Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Le feu couve sous les cendres

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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 29 août au 4 septembre 2012, numéro 937

 

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Nulle part ailleurs

Dahchour. Théâtre d’incidents confessionnels ayant fait un mort et des dizaines de blessés, ce petit village du gouvernorat de Guiza vit aujourd’hui dans la peur. Malgré un calme apparent, les relations entre coptes et musulmans restent tendues.

 

Le feu couve sous les cendres

 

« En quittant ma maison, je sentais que j’avais perdu mon honneur et ma dignité, et en rentrant, c’était comme une nouvelle naissance pour moi ». C’est en ces simples mots que Adli décrit son sentiment lorsqu’il a été obligé, comme beaucoup d’autres coptes, à quitter son village pour fuir les violences confessionnelles qui ont éclaté suite à une altercation entre un repasseur copte et un client musulman au sujet d’une chemise brûlée à Dahchour, petit village du gouvernorat de Guiza, à 40 km au sud du Caire. L’incident, à première vue banal, a dégénéré en bagarre généralisée entre coptes et musulmans. Bilan : un mort et plusieurs dizaines de blessés. Environ 120 familles coptes ont dû fuir leurs maisons pour éviter les violences. « Une dispute, cela arrive tous les jours, mais cette fois-ci, les choses ont pris une tournure différente, car les principaux protagonistes étaient une famille copte et une autre musulmane », commente Ghali, commerçant copte. Et d’ajouter : « Lorsque nous sommes rentrés, nous avons constaté que nos maisons avaient été volées et détruites ! ». Depuis qu’il est rentré, Ghali est assis devant le seuil de sa maison transformée en ruine. La porte de la maison a été forcée. A l’intérieur, il est difficile de fouler le sol en raison du grand désordre. Tout a été dévasté. L’électroménager, les vêtements et les ustensiles de cuisine ont disparu. Ghali, voisin et ami de la victime, ne cache pas sa compassion envers la famille de ce dernier, surtout que sa mort était terrible. Un cocktail molotov a été jeté sur lui, il a été brûlé et a péri en l’espace de quelques minutes. « Il m’attendait souvent lorsque je rentrais avec mon lourd panier plein de marchandises, pour le porter à ma place et le ramener jusqu’à chez moi, il était comme mon fils », affirme Ghali, en parlant du jeune Moaaz, la victime. En fait, tous les habitants, coptes ou musulmans, parlent le même langage. Chaque clan affirme son amour et son respect pour l’autre et prétend ne pas comprendre le pourquoi de ces incidents. Comment une simple bagarre entre un repasseur et un client sur une chemise brûlée peut-elle dégénérer en conflit interconfessionnel ? Mais un regard plus approfondi nous montre que ce que les gens disent à haute voix n’a rien à avoir avec ce qu’ils pensent à l’intérieur d’eux-mêmes.

A Dahchour, les camions de la sécurité centrale sont stationnés à l’entrée du village. Il n’est pas difficile de distinguer les maisons des coptes. Elles sont soit grandes ouvertes et leurs habitants révoltés à cause de leurs pertes, soit fermées, car leurs habitants ont peur de revenir. La seule église du village est soumise au contrôle vigoureux de la police. L’église tente de rassurer les coptes en reprenant les messes et les prières. Mais certains habitants organisent de petites manifestations criant à venger la mort du jeune musulman tué. « J’étais effrayée en rentrant chez moi. Jusqu’à maintenant, nous n’arrivons pas à dormir, les enfants et moi », avoue Hanane Saad. Cette jeune maman, qui est rentrée au village après l’avoir quitté suite aux événements, affirme que la situation était dangereuse et qu’elle s’attendait à des réactions violentes de la part de la famille du jeune musulman mort contre celle du tueur chrétien. Comme beaucoup d’autres coptes, Hanane a trouvé sa maison saccagée. Elle était au courant avant de rentrer, car elle n’a pas perdu contact avec ses voisins musulmans qu’elle considère comme des proches parents, elle, qui vit loin des siens et qui est veuve avec 2 enfants. « Je me sens en sécurité avec eux maintenant, mais mes enfants ont peur et ne comprennent pas pourquoi nous avons été obligés de fuir et de revenir pour trouver la maison dans cet état lamentable », lance Hanane. En fait, une cinquantaine de maisons ont été dévastées après le départ des habitants coptes. Les récits que l’on entend sont variés, mais une chose est sûre : aucun des scénarios racontés n’est certain. Tantôt c’est la famille de Moaaz qui, par représailles, a procédé à des vols et des destructions massifs, tantôt ce sont les habitants des villages voisins qui se sont mêlés à la grogne et sont venus pour piller les maisons.

