Directeur artistique à Al-Shorouk, dessinateur de presse, illustrateur et écrivain, Walid Taher a su rester un homme simple. Son recueil Horra (libre), paru récemment, propose un ensemble de caricatures sur la situation sociopolitique de l’Egypte, avant, pendant et après la révolution.

 

Ici ... et ailleurs

 

Tout passe par son crayon. Des « historiettes », des caricatures, des illustrations et parfois même une chanson comme Al-Sour (le mur) qui a fait un tabac malgré sa diffusion uniquement sur la toile (Elle tourne en dérision le mur de séparation bâti par l’armée au centre-ville du Caire). Walid Taher est à l’image de ses œuvres écrites ou dessinées. Dessinateur de presse et auteur pour enfants, il relie à la fois sagesse et dérision, simplicité et profondeur. Disciple de l’école allemande Bauhaus, il supprime ce qui est moins important en faveur de ce qui est plus important, prônant son concept : « Less is more ».

« Je ne me présente pas en tant que caricaturiste, mais plutôt en dessinateur de presse, c’est plus général », souligne Walid Taher, sans hésiter de souligner que c’était là la première leçon qu’il avait apprise à la revue Sabah Al-Kheir. « En 1990, j’ai été encore étudiant à la faculté des beaux-arts lorsque mon professeur Nagui Chaker m’a suggéré d’aller à la revue Sabah Al-Kheir, laquelle demandait des dessinateurs. J’y suis allé pour découvrir le monde des grands dessinateurs tels Ihab Chaker, Abdel-Aal, Tad, Al-Labad, etc. », raconte-t-il. Et d’ajouter : « Illustrer une histoire, dessiner un portrait ou même dessiner pour la page sport, etc. Telles étaient les conditions requises pour travailler comme dessinateur de presse à Sabah Al-Kheir ». Une diversité de tâches et une richesse de matières qui ont développé et affirmé ses talents d’artiste.

Né dans une famille qui apprécie l’art, le père étant architecte et la mère diplômée de la faculté de pédagogie artistique, Taher n’a jamais eu à affronter l’opposition de ses parents comme c’est le cas au sein de certaines familles, lorsque leurs enfants décident de faire beaux-arts. « La seule chose que je regrette c’est le fait d’être influencé par l’opinion d’un ami qui m’a poussé à m’inscrire à la section décor, au lieu de la section peinture, sous prétexte qu’elle me permettra de mieux gagner ma vie. Du coup, je suis allé m’inscrire en décor, pour me retrouver littéralement dans la merde : dessiner l’entrée d’une usine à Suez, des pompes pour un bâtiment ! », dit-il sur un ton humoristique, tenant toujours son crayon à la main et gribouillant sur une feuille blanche. « Je me recherchais durant les deux dernières années, pendant lesquelles on travaillait sur le décor de théâtre et de télévision. Et, j’ai choisi comme projet de fin d’étude : les marionnettes ». Un monde où l’impossible est possible et où le bonheur est accessible.

En effet, Taher a admiré ce monde dans sa totalité. Ainsi, il a décidé d’en franchir le seuil. Ecrire pour enfants n’est-il pas une autre discipline, un art à part entière ? « Les dessinateurs de Sabah Al-Kheir avaient le mérite d’être excellents en tout, sans mettre des barrières entre les différentes techniques ou tendances. C’est ce que j’ai appris avec eux. Partant d’une perspective politique, ces grands dessinateurs étaient conscients de leurs rôles vis-à-vis d’un public fait de gosses. Et comme ils savaient très bien qu’ils exerçaient un effet beaucoup plus important sur les petits, ils leur prêtaient une attention particulière. Les grands ont l’esprit déjà saturé et luttent toujours contre tout changement. Par contre, les enfants sont curieux et prêts à apprendre ». Taher rejette complètement le fait d’établir une certaine classification d’idées, en disant que celle-ci convient aux adultes et celle-là aux enfants. « J’ai découvert que les idées sont toujours les mêmes. Mais la question est de savoir comment communiquer une idée donnée, comment choisir le lexique adéquat. A titre d’exemple, le conte de Cendrillon ne ressemble-t-il pas à Love Story ? ».

D’ailleurs, l’idée de son conte Al-Noqta al-sawdaa (le point noir), publié en 2010, était au début destinée aux adultes. « L’idée m’a traversé l’esprit en suivant les nouvelles sur la guerre de Gaza en 2008. J’ai pensé alors au fait qu’Israël est trop petit, pourtant il cause beaucoup de problèmes pour toute une région ». A force de travailler dessus, Walid Taher décide de la consacrer aux enfants. Trouver une solution, une issue à tout problème doit être l’objectif principal des hommes … Une solution facile ou difficile ? Peu importe, il faut que ce soit une solution, telle est la morale de l’histoire qui a fait que le livre a remporté, en 2011, le prix Etisalat décerné par le Conseil émirati pour les livres des jeunes. Dans ce conte, ce point noir est apparu dans le ciel, a caché le soleil et a fait réduire le jardin des enfants. Le point noir est le symbole de tout obstacle entravant notre vie. A la première page, un remerciement est fait à ses deux enfants Sélim et Omar. « Cela est dans le but de les taquiner, car ils voyaient que ce conte est stupide », sourit-il.

