Presse.
La détention d’Islam Afifi,
rédacteur en chef du quotidien indépendant Al-Dostour,
soulève un tollé dans les milieux journalistiques et parmi
les défenseurs des libertés publiques. Sa libération par le
président Mohamad Morsi ne
serait que « de la poudre aux yeux ».
Une question de liberté
La
première détention d’un journaliste depuis la chute du
régime de Moubarak ravive la grogne des journalistes. Accusé
de diffamation à l’égard du président de la République et
d’incitation aux troubles, Islam Afifi,
rédacteur en chef du quotidien Al-Dostour,
a été placé jeudi en détention préventive jusqu’à la
prochaine audience de son procès, prévue le 16 septembre.
Selon l’acte d’accusation, Afifi
est accusé de diffusion de « fausses nouvelles de nature
à perturber l’ordre public » après avoir signé une série
d’articles où il affirmait que l’élection présidentielle
avait été falsifiée pour le compte du président Mohamad
Morsi et que des terrains de la
péninsule du Sinaï avaient été vendus à des Palestiniens.
De son côté, Afifi a dénoncé un
procès « politique », affirmant que les plaintes
déposées contre lui faisaient partie du règlement de comptes
avec les opposants du nouveau régime au pouvoir. « Ce
procès est un véritable test pour l’une des revendications
essentielles de la révolution du 25 janvier, celle de la
liberté d’expression », affirme le journaliste.
Ce même jeudi 23 août, le président Mohamad
Morsi a usé pour la première
fois de son pouvoir législatif pour promulguer un décret
ayant valeur de loi, annulant la détention préventive pour
les délits de presse. Afifi a pu
retrouver sa liberté en vertu de ce décret.
Le porte-parole de la présidence de la République, Yasser
Ali, s’est félicité du décret présidentiel, tout en rejetant
les accusations selon lesquelles le nouveau pouvoir serait
hostile à la liberté d’expression. « La révision de
l’ensemble des législations liberticides accablant la presse
sera le rôle du nouveau Parlement », a promis le
porte-parole.
Annoncé comme un triomphe pour la liberté de la presse, le
décret présidentiel a toutefois été considéré comme de « la
poudre aux yeux » par les journalistes et les défenseurs
de la liberté d’expression.
Amnesty International
a dénoncé le régime des Frères musulmans pour ses positions
hostiles à la liberté d’expression. Dans un communiqué,
l’organisation a qualifié l’arrestation d’Islam
Afifi d’un retour inadmissible à
la répression des libertés pratiquée sous le régime déchu de
Hosni Moubarak. « Ces exercices liberticides doivent
s’arrêter immédiatement », a ajouté le communiqué.
Pour Hafez Abou-Seada, président
de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, le
décret du président n’a apporté rien de nouveau, puisque
déjà la détention préventive pour les délits de publication
a été annulée en 2006. « Ce décret présidentiel n’a donc
annulé que l’exception qui concerne l’outrage du président
de la République », précise Abou-Seada.
Les déclarations de la présidence semblent donc être loin de
rassurer les journalistes qui restent sceptiques quant aux
intentions du nouveau pouvoir. Ils appellent à une
mobilisation générale pour faire avorter toute tentative de
réduire leur marge de liberté déjà restreinte.
« Le décret présidentiel ne vise qu’à rassurer l’opinion
publique, mais ne reflète pas de volonté sincère de libérer
la presse des lois qui l’accablent », estime
Yéhia
Qallach, ancien secrétaire général du syndicat des
Journalistes. « Le nouveau régime au pouvoir reste sourd
aux appels des journalistes qui veulent l’annulation totale
des peines de prison pour les délits de publication. Hélas,
après une révolution, la presse reste captive des lois
héritées de l’époque despotique de Moubarak », ajoute
Qallach.
Beaucoup de journalistes souhaitent que le procès d’Afifi
soit le déclencheur d’une nouvelle campagne à l’instar de
celle qu’ils ont menée en 1995. Cette année-là, ils ont fait
front commun et réussi à tuer dans l’œuf la fameuse loi 93
qui renforçait les peines contre les délits de publication.
« La lutte se poursuivra parce que la situation actuelle
n’est pas moins grave que celle qui prévalait en 1995 »,
prévient Qallach, en appelant le
syndicat à tenir une assemblée générale urgente pour « étudier
les moyens de faire face à la volonté des islamistes de
dominer la presse, un dessein qui se concrétise de jour en
jour ».
Si les journalistes ne nient pas l’existence de dérives
professionnelles, ils ne croient pas que le remède serait de
les mettre en prison. Pour Qallach,
il vaut mieux s’attaquer au fond du problème et non pas aux
symptômes. « Avant de juger les journalistes, il faut
revoir l’arsenal des lois qui les empêchent d’exercer leur
métier de manière professionnelle. On ne peut pas les
accuser par exemple de diffuser des informations
mensongères, alors qu’ils n’ont pas accès à l’information et
que l’atmosphère politique manque de transparence »,
conclut-il.
Noha
Ayman et May Al-Maghrabi