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Alep au coeur du conflit syrien

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 23 mai 2016

La bataille à multiples protagonistes d’Alep, principal champ de bataille syrien à l'heure actuelle, a marqué une tournure majeure dans la crise syrienne en renversant progressivement l’équilibre des forces en faveur du régime syrien.

Alep au coeur du conflit syrien
Deux hommes marchent dans Alep en ruine. (Photo : AFP)

Les armes ne se taisent pas à Alep malgré le cessez-le-feu tout fragile instauré le 27 février dernier à Munich. Deuxième ville et capitale économique de la Syrie, située à l’extrémité nord-ouest du pays, Alep est aujourd’hui le principal champ de bataille, où s’affrontent presque tous les acteurs de la crise syrienne. Entre attaques et contre-attaques, les combats font rage sur plusieurs fronts : armée et milice pro-régime syrien, l’EI, le Front Al-Nosra et les autres groupes djihadistes, ASL (Armée Syrienne Libre) et les Kurdes. Cette ville, jadis un carrefour routier et ferroviaire, a basculé tardivement dans le conflit syrien — en juillet 2012 — pour devenir le bastion principal de la rébellion qui s’est emparée de la majorité de la ville, en laissant quelques secteurs morcelés entre les mains du régime et des Kurdes. Epaulées par des frappes aériennes russes et des combattants iraniens et libanais sur le sol, les forces loyalistes de Bachar ont pu regagner de larges portions de territoire dans et autour de la ville, en forçant les combattants d’Al-Nosra à battre en retraite, fin avril dernier.

Le régime contrôle aujourd’hui environ 60 % de la ville, comme l’explique Sameh Rached, expert des affaires régionales à Al-Ahram : « La bataille actuelle d’Alep a marqué un tournant décisif dans le conflit syrien, en renversant progressivement, même si lentement, l’équilibre des forces militaires dans cette grande ville en faveur du régime syrien ». Parmi les importantes percées de l’armée du régime à Alep : parvenir à couper la route Alep-Bab Al-Salam qui mène à la frontière turque, la principale voie de ravitaillement des djihadistes, notamment du Front Al-Nosra et d’Ahrar Al-Cham, et briser le siège de Nubul et Zahraa, deux villes sous contrôle des forces rebelles depuis trois ans. Les combats du régime se concentrent aujourd’hui dans le quartier de Cheikh Maqsoud, au nord de la ville d’Alep, qui est d’une importance stratégique, car c’est par là que passe l’autoroute Castello considérée comme le dernier axe de ravitaillement permettant de rejoindre la Turquie et la région d’Edlib depuis Alep. Selon Rached, le régime syrien pourrait conserver, à moyen terme, son avancée militaire dans la ville et sa portion la plus large.

Et cela pour deux causes principales : « D’un côté, les forces gouvernementales syriennes sont une seule entité cohérente face à une mosaïque de guerriers, laïques, islamistes modérés, islamistes radicaux ou djihadistes. Ces derniers sont de plus en plus divisés entre eux et entrent souvent en conflit. De l’autre côté, les lignes d’approvisionnement pour ces groupes que ce soit en provenance d’Iraq ou de la frontière turque sont de plus en plus contrôlées par le régime », dit Rached. Malgré cette avancée du régime syrien sur le terrain, Malek Aouni, directeur en chef de la revue Al- Siyassa Al-Dawliya, pense que « la bataille d’Alep ne va pas résoudre complètement le conflit militaire qui ravage tout le pays syrien depuis cinq ans, mais va contribuer largement à redéfinir le poids et la nature de l’hégémonie politique sur le terrain de chaque protagoniste sur la table des négociations ». En d’autres termes, comme ajoute Aouni, « la bataille d’Alep est la bataille militaire qui va en parallèle avec la bataille politique des négociations visant à reconstruire de nouveau l’Etat syrien sur une base probablement fédérale ». Avis partagé par Rached qui estime que, du point de vue géographique, la force qui va dominer totalement Alep est celle qui aura la portion la plus large dans la carte de la nouvelle Syrie que les grandes puissances visent à redessiner au détriment du peuple syrien.

La « Syrie utile »

Pour Mohamad Gomaa, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, reprendre toute la ville d’Alep est en fait un enjeu stratégique majeur pour le régime, car en cas de victoire, il pourrait renforcer son contrôle sur une grande partie de « la Syrie utile », ce concept élaboré par Bachar, qui désigne particulièrement la ligne sudnord qui s’étend de Damas à Alep. « Le régime contrôle déjà les grands centres urbains de Damas, de Homs et de Hama. Par ailleurs, la chute d’Alep serait également une grande défaite de l’opposition qui devient de plus en plus isolée et étouffée dans les zones rurales », dit Gomaa. La victoire de Bachar serait aussi une grande défaite pour la Turquie, comme l’indique Aouni, puisque Alep est à la fois le point d’entrée principal de ravitaillement turc pour les factions auxquelles elle apporte soutien afin de contrecarrer l’avancée des Kurdes vers ses frontières. « Alep est aussi le point faible par lequel les factions soutenues par la Turquie peuvent cibler la zone fortement fortifiée du régime syrien, notamment à Lattaquié », ajoute Aouni.

En fait, Ankara a essayé tout le long du conflit syrien à trouver un prétexte pour s’introduire dans le nord de la Syrie sous prétexte de protéger son territoire des frappes de Daech, sans y aboutir. « La bataille d’Alep a présenté au début pour Ankara une grande occasion d’intervenir à Alep. Cette ambition turque s’est heurtée à un ferme refus américano-russe », dit Aouni. Car les positions de Moscou et de Washington se rapprochent clairement sur la scène syrienne. Selon Aouni, il n’est pas dans l’intérêt de ces deux puissances mondiales de trancher définitivement la bataille en faveur d’une partie. « Moscou et Washington veulent que les positions des protagonistes locaux et régionaux de la crise syrienne restent fragiles sur la table des négociations afin de pouvoir leur imposer facilement les solutions sur lesquelles ils s’accordent », précise Aouni. Rached avance un autre point de vue, en voyant que ces deux puissances ne se précipitent pas à trancher la bataille à Alep craignant que les groupes djihadistes délogés ne quittent la ville pour se propager dans d’autres régions, en élargissant ainsi de plus en plus le champ de bataille.

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