Auteur de plusieurs contes et livres pour enfants dont la série Fizo, Horoufy al-gamila (mes belles lettres alphabétiques), et autres, Taher affirme que les livres égyptiens pour enfants ont beaucoup évolué. Pourtant, les revues pour enfants ont connu une véritable régression. Lancer le projet d’une revue pour enfants exige un budget important, ou bien la mentalité des enfants a changé et on se montre incapable de la comprendre ? « C’est possible. Mais, je pense que le problème des revues destinées aux enfants est surtout économique. Pour que la revue soit attirante, il faut lui consacrer un budget important, et pour qu’elle soit à la portée de tous, il faut qu’elle atteigne certains chiffres de distribution. Et là, on se retrouve face à une situation critique : vu la situation économique précaire, ce genre de revues est acheté par un public très réduit. Appartenant surtout aux classes aisées, ce public quitte les revues égyptiennes pour passer à d’autres genres de loisirs tels Internet ou même les revues importées ». Résultat : une quasi-absence de cette revue — compagnon qui forge la mentalité des enfants tout en puisant dans les sources identitaires. Aucune revue n’a réussi à s’imposer à l’instar de Magued, une revue émiratie qui a influencé presque la majorité de la génération arabe des années 1970 et 1980. « Le succès fou de cette revue est justifié par le fait qu’elle avait un goût égyptien, étant donné que la plupart qui y travaillent étaient des Egyptiens ».

Taher est condamné à vivre ailleurs, de planer dans un monde imaginaire sous l’effet de son amour pour le monde juvénile qu’il s’approprie. « J’adore la caricature aussi. Elle me permet de suivre les problèmes de tous les jours et de me rapprocher des gens. Cela influence par conséquent ma façon de voir les choses et de penser ».

Al-Sour (le mur) n’était à l’origine qu’un petit poème publié sur la page Darbet chams au journal Al-Dostour, puis il est sorti en 2008 dans son recueil Habbet hawa (un peu d’air). A travers ses quelques vers, Taher reflète l’image d’un pauvre homme qui a décidé de pisser sur le mur construit dans la rue ainsi que sur celui qui l’a construit … Tournées en une vidéoclip interprétée par Yousra Al-Harraoui et diffusée uniquement sur Internet, ces paroles ont connu un succès fou, surtout que sa diffusion coïncide avec les événements de Mohamad Mahmoud (la rue conduisant au ministère de l’Intérieur). Durant ces événements, la police a monté un mur pour empêcher les révolutionnaires d’avoir accès au ministère de l’Intérieur.

 Dans Horra (libre), Taher essaie de présenter aux lecteurs une chronique de la révolution égyptienne à travers toutes ses caricatures publiées entre 2005 et 2012 aux journaux Al-Dostour et Al-Shorouk. Cela en abordant la situation sociopolitique en Egypte avant, durant et après la révolution, à travers divers thèmes : l’atrocité du régime, la faiblesse du peuple, etc. Avec beaucoup de satire, Taher a également traité plusieurs crises subies par l’Egypte, tels le contrôle des médias par la Sécurité, les grèves ouvrières, la révolution, la chute du pouvoir, la contre-révolution, le Conseil suprême des forces armées … Le livre s’achève par un dessin de la place Tahrir plein de gens, comme pour dire : la révolution continue.

Le jeune artiste se montre-t-il furieux à l’égard de Morsi ? « Je ne comprends pas pourquoi les artistes se sont mis en colère lors du premier discours de Morsi ? Le fait qu’il ne les a pas cités est tout à fait normal. Il parlait des gens pauvres et marginalisés ; alors toute allusion aux artistes était hors sujet », explique-t-il. Et d’ajouter : « L’accès de Morsi au pouvoir ne m’inquiète pas. Je crois qu’il est assez intelligent et qu’il va essayer à tout prix d’être à la hauteur des aspirations du peuple. Au contraire, c’est l’accès de Chafiq qui aurait pu m’inquiéter et je me demandais même pendant le deuxième tour : si Chafiq remporte les élections, que sera le sort de mon recueil Horra ? ».

Lamiaa Al-Sadaty

 

 

 

Jalons

 

1991 : Diplôme des beaux-arts, de l'Université de Hélouan.

1992-2006 : Dessinateur à la revue Sabah Al-Kheir.

2003 : Publication de Al-Aghbiaa (les imbéciles), un livre pour enfants, éd. Dar Al-Shorouk.

2005-2009 : Dessinateur à Al-Dostour.

2011 : Prix Etisalat décerné par le Conseil émirati pour les livres des jeunes pour son historiette Al-Noqta al-sawdaa (le point noir).

2012 : Publication de Horra (libre), un recueil rassemblant toutes les caricatures publiées entre 2005 et 2012, éd. Dar Al-Shorouk.