Dahchour.
Théâtre d’incidents confessionnels ayant fait un mort et des
dizaines de blessés, ce petit village du gouvernorat de
Guiza vit aujourd’hui dans la
peur. Malgré un calme apparent, les relations entre coptes
et musulmans restent tendues.
Le feu couve sous les cendres
« En
quittant ma maison, je sentais que j’avais perdu mon honneur
et ma dignité, et en rentrant, c’était comme une nouvelle
naissance pour moi ». C’est en ces simples mots
que Adli
décrit son sentiment lorsqu’il a été obligé, comme beaucoup
d’autres coptes, à quitter son village pour fuir les
violences confessionnelles qui ont éclaté suite à une
altercation entre un repasseur copte et un client musulman
au sujet d’une chemise brûlée à
Dahchour, petit village du gouvernorat de
Guiza, à 40 km au sud du Caire.
L’incident, à première vue banal, a dégénéré en bagarre
généralisée entre coptes et musulmans. Bilan : un mort et
plusieurs dizaines de blessés. Environ 120 familles coptes
ont dû fuir leurs maisons pour éviter les violences. « Une
dispute, cela arrive tous les jours, mais cette fois-ci, les
choses ont pris une tournure différente, car les principaux
protagonistes étaient une famille copte et une autre
musulmane », commente Ghali, commerçant copte. Et
d’ajouter : « Lorsque nous sommes rentrés, nous avons
constaté que nos maisons avaient été volées et détruites ! ».
Depuis qu’il est rentré, Ghali est assis devant le seuil de
sa maison transformée en ruine. La porte de la maison a été
forcée. A l’intérieur, il est difficile de fouler le sol en
raison du grand désordre. Tout a été dévasté.
L’électroménager, les vêtements et les ustensiles de cuisine
ont disparu. Ghali, voisin et ami de la victime, ne cache
pas sa compassion envers la famille de ce dernier, surtout
que sa mort était terrible. Un cocktail
molotov a été jeté sur lui, il a été brûlé et a péri
en l’espace de quelques minutes. « Il m’attendait souvent
lorsque je rentrais avec mon lourd panier plein de
marchandises, pour le porter à ma place et le ramener
jusqu’à chez moi, il était comme mon fils »,
affirme Ghali, en parlant du jeune
Moaaz, la victime. En fait, tous les habitants,
coptes ou musulmans, parlent le même langage. Chaque clan
affirme son amour et son respect pour l’autre et prétend ne
pas comprendre le pourquoi de ces incidents. Comment une
simple bagarre entre un repasseur et un client sur une
chemise brûlée peut-elle dégénérer en conflit
interconfessionnel ? Mais un regard plus approfondi nous
montre que ce que les gens disent à haute voix n’a rien à
avoir avec ce qu’ils pensent à l’intérieur d’eux-mêmes.
A Dahchour, les camions de la
sécurité centrale sont stationnés à l’entrée du village. Il
n’est pas difficile de distinguer les maisons des coptes.
Elles sont soit grandes ouvertes et leurs habitants révoltés
à cause de leurs pertes, soit fermées, car leurs habitants
ont peur de revenir. La seule église du village est soumise
au contrôle vigoureux de la police. L’église tente de
rassurer les coptes en reprenant les messes et les prières.
Mais certains habitants organisent de petites manifestations
criant à venger la mort du jeune musulman tué. « J’étais
effrayée en rentrant chez moi. Jusqu’à maintenant, nous
n’arrivons pas à dormir, les enfants et moi », avoue
Hanane Saad. Cette jeune maman, qui est rentrée au village
après l’avoir quitté suite aux événements, affirme que la
situation était dangereuse et qu’elle s’attendait à des
réactions violentes de la part de la famille du jeune
musulman mort contre celle du tueur chrétien. Comme beaucoup
d’autres coptes, Hanane a trouvé sa maison saccagée. Elle
était au courant avant de rentrer, car elle n’a pas perdu
contact avec ses voisins musulmans qu’elle considère comme
des proches parents, elle, qui vit loin des siens et qui est
veuve avec 2 enfants. « Je me sens en sécurité avec eux
maintenant, mais mes enfants ont peur et ne comprennent pas
pourquoi nous avons été obligés de fuir et de revenir pour
trouver la maison dans cet état lamentable », lance
Hanane. En fait, une cinquantaine de maisons ont été
dévastées après le départ des habitants coptes. Les récits
que l’on entend sont variés, mais une chose est sûre : aucun
des scénarios racontés n’est certain. Tantôt c’est la
famille de Moaaz qui, par
représailles, a procédé à des vols et des destructions
massifs, tantôt ce sont les habitants des villages voisins
qui se sont mêlés à la grogne et sont venus pour piller les
maisons.
Si Hanane a quitté sa maison en suivant le conseil de ses
voisins, les autres chrétiens sont partis sur recommandation
de la police ou de l’église. « Ils voulaient éviter
d’autres éventuelles confrontations, surtout qu’après
l’enterrement de Moaaz, des
milliers de musulmans sont descendus dans les rues appelant
à incendier les églises et à attaquer les maisons des
chrétiens », se rappelle Adli.