Si Hanane a quitté sa maison en suivant le conseil de ses voisins, les autres chrétiens sont partis sur recommandation de la police ou de l’église. « Ils voulaient éviter d’autres éventuelles confrontations, surtout qu’après l’enterrement de Moaaz, des milliers de musulmans sont descendus dans les rues appelant à incendier les églises et à attaquer les maisons des chrétiens », se rappelle Adli. Et d’ajouter : « Certains sont allés chez leurs cousins dans les autres villages, d’autres ont opté pour les couvents. Il ne s’agissait pas d’une expulsion comme les médias ont tendance à dire parfois, mais c’était plutôt une fuite obligatoire. Le bureau de l’archevêque de Guiza a bien décrit la situation lorsqu’il a dit que des familles chrétiennes ont fui Dahchour à défaut de sécurité ».

Aujourd’hui, le calme est revenu à Dahchour après de longs jours de tension et d’affrontements. La majorité des coptes ont regagné leurs maisons. Cependant, la peur est omniprésente et les sourires des gens cachent mal leur malaise. Il suffit pour le percevoir de se balader dans les rues étroites du village où sont accrochés les slogans du parti salafiste Al-Nour, et ceux du Parti Liberté et justice des Frères musulmans, ainsi que des centaines de photos de Mohamad Morsi. Bien que musulmans et coptes soient d’accord que le repasseur et sa famille avaient une mauvaise réputation et qu’ils étaient détestés par tout le monde, l’incident met en avant les sentiments de malaise et de haine éprouvés par les deux communautés. « Ce malaise existe depuis la montée en force des islamistes sur la scène politique. Les discours et les prêches incitent à la haine et à la discrimination religieuse contre les coptes », affirme Ghali. Il ne nie pas cependant qu’il existe de bonnes relations entre coptes et musulmans. De son côté, Gamal Ahmad, enseignant, affirme que depuis quelque temps, les chrétiens s’isolent et évitent les musulmans. « Cette situation existe depuis l’arrivée au village du dernier prêtre de l’église il y a quelques années », dit-il. Un avis partagé par l’ensemble des musulmans. Certains coptes ne le nient pas, mais ne l’affirment pas non plus. Adli affirme que les dernières élections législatives et présidentielles ont rendu la situation plus critique. « Les coptes qui craignent l’arrivée des islamistes au pouvoir n’ont pas choisi Morsi, et ceci a élargi la fissure qui existait déjà entre les habitants du village », explique Adli. Et de s’interroger : « C’est vrai qu’un jeune musulman est mort par les mains d’un repasseur chrétien, mais quel rapport cela a-t-il avec les autres chrétiens pour qu’ils soient obligés de fuir leur village et que leurs maisons soient saccagées ? ». Cela prouve, selon lui, que les événements de Dahchour vont bien au-delà d’une simple querelle entre un repasseur et un client. « Nous sommes dans une société en ébullition. Nous connaissons depuis des années une crise interconfessionnelle entre chrétiens et musulmans qui gagnera sans doute en ampleur, car rien ne change et le problème n’est pas réglé à la base », souligne-t-il.

Avant Dahchour, des incidents interconfessionnels avaient eu lieu dans d’autres régions, comme à Imbaba ou à Maspero. La façon de traiter le problème n’a pas changé, à savoir une réaction tardive et lente de la part des responsables. Ainsi, le président de la République a attendu des jours avant de faire des déclarations coutumières sur les événements de Dahchour sans se donner la peine de se rendre au village. C’est la coutume qui est toujours la solution à ce genre de conflit, mais jamais la loi. Des comités de réconciliation sont formés, mais on n’a jamais entendu parler de résultats palpables et jamais les vérités n’ont été dévoilées. « Que de calmants inutiles ! Il importe peu aux gens d’écouter un cheikh ou un prêtre qui les sollicite de se calmer et de vivre en paix », affirme l’analyste et chercheur Amr ElShobaky. D’après lui, les incidents de Dahchour ne seront pas les derniers, car il faut trouver des solutions profondes au problème. « Et ce ne sera pas le cas si l’impunité continue et si on évite l’application stricte de la loi », lance ElShobaky.

« Les familles coptes sont certes rentrées chez elles, mais elles n’ont plus le même état d’esprit. Quelque chose s’est brisée, on n’a pas envie de réparer les maisons, on n’est pas content de l’indemnité d’un montant de 10 000 L.E. que l’Etat a offerte à chacun de nous. Non seulement parce qu’elle n’est pas suffisante, mais aussi parce que ce n’est pas une solution de casser puis de payer. Il y a des choses qui sont irréparables, une fois brisées », pense Nagla Sami. Et de préciser que cette fois-ci, coptes et musulmans doivent chercher à connaître les mains qui se cachent derrière ce genre d’incidents à travers une vraie enquête, au terme de laquelle le coupable sera puni, peu importe qu’il soit chrétien ou musulman. « Nous devons tous être égaux devant la loi et éviter à tout prix l’impunité. Il faut faire prévaloir le principe de la citoyenneté », conclut-elle.

Hanaa Al-Mekkawi

 




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