Après des années de fermeture, Wékalet Qaïtbay (fondée en 1480) fait l’objet d’un projet de réhabilitation qui consiste à transformer cet ancien caravansérail en hôtel cinq étoiles. « Enfin, Wékalet Qaïtbay va retrouver sa fonction d’autrefois », souligne Mohamad Abdel-Aziz, directeur du grand projet du Caire historique. Comme tous les caravansérails, Wékalet Qaïtbay servait à l’hébergement des voyageurs, des marchands étrangers et à la vente de leurs marchandises. Selon Abdel-Aziz, cet hôtel sera le premier de son genre en Egypte. Cette région a un caractère spécial étant donné qu’elle est située à proximité de la grande porte antique du Caire fatimide, dite Bab Al-Nasr, dans la région fatimide de Gamaliya. Ce caravansérail de style mamelouk gardera son aspect d’origine lorsqu’il a été fondé au XVe siècle par le sultan Qaïtbay. « Après de longues études faites par le ministère des Antiquités en coopération avec le ministère du Logement, nous avons pu déterminer les points faibles du bâtiment et nous avons commencé à y remédier », assure Abdel-Aziz. Le nouvel hôtel comprendra 28 suites. Chaque suite formera une unité complète avec salle de bains et une petite salle de réception. « Nous allons inaugurer partiellement cet hôtel d’ici un an. Nous évaluerons alors l’expérience, et si celle-ci est concluante, nous achèverons le projet », affirme Abdel-Aziz. Et d’ajouter : « Les meubles et l’éclairage ont été conçus de manière à refléter le style du XVe siècle ». L’hôtel adoptera le mode de vie musulman. Il ne présentera pas de boissons alcoolisées et il n’y aura pas de piscine. Le coût de l’hébergement à l’hôtel doit être déterminé par le ministère du Tourisme qui est en train d’étudier les offres des sociétés privées qui vont gérer l’hôtel. Les magasins donnant sur la rue Al-Gamaliya seront utilisés comme ateliers pour ressusciter les anciens métiers comme Al-Nahassine (artisans du cuivre) et Al-Attarine, (vendeurs d’épices ), etc.
La restauration en premier
Avant ce projet d’hôtel, Wékalet Qaïtabay a été témoin d’un grand projet de restauration. Celui-ci avait commencé il y a deux ans, lorsque les ministères des Antiquités et du Logement avaient conclu un protocole de coopération visant à restaurer et réaménager Le Caire historique, surtout le caravansérail de Qaïtbay. Ce protocole s’inscrivait dans le cadre d’un travail de préservation de l’identité culturelle et historique des anciens édifices. « Ce bâtiment rectangulaire était dans un état lamentable », explique le directeur du département du Caire historique.
Des personnes se sont emparées des magasins, et plusieurs violations de ce site antique avaient eu lieu. Même les moucharabiehs (fenêtres en bois résineux) qui décorent la grande façade ont été cassés ou arrachés. Selon Abdel-Aziz, « au cours des siècles, ces moucharabiehs se sont dégradés. Cela nous a forcés à en fabriquer de nouveaux, identiques, pour que le bâtiment conserve autant que possible son aspect authentique et sa beauté d’antan ». Trois étages seulement forment ce caravansérail. « On a presque reconstruit le troisième étage », poursuit-il. Même la grande cour du milieu, qui servait autrefois de lieu de rencontre des marchands ou simplement à passer du temps, servira de réception à cet hôtel antique qui proposera aux touristes des soirées de folklore typiquement arabe. « Le coût des travaux de restauration a dépassé les 35 millions de L.E. (4 millions de dollars). Il ne reste que quelques touches de peinture décoratives à faire. Dans quelques semaines, tout sera prêt en vue de commencer la réhabilitation de la wékala », indique Abdel-Aziz.
C’est en 2001 que l’ancien ministre de la Culture également responsable des antiquités, Farouk Hosni, a tenté de réutiliser de tels édifices pour des activités liées aux arts. Saleh Lameï, urbaniste, était contre un projet semblable à Bab Al-Azab, car il allait bouleverser l’architecture de la région. Il a constaté que dans Le Caire historique, l’aspect initial a été bien conservé lors des restaurations passées et la question qui reste pour lui est d’ordre sécuritaire. « Les mesures de sécurité prises pour cet hôtel affecteront-elles les bâtiments antiques ? », demande-t-il.
