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Soeurs musulmanes: Une intifada chez les Frères

Dina Darwich , Lundi, 28 janvier 2013

Alors que les femmes ont réussi à jouer un rôle important au sein du Parti Liberté et justice, elles se retrouvent marginalisées au sein de la confrérie. Leur lutte pour plus de droits a commencé. Etat des lieux.

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(Photos: Al-Ahram)

« Pendant l’ère Moubarak, les soeurs musulmanes ont dû se retirer des postesclés qu’elles occupaient au sein de la confrérie, et ce, pour des raisons de sécurité. On croyait que c’était pour nous protéger. Sous les régimes dictatoriaux, la femme a toujours été un moyen de pression pour humilier les pères, les frères et les époux. C’est le point faible par lequel on arrivait à atteindre les Frères musulmans. Aujourd’hui, la situation a changé, il est temps de réformer le statut de la femme au sein de la confrérie », explique Sabah Sakari, membre de la Conférence générale des soeurs musulmanes (qui est une entité dans la hiérarchie de la confrérie) et secrétaire générale du comité de la femme au sein du Parti Liberté et justice, bras politique de la confrérie. Ses études de pharmacie terminées, c’est au sein de la confrérie qu’elle a façonné sa carrière politique. Elle a quitté son poste de professeur à l’université pour être plus proche du peuple, en ouvrant une pharmacie située dans un quartier populaire. Durant 22 ans, elle a caché son appartenance aux Frères musulmans, tout en donnant des sermons à la mosquée, et ce, après des études de prédication. Un dynamisme sur le terrain qu’elle a démontré avant la révolution et qui l’a encouragée à se lancer dans une bataille lors de l’élection du nouveau président du Parti Liberté et justice. Un poste disputé par deux personnes importantes de la confrérie, à savoir Essam Al- Eriane, vice-président du parti, et Saad Al-Katatni, ex-président du Parlement.

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L'ex-députée Azza Al-Garf estime que les soeurs sont omniprésentes partout au sein de la confrérie.

Mais cette marge de liberté dont jouit la femme au sein du parti ne semble pas la même au sein de la confrérie dont la structure demeure conservatrice. Une dualité à l’égard du rôle que doit jouer la femme au sein du parti ou à la confrérie. La preuve : au moment où les femmes constituent la moitié des membres du comité des relations étrangères au sein du parti, aucune femme ne se trouve dans le bureau consultatif de la confrérie et le bureau d’orientation qui comptent 147 membres. Certaines rumeurs avancent que la confrérie va connaître une intifada féminine. Selon le site électronique Al-Ahram online, lors d’une réunion à huis clos entre Gomaa Amin, chef adjoint de la confrérie, et un groupe de soeurs musulmanes, ces dernières ont revendiqué la nécessité de donner une chance aux femmes d’accéder aux postes-clés à la confrérie. Et ce, après avoir été longtemps écartées de la prise de décision. Leur rôle étant restreint aux oeuvres de charité et à l’action sociale. Une revendication qui a suscité une vague de protestations chez les Frères musulmans. Cela a suscité une polémique entre les soeurs musulmanes — surtout les plus jeunes — et le courant le plus rigoriste au sein de la confrérie. Riham, 28 ans, assure que la femme a toujours été la voûte angulaire de la confrérie lors des différents événements.
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« Lors des dernières élections parlementaires, on a compté 5 femmes, face à un seul homme, qui se sont déplacées aux quatre coins de l’Egypte pour faire campagne et soutenir les candidats de la confrérie. Une machine de propagande hyperactive, dont les efforts devaient être exploités au maximum. Sa présence au sein de la confrérie est donc d’une grande importance », confie Riham, qui appuie son point de vue par des exemples de femmes qui ont côtoyé le prophète dans les différentes batailles et qui, sous le pouvoir du calife Omar, ont occupé des postes importants dans la magistrature. « On aspire à renverser la structure classique des Frères », explique Riham, qui tente de mobiliser la Conférence générale des soeurs musulmanes dans les provinces à travers des ateliers, pour donner plus de chance de participation à la femme provinciale.

Un avis qui ne fait pas l’unanimité

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Soad Sakari est la première soeur candidate pour la présidence du Parti Liberté et justice.

Or, cet avis ne fait pas l’unanimité chez les soeurs. Selon Azza Al-Garf, ex-députée au Parlement représentant le Parti Liberté et justice et membre de l’assemblée constituante, cela va provoquer une crise. La femme est omniprésente au sein de la confrérie. Quand elle veut s’informer sur un sujet ou donner son avis, tout le monde est à son écoute, du chef de la confrérie au plus jeune membre.Un avis partagé par un leader au sein de la confrérie qui a requis l’anonymat. « Il ne faut surtout pas toucher aux principes de base de la confrérie qui n’est pas prête à tolérer la mixité entre les deux sexes », explique-t-ilMakarim Al-Diri, soeur musulmane qui a rejoint la confrérie dans les années 1960, relate : « Jadis, la communication entre soeurs musulmanes et leaders de la confrérie se faisait par le biais d’un mehrem (mari,père, frère, grand-père ou oncle), généralement le mari. Ces intermédiaires devaient faire partie de la confrérie dans les différentes régionsgéographiques », explique Al-Diri, professeur à l’université, qui s’est présentée sur la liste des Frères musulmans lors des élections parlementaires de 2005. Al-Diri est considérée comme une icône parmi les soeurs musulmanes.

