Sinaï. L'attentat de Rafah a fait tomber des têtes dont le chef
du service de renseignements, Mourad Mouafi, et le
gouverneur du Sinaï, Abdel-Wahab Mabrouk. Les deux
responsables ont occupé leur poste sous Moubarak.
Les premières
décisions du président
Leur sort se croise bizarrement. Lorsque Moubarak, en
pleine contestation contre son régime, décide de nommer le 30 janvier un
vice-président pour la première fois depuis 30 ans, Omar Soliman, le confident
du raïs, est remplacé par Mourad Mouafi à la tête des
renseignements. A l’époque, il était gouverneur du Nord-Sinaï. Pour sa
succession, Moubarak fait appel au chef des forces des gardes-frontières Abdel-Wahab Mabrouk.
A l’issue de l’attentat de Rafah, une réunion de 5 heures
a réuni le président Mohamad Morsi avec les membres
du Conseil de la défense nationale. De grosses têtes tombent lors de cette
première réunion. Le commandant de la police militaire, le chef de la Garde
républicaine, le directeur de la sécurité au Caire, le commandant de la
sécurité centrale et le chef de la police présidentielle, mais Mouafi et Mabrouk sont en tête de liste. Pour cause
l’attaque terroriste contre un poste-frontière militaire à Rafah, lors de
laquelle 16 soldats ont trouvé la mort.
Après l’attaque de Rafah, Mouafi,
chef de renseignements, a fait des déclarations qui ont suscité une grande
polémique. Il affirme à l’agence de presse d’Anatolie que ses services avaient
reçu des informations précises sur l’attaque, et qu’il les
avaient transmises « aux autorités compétentes ». Plus
tard, il défend son service, en affirmant, dans un communiqué, que son rôle se
limite à la « collecte d’informations. Ce n’est pas une autorité de
combat ou un service exécutif ». La présidence nie avoir reçu
quelconque information, ce qui met l’armée dans le collimateur.
Architecte de la
réconciliation palestinienne
Agé de 61 ans,
le général Mourad Mouafi dirige le service de
renseignements après des années de règne du très influent Omar Soliman, décédé
en juillet. Il a géré ce service dans un moment très délicat, une période
transitoire. Il est arrivé au sommet, dit-on, « grâce à une mémoire
prodigieuse et à une habile compréhension des réalités du pouvoir ».
En 18 mois, il devient l’un des hommes les plus importants d’Egypte. Il a
atterri aux renseignements militaires après une longue carrière militaire. Il a
ainsi été chef d’état-major de la deuxième armée de terre, puis commandant de
la zone militaire de l’ouest. Mouafi est surnommé
« architecte de la réconciliation palestinienne », signée par
les factions palestiniennes au Caire en mai 2011. C’est « l’homme fort
qui travaille dans les coulisses », comme l’a décrit le journal
israélien Yediot Aharonot. Cet agent de
l’ombre a joué un rôle-clé dans l’accord d’échange de prisonniers entre le
Mouvement de résistance palestinienne et Israël, qui incluait la libération de
1 027 prisonniers palestiniens, à l’encontre de la libération du soldat
israélien Guilad Shalit,
ainsi que la libération de 27 prisonniers égyptiens en Israël en échange de la
libération de l’espion américo-israélien Ilan Gerabil. Pourtant, on n’a jamais entendu parler de ce
médiateur politique, rarement apparu à la télévision, en comparaison avec
Soliman, qui, malgré les multiples attentats terroristes qui sont survenus
durant son mandat de 18 ans, notamment dans le Sinaï, a été maintenu en poste
devenant même le plus proche du président.
Mouafi est pour l’instant remplacé par Raafat
Chéhata, qui est nommé chef de renseignements par
intérim. Il était chargé du dossier palestinien dans le service de
renseignements. Chéhata a également joué un rôle de
médiateur dans la réalisation de l’échange de prisonniers contre Shalit. D’ailleurs, sa seule photo le montre tenant le bras
de ce dernier.
Il avait
dirigé la délégation égyptienne de sécurité qui a visité la bande de Gaza en
2005 et 2006, et avait obtenu du président palestinien Mahmoud Abbas « l’Ordre
de Jérusalem », en reconnaissance de ses efforts au service du peuple
palestinien. Mais il a déjà dépassé l’âge de la retraite. Il a été reconduit
pour un an par le Conseil militaire l’an dernier lors de la période de
transition.
Un gouverneur mal apprécié
Le successeur
de Mouafi dans le Sinaï il y a un an et demi vient de
perdre son poste également le même jour que Mouafi.
Abdel-Wahab Mabrouk, comme son prédécesseur, n’était
pas vraiment apprécié par les habitants qui ont remis une lettre à la
présidence il y a une vingtaine de jours réclamant son limogeage. En dix ans,
le Nord-Sinaï a été géré par 5 gouverneurs. Militaire, comme c’est d’ailleurs
le cas de tous les gouverneurs des régions frontalières, Mabrouk est un général
d’état-major et était le commandant des gardes-frontières. Après la chute de
Moubarak, il parvient à garder son poste sous les premiers ministres Essam Charaf et Kamal Al-Ganzouri, malgré les multiples attaques contre des postes
de police et les douzaines d’explosions du gazoduc qui alimente Israël et la
Jordanie. Pourtant, à chaque fois, Mabrouk ne cesse de confirmer que « le
Sinaï est sûr, sécurisé et bien contrôlé de notre côté. Toute infiltration de
la part des tunnels est immédiatement interceptée ». Une semaine avant
les attaques, Mabrouk a nié catégoriquement l’existence de groupes djihadistes ou d’Al-Qaëda,
ou des camps pour leur entraînement dans le nord du Sinaï. Même après la
diffusion d’une vidéo d’un groupe nommé « les partisans de Jérusalem »
se revendiquant l’explosion du gazoduc, le gouverneur a affirmé n’avoir jamais
entendu parler de ce groupe.
Aujourd’hui, la démission de
Mabrouk a été bien accueillie par les habitants et par une vingtaine de partis
et mouvements politiques qui estiment que le gouvernorat a témoigné d’une dégradation
dans la sécurité, les services et les infrastructures.
Son successeur n’a pas encore été
nommé. Il sera sans doute une personnalité militaire en service ou retraité. La
nomination de nouveaux gouverneurs devrait d’ailleurs intervenir dans une dizaine
de jours selon des sources. Mais ce qui est réclamé aujourd’hui par les forces
révolutionnaires c’est un « jugement » de tous ces
responsables accusés de négligence dans les événements de Rafah.
Héba Nasreddine