La déclaration faite par le porte-parole du ministère saoudien de la Défense, le 4 février 2016, annonçant la disponibilité de son pays à envoyer des troupes au sol en Syrie pour combattre l’EI, a soulevé une série d’interrogations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région. Pourquoi parlait-il uniquement de la Syrie et pas de l’Iraq ? Le fait qu’une telle annonce est faite uniquement au nom de l’Arabie saoudite et pas de la coalition signifie-t-il que celle-ci n’est plus opérationnelle ? Les manoeuvres militaires communes faites par les forces armées du Royaume et d’autres pays de la région peuvent-elles être considérées comme le prélude à une telle intervention ? Les autorités syriennes et leurs alliés vont-ils rester les bras croisés face à une intervention éventuelle ? Enfin, sommes-nous au seuil d’une grande confrontation militaire régionale, voire internationale ? Bien qu’il soit difficile d’apporter des réponses claires à toutes ces questions, il me semble opportun de mettre la lumière sur quelques points importants.
Tout d’abord, il serait difficile de ne pas faire le lien entre l’évolution de la situation sur le terrain et la position saoudienne. En effet, la vaste offensive militaire lancée par l’armée syrienne, au début du mois de février, avec l’appui de l’aviation russe, était pour quelque chose dans la prise de position saoudienne. Dans ce même contexte on peut parler aussi de l’échec des pourparlers de Genève comme motif immédiat de cette déclaration. En effet, l’Arabie saoudite ne veut pas que le régime d’Al-Assad se renforce au détriment d’une opposition dans laquelle elle a tant investi.
Ensuite, la tension accrue entre Riyad et Téhéran et les multiples déclarations des responsables saoudiens à l’égard du royaume l’accusant d’être le « parrain de l’EI » ont poussé l’Arabie saoudite à manifester ouvertement sa volonté d’affronter l’EI pour éradiquer le fléau du terrorisme dans la région, tout en renvoyant les mêmes accusations à Téhéran.
En outre, le ministre saoudien des Affaires étrangères a révélé, lors d’une conférence de presse récente avec son homologue marocain, que l’idée d’expédier des forces au sol en Syrie a été proposée par les Etats-Unis. Il a souligné le fait que son pays a voulu, seulement, soutenir la proposition des Américains. Cette précision permet de clarifier la position de l’Arabie saoudite, un pays déjà en guerre à ses frontières sud et en état d’alerte face au terrorisme qui le guette. Toutefois, elle nous incite à réfléchir sur les intentions de l’Administration Obama qui semble désormais engagée dans une guerre froide avec la Russie en Europe de l’Est et au Proche-Orient. Il est important de souligner que les déclarations saoudiennes et celles émanant d’autres pays de la région insistent sur le fait que l’envoi éventuel de troupes au sol ou de forces spéciales en Syrie serait sous une direction américaine.
Par ailleurs, l’envoi de toute troupe en Syrie devrait se faire avec l’approbation de la communauté internationale, faute d’avoir l’aval de Damas, ce qui semble difficile dans l’état actuel. En revanche, la situation est tout à fait différente pour les alliés de Damas. La Russie justifie ses raids aériens par la demande du gouvernement légitime du pays, ce qui ne serait pas le cas pour l’Arabie saoudite ou la Turquie. A ce sujet, le ministre syrien des Affaires étrangères a prévenu : « Toute opération terrestre en Syrie lancée sans l’accord du gouvernement syrien serait un acte d’agression … ceux qui y participeront rentreront chez eux dans des cercueils ». Quant à l’Iran, qui soutient activement le régime d’Al-Assad, le chef des gardiens de la Révolution a jugé que les Saoudiens n’étaient pas « suffisamment courageux » pour lancer une telle opération, avant d’ajouter : « Même s’ils envoient des troupes, ils seront totalement vaincus … ce serait un suicide » !
A titre de conclusion, nous pouvons dire que la situation telle qu’elle se présente actuellement ne favorise pas une intervention terrestre d’ampleur en Syrie. Bien qu’elle soit nécessaire pour anéantir l’EI, force est de constater que le combat contre ce dernier est lié à celui entre le régime et les rebelles. Le fait que chaque partie soit soutenue par des puissances externes complique davantage la situation. Les risques d’un affrontement direct entre les puissances actuellement sur le terrain (Russie et Iran) et celles qui envisageraient de s’y rendre (Arabie saoudite et Turquie) sont réels. Si l’hypothèse d’une opération terrestre venait à se réaliser, des alliances risquent de se mettre en place comme pendant les précédentes guerres mondiales. Il ne s’agirait alors plus de combattre l’EI, mais plutôt de redessiner la carte de la région comme ce fut le cas pour l’Europe après ces deux guerres. C’est le dilemme que les pays du Golfe et le monde arabe doivent s’atteler à résoudre
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