ». Quand le Wafd est passé par une grave crise financière, Andrawos vend près de 700 feddans de terrains et offre l’argent à l’épouse de Saad Zaghloul. D’ailleurs, Tawfiq occupe durant trois mandats consécutifs le poste de député de Louqsor jusqu’à sa mort en 1935.

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