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Patrimoine : Les méthodes pour mieux le protéger

Nasma Réda, Mardi, 15 mars 2016

La protection des biens culturels et la lutte contre le trafic d'antiquités ont été le thème de la deuxième rencontre des professionnels et amateurs du patrimoine, la semaine dernière, à l’Institut français d’Egypte.

Patrimoine : Les méthodes pour mieux le protéger

La « Rencontre égypto-euro­péenne sur la protection et la lutte contre le trafic illicite des biens culturels » a regroupé lors de sa deuxième édition, les 8 et 9 mars, des responsables du ministère des Antiquités, des archéologues des missions étrangères et des services de police spé­cialisés en Egypte et en Europe. Elle vise en premier à présenter les nouvelles méthodes de travail et les échanges d’in­formations entre les experts égyptiens et européens afin de pouvoir arrêter toute destruction du patrimoine culturel, surtout à l’issue des multiples violations et pillages des sites archéologiques antiques et du patrimoine islamique de l’Egypte.

« La lutte efficace contre le pillage com­mence par renforcer la coopération inter­nationale entre les différents services chargés des enquêtes », a souligné l’am­bassadeur de France, André Parant, lors de son discours. De même, la poursuite, non seulement des pilleurs des sites mais aussi des contrebandiers, est indispen­sable. « On doit arrêter ce trafic illicite à la racine », explique le général Ahmad Abdel-Zaher, directeur de la police des antiquités. Il ajoute que ces trafiquants créent de faux papiers et de fausses his­toires dans des pays de transition avant même de les vendre en Europe. « En outre, ils mélangent des répliques à de vraies pièces antiques en recherchant les gains financiers », dit-il.

« L’Egypte a vécu de nombreux cas de vol. On a vu des pertes ainsi que des suc­cès de restitution des pièces durant les dernières années », souligne Ali Ahmad, ex-directeur général du département de récupération des antiquités. Il a donné lors de son allocution de multiples exemples de cas de restitution, dont le plus célèbre était celui de la tablette en albâtre des sept huiles sacrées datant de la Ve dynastie av. J.-C. volée des entrepôts de Saqqara. Cette pièce antique a été remise par une collectionneuse suisse, le 7 mars, à l’am­bassade d’Egypte à Berne. « L’Egypte possède toujours hors de ses frontières des milliers d’autres pièces. Il faut savoir que la voie n’est pas toujours facile (pour les récupérer) », indique-t-il, accusant la présence de plusieurs lacunes dans les articles des conventions internationales.

Lors de la rencontre, les participants ont signalé que les pillages se sont aggravés depuis le déclenchement de la révolution en 2011. « Les images satellites offertes par notre partenaire Sara Parcak ont montré la présence de fouilles illicites dans différentes régions. A l’arrivée des archéologues sur un chantier, ils le trou­vent soit détruit soit fortement pillé », a déclaré Ali Ahmad.

Sortie des pièces

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Une lanterne mamelouke, volée des entrepôts du nouveau Musée de civilisation.

Un autre problème débattu, celui des méthodes de sortie des pièces antiques aux frontières égyptiennes, surtout via les ports maritimes, comme celui de Noweiba ou de Damiette. « Vers la fin de 2015, plus de 300 pièces antiques ont été saisies dans un camion plein de charbon avant de quitter le territoire égyptien à destina­tion de la Jordanie ». Cette dernière n’est qu’un pays transitoire, car les mafias de ce genre de commerce visent les pays du Golfe ou l’Europe. « On ne réussit à arrê­ter que 10 % des pièces avant leur fran­chissement des frontières », renchérit Mohamad Moustapha, directeur du dépar­tement des antiquités sous-marines d’Alexandrie, qui a souligné la grande difficulté qu’il affronte dans son départe­ment pour sécuriser les antiquités sous-marines, insistant sur l’importance d’en­registrer les antiquités périodiquement.

« La documentation numérique des collections égyptiennes » était le thème de l’allocution de Yasmine Al-Shazly, assistante du ministre des Antiquités pour les musées, soulignant que la docu­mentation est devenue indispensable pour prouver la propriété de ces biens. « Jusqu’en 2015 on a pu documenter et enregistrer 1 065 artefacts au Musée égyptien du Caire », explique-t-elle. « Lors de l’attaque du musée en 2011, cette base de données nous avait beau­coup servi pour trouver les pièces qui avaient été volées », se souvient-elle.

En fait, l'enregistrement des biens culturels ne se limite pas aux pièces qui se trouvent dans les musées. Il touche aussi les chantiers, l’intérieur des tombes et des temples, ainsi que les entrepôts où la documentation n’est pas parfaite.

Une opinion partagée par Ludovic Ehrhat, chef de l’Office central de la lutte contre le trafic des biens culturels en France : « Plus le bien est connu, photographié et publié, moins il risque d’être volé ». Ajoutant qu’Interpol a der­nièrement modernisé sa base de données, et qu’il est temps que tous les pays en profitent. « En tant que policier je réclame que (les trafiquants) doivent être emprisonnés, car l’argent gagné par ce trafic est utilisé dans des actes terro­ristes qu’affrontent actuellement l’Egypte et la France », donnant l’exemple des deux gardiens décédés fin février dernier à Deir Al-Barcha, en Egypte. Cet incident a déclenché, lors de la conférence, une série d’exemples de violation sur les sites archéologiques.

Mieux former

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La tablette des sept huiles sacrées.

L’idée de cette rencontre a surgi en 2014 suite à l’exposition au Musée de Budapest en 2013 de deux épitaphes qui avaient été volées à Tebet Al-Gueich, à Saqqara (procès en cours), et « Les Menaces sur le patrimoine de Deir Al-Barcha » a été l’axe des discussions en 2016. Le Belge Harco William, de l’Université de Leuven, opérant sur le site en Haute-Egypte, a souligné sa tris­tesse à la suite de la mort des gardiens « courageux ». Il recommande alors à la police égyptienne de mieux former les gardiens et de mieux les armer.

La détérioration du Caire islamique est un autre exemple de violation. « Lorsqu’on observe la rue Al-Darb Al-Ahmar de haut, on ne voit ni les mina­rets ni les coupoles d’autrefois. Ils sont noyés dans une forêt de constructions de grande banalité défigurant la cité qui fut, un jour, historique », se plaint Galila Al-Qadi, directrice du département d’ar­chitecture de l’Université française d’Egypte.

Au cours des cinq heures, les recom­mandations se sont multipliées. La coo­pération et les accords bilatéraux entre les différents pays dans le domaine de la protection du patrimoine et de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels sont une initiative indispensable pour la réussite dans ce domaine. Les partici­pants ont insisté sur l’importance de la sensibilisation des citoyens à la valeur du patrimoine culturel de l’humanité.

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