Malgré plusieurs expériences réussies de réhabilitation de monuments islamiques comme le sabil de Mohamad Ali qui sert actuellement de Musée du textile, l’idée continue aussi à troubler les responsables archéologiques. Certains y voient une chance de préserver ces monuments, d’améliorer la conscience archéologique des citoyens qui vivent aux alentours. D’autres, au contraire, rejettent cette idée qui mènera selon eux à la détérioration rapide des monuments. « La transformation de la wékala en hôtel est une violation de la loi 1984 sur les antiquités », déclare un archéologue qui a requis l’anonymat. « Pas du tout ! », s’écrie Abdel-Aziz. « Ce projet aidera à la restauration de l’édifice lui-même en plus de sa rentabilité pour le ministère des Antiquités ainsi que pour tous ses partenaires », dit-il. « De même, on doit conserver nos sites antiques qui serviront au développement social, économique et touristique de toutes les régions où ils se trouvent », ajoute-t-il. Car selon Waad Abdel-Aal, directeur du secteur des projets au ministère des Antiquités : « La réhabilitation et l’exploitation des monuments historiques mènent au développement durable ».
La beauté de l'art islamique
Wékalet Qaïtbay est un exemple marquant de la beauté de l’art islamique avec un modèle qui s’est propagé pendant l’ère mamelouke. Ce caravansérail a été fondé par le sultan Qaïtbay au centre du Caire, derrière Bab Al-Nasr. L’idée de sa construction remonte au retour du sultan Qaïtbay de son pèlerinage à La Mecque en 1479. Là-bas, il rencontre des milliers de pauvres entourant Al-Masgued Al-Haram (la mosquée sacrée). Dès lors, il décide de les aider par l’envoi régulier d’argent. Il ordonne aussi de bâtir cet édifice qui regroupera les commerçants de grains. Parmi eux, les marchands des grains broyés (Al-Déchicha en arabe). C’est pourquoi ce caravansérail était aussi nommé Wékalet Al-Déchicha. Il prend une forme rectangulaire et est composé de trois étages. Sur sa façade, dix boutiques, cinq de chaque côté de la grande porte d’entrée située juste au milieu de cet édifice.
Ornée de motifs mamelouks, cette grande porte en bois est un chef-d’oeuvre, avec le nom du sultan fondateur et le motif de sa fondation gravés dessus.
Qui était le sultan Qaïtbay ?
Né au sud-ouest du continent asiatique, aux frontières de l’actuelle Russie en 1422, Qaïtbay fut acheté par un marchand dénommé Mahmoud Ibn Rostoum. A 13 ans, il est amené en Egypte, puis le 9e sultan mamelouk, Barsbay, qui régna de 1422 à 1438, l’acheta pour l’enrôler dans l’armée. Sous le règne du sultan Jaqmaq, il prend le nom d’Al-Ashraf Aboul-Nasr Qaïtbay, et est nommé maître de la garde, puis responsable des affaires intérieures de la cour royale, et devient chancelier (ministre de la Justice). Il devient chef des armées en 1467. A cette époque, une révolution des princes mamelouks frappe le palais royal. Ce qui mène au renversement du sultan Al-Zahir Tamurbugha. Suite à ces troubles, Qaïtbay est nommé par le calife abbasside Youssef Al-Mastengued Billah (1455-1479), souverain d’Egypte et de la Grande Syrie. Il régna jusqu’à sa mort en 1496. C’est au cours de son long règne de 28 ans que les Ottomans tentèrent de s’emparer de l’Egypte. Sous Qaïtbay, a lieu une importante renaissance architecturale, qui rassemble les splendeurs des deux périodes mameloukes, baharite formant la 1re dynastie des Mamelouks qui a régné de 1250 à 1382, puis burdjite de 1382 à 1517. Qaïtbay a fondé son complexe funéraire au Caire où se trouve sa tombe, en plus d’un fort à Alexandrie.
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