Et d’ajouter : « Certains sont allés chez leurs cousins
dans les autres villages, d’autres ont opté pour les
couvents. Il ne s’agissait pas d’une expulsion comme les
médias ont tendance à dire parfois, mais c’était plutôt une
fuite obligatoire. Le bureau de l’archevêque de
Guiza a bien décrit la situation
lorsqu’il a dit que des familles chrétiennes ont fui
Dahchour à défaut de sécurité ».
Aujourd’hui,
le calme est revenu à Dahchour
après de longs jours de tension et d’affrontements. La
majorité des coptes ont regagné leurs maisons. Cependant, la
peur est omniprésente et les sourires des gens cachent mal
leur malaise. Il suffit pour le percevoir de se balader dans
les rues étroites du village où sont accrochés les slogans
du parti salafiste Al-Nour,
et ceux du Parti Liberté et justice des Frères musulmans,
ainsi que des centaines de photos de Mohamad
Morsi. Bien que musulmans et
coptes soient d’accord que le repasseur et sa famille
avaient une mauvaise réputation et qu’ils étaient détestés
par tout le monde, l’incident met en avant les sentiments de
malaise et de haine éprouvés par les deux communautés. « Ce
malaise existe depuis la montée en force des islamistes sur
la scène politique. Les discours et les prêches incitent à
la haine et à la discrimination religieuse contre les coptes »,
affirme Ghali. Il ne nie pas cependant qu’il existe de
bonnes relations entre coptes et musulmans. De son côté,
Gamal Ahmad, enseignant, affirme que depuis quelque temps,
les chrétiens s’isolent et évitent les musulmans. « Cette
situation existe depuis l’arrivée au village du dernier
prêtre de l’église il y a quelques années », dit-il. Un
avis partagé par l’ensemble des musulmans. Certains coptes
ne le nient pas, mais ne l’affirment pas non plus.
Adli affirme que les dernières
élections législatives et présidentielles ont rendu la
situation plus critique. « Les coptes qui craignent
l’arrivée des islamistes au pouvoir n’ont pas choisi
Morsi, et ceci a élargi la
fissure qui existait déjà entre les habitants du village »,
explique Adli. Et de
s’interroger : « C’est vrai qu’un jeune musulman est mort
par les mains d’un repasseur chrétien, mais quel rapport
cela a-t-il avec les autres chrétiens pour qu’ils soient
obligés de fuir leur village et que leurs maisons soient
saccagées ? ». Cela prouve, selon lui, que les
événements de Dahchour vont bien
au-delà d’une simple querelle entre un repasseur et un
client. « Nous sommes dans une société en ébullition.
Nous connaissons depuis des années une crise
interconfessionnelle entre chrétiens et musulmans qui
gagnera sans doute en ampleur, car rien ne change et le
problème n’est pas réglé à la base », souligne-t-il.
Avant Dahchour, des incidents
interconfessionnels avaient eu lieu dans d’autres régions,
comme à Imbaba ou à Maspero. La façon de traiter le problème
n’a pas changé, à savoir une réaction tardive et lente de la
part des responsables. Ainsi, le président de la République
a attendu des jours avant de faire des déclarations
coutumières sur les événements de
Dahchour sans se donner la peine de se rendre au
village. C’est la coutume qui est toujours la solution à ce
genre de conflit, mais jamais la loi. Des comités de
réconciliation sont formés, mais on n’a jamais entendu
parler de résultats palpables et jamais les vérités n’ont
été dévoilées. « Que de calmants inutiles ! Il importe
peu aux gens d’écouter un cheikh ou un prêtre qui les
sollicite de se calmer et de vivre en paix », affirme
l’analyste et chercheur Amr ElShobaky.
D’après lui, les incidents de Dahchour
ne seront pas les derniers, car il faut trouver des
solutions profondes au problème. « Et ce ne sera pas le
cas si l’impunité continue et si on évite l’application
stricte de la loi », lance
ElShobaky.
« Les
familles coptes sont certes rentrées chez elles, mais elles
n’ont plus le même état d’esprit. Quelque chose s’est
brisée, on n’a pas envie de réparer les maisons, on n’est
pas content de l’indemnité d’un montant de 10 000 L.E. que
l’Etat a offerte à chacun de nous. Non seulement parce
qu’elle n’est pas suffisante, mais aussi parce que ce n’est
pas une solution de casser puis de payer. Il y a des choses
qui sont irréparables, une fois brisées », pense
Nagla Sami. Et de préciser que
cette fois-ci, coptes et musulmans doivent chercher à
connaître les mains qui se cachent derrière ce genre
d’incidents à travers une vraie enquête, au terme de
laquelle le coupable sera puni, peu importe qu’il soit
chrétien ou musulman. « Nous devons tous être égaux
devant la loi et éviter à tout prix l’impunité. Il faut
faire prévaloir le principe de la citoyenneté »,
conclut-elle.
Hanaa
Al-Mekkawi