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Dina Zakariya incarne la nouvelle figure moderne des soeurs.

Par contre, au sein du parti, les avis divergent. Il s’agit d’un groupe plus ouvert d’esprit. Dina Zakariya en est un exemple. Membre du comité des relations étrangères au parti, celle-ci a l’habitude de voyager seule pour représenter les Frères musulmans dans les conférences mondiales. Ayant des connaissances approfondies en matière de religion, Zakariya opte pour les interprétations les plus ouvertes de la religion, qui permettent à la femme de s’épanouir, telles que voyager sans mehrem, à condition d’avoir demandé la permission à son mari. Une ouverture d’esprit qui a marqué sa façon de faire de la daawa (prédication). Le mot-clé : rien ne doit arrêter la femme pour s’imposer.
Au rythme de la musique, Dina, qui a fondé depuis une quinzaine d’années la première troupe musicale islamique intitulée Al-Yachmak, tente de faire de la daawa à sa manière. Elle fredonne des vers inspirés des préceptes de la charia avec quatre autres étudiantes à l’Université américaine, tentant ainsi d’atteindre toutes les catégories sociales, notamment de tendance libérale. Elle affirme : « Au parti, on nous demande toujours d’être plus actives. Le rôle de la femme est d’une grande importance pour l’avenir du parti. Mon agenda est constamment surchargé entre les réunions, les conférences internationales et la nouvelle émission que je présente sur la chaîne de télévision Misr 25 ». Donc, au sein du parti, tout est fait pour permettre à la femme de percer. Soad Sakari commente : « Avant le référendum sur le projet de la nouvelle Constitution, j’ai fait le tour de la capitale, je me déplaçais d’un quartier populaire à l’autre, de Sayeda Zeinab à Hélouan en passant par Dar Al-Salam, pour expliquer aux gens les avantages de la nouvelle Constitution ».

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A l'époque de Moubarak, les soeurs étaient écartées du jeu politique pour des raisons de sécurité.

Mais malgré l’importance du rôle accordé à la femme au sein du parti, nombreuses sont celles qui refusent de considérer le rôle des soeurs comme un concurrent à celui des Frères. Il s’agit là d’une entité parallèle qui joue un rôle complémentaire à celui des Frères. « On rejette les critiques émanant de cer-taines ONG dont les intérêts sont étroitement liés à un agenda occidental. Je refuse de suivre aveuglé-ment de tels slogans. J’ai fait des études en littérature anglaise et j’ai eu l’occasion de faire des recherches dans l’histoire et la civilisation européennes. Je sais que la femme occidentale a, elle aussi, été victime de discrimination. Quant à la femme musulmane, ce n’est guère le cas. L’islam l’a toujours considérée comme un partenaire égal à l’homme. Il ne faut donc pas adopter l’expérience l’Occident sans réflexion », ajoute Dina Zakariya.

Une simple propagande

La féministe Nihad Aboul-Qomsane, activiste au Centre égyptien des droits de la femme, pense que l’accès d’une femme à la présidence du Parti Liberté et justice n’est que de la pure propagande de la part des Frères musulmans qui veulent se montrer ouverts d’esprit et prouver qu’ils ne font aucune discrimination envers la femme. L’idéologie de la confrérie et la mentalité qui y règne sont loin de cela. La preuve, selon Aboul-Qomsane : les jeunes de la confrérie ont revendiqué l’année dernière plus de participation de la femme dans la hiérarchie du parti réclamant qu’elle atteigne 25 %. « Cette demande a été rejetée par les leaders de la confrérie qui ont exigé de la femme qui désire occuper un poste-clé une approbation écrite du mari », assure Aboul-Qomsane. D’après elle, les ex-députées représentant le Parti Liberté et justice n’ont abordé aucun sujet concernant les droits de la femme lors de la dernière session parlementaire.

Malgré tout, l’agenda des soeurs musulmanes est différent de celui des activistes féministes laïques sur le terrain, car elles ne revendiquent pas les mêmes droits. « Il vaut mieux coopérer, travailler ensemble que de se rivaliser. Il est vrai que l’on refuse le concept de l’égalité entre les deux sexes, mais on est toutes pour la justice sociale », avance une autre soeur qui a requis l’anonymat. Un ton qui s’accorde avec celui qui circule actuellement au sein de la confrérie. Aujourd’hui, des tentatives visent à retracer le rôle des deux sexes et à donner plus d’importance au courant moderne qui tente de rajeunir l’image de la confrérie octogénaire. D’après Mahmoud Ghazlan, porte-parole des Frères, « l’accès aux postes de responsabilité au sein de la confrérie a des règles qui diffèrent de celles appliquées dans les autres partis politiques et les mouvements religieux. Le choix a lieu suivant un vote où tous les membres sont à la fois candidats et électeurs, mais personne ne présente sa candidature », confie Ghazlan, tout en ajoutant que la confrérie pourrait étudier plus tard la requête des soeurs musulmanes quant à occuper des postes-clés. Une proposition à discuter. « Evidemment, puisque aucun règlement n’interdit à la femme d’accéder au bureau de la guidance ni au bureau consultatif de la confrérie », conclut Sakari. Il reste aux hommes de la confrérie de déterminer le moment opportun.

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