Al-Ahram Hebdo, Visages | Mohamad Khamis

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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 28 mars au 3 avril 2012, numéro 915

 

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Visages

Célèbre pour ses affiches-cinéma et ses banderoles électorales, Mohamad Khamis est un maître de la calligraphie qu’il a acquise de père en fils. La qualité de son travail lui a valu plusieurs commandes présidentielles et des affaires florissantes.

L’artisan s’affiche

Banderoles et pancartes suspendues sur des poteaux et des fils tendus dans l’atelier. Pots de peinture et pinceaux laissés par-ci, par-là. Traces de peinture partout sur le sol et sur les murs. L’atelier de Mohamad Khamis, « Al-Saghr » comme on l’appelle, est plein à craquer. L’étroitesse des locaux amène le calligraphe et ses assistants à occuper tout l’espace en face de l’atelier. Poser les pieds dans l’atelier requiert une attention particulière. On peut à tout moment renverser un pot de peinture ou marcher sur un outil de travail.

Depuis des semaines, une ambiance inhabituelle règne sur le lieu, situé au centre-ville, à deux pas de la place Tahrir. Car depuis le début de la campagne présidentielle, les affaires d’Al-Saghr sont de plus en plus florissantes.

Dans un coin, avec son seul ordinateur, Khamis fabrique ses affiches électorales. « Militants et équipes de diverses campagnes semblent prêts à tout pour recueillir les voix des électeurs à presque un mois des premières présidentielles libres en Egypte », indique Mohamad Khamis, calligraphe expert des campagnes électorales. Depuis 4 générations, sa famille travaille dans les campagnes électorales, les affiches de cinéma, les décors de pièces de théâtre, la peinture de façades de bâtiments. La famille Khamis fait en effet partie des calligraphes propagandistes depuis 1930. Selon Khamis, communiquer, c’est partir du réel. « Il s’agit de vendre un personnage, et surtout une idée », avoue-t-il. Et d’ajouter : « Cette année, plusieurs candidats aspirent aux présidentielles.  Outre la bataille idéologique et politique, il y a toujours celle de l’image. Quand le financement manque, il y a toujours le papier, le crayon et les affiches ».

Les thèmes des affiches sont décidés dans les plus hautes sphères de communication. Aux commandes, les candidats en personne, aidés par leurs fidèles, leurs bras droits. « Ici, les ordres viennent d’en haut. Pour les photos, les séances durent parfois toute une journée », explique-t-il.

Le vieux calligraphe propose, coordonne textes et images. « Mon expérience dans la publicité donne du poids à mes arguments », assure-t-il. Mohamad Khamis s’attache toujours à donner une image de marque au candidat. « Pour certaines affiches, on enlève même la cravate, et on fait sauter les premiers boutons de la chemise ». Mais, l’aval final revient au candidat et au concepteur de sa campagne.

Et à lui d’expliquer son travail. « Les membres des bureaux des candidats viennent nous voir quand ils ont en tête un projet d’affiche. Ce sont eux qui choisissent les idées, les slogans et les logos. Ils se réunissent autour d’une table, et tout le monde balance ses idées. Puis c’est au tour des concepteurs de créer l’image. Pour la touche finale, notre avis est roi. De la conception au collage, l’affiche est un travail fait maison ».

Pour Khamis, être calligraphe d’une campagne électorale c’est avoir une vision et une mission assez politiques. Pour lui, les spots électoraux n’ont pas le droit de mentir ouvertement, contrairement parfois aux annonces commerciales. Le calligraphe est alors responsable de ce qu’il présente sur l’affiche, à tel point qu’il ne doit peindre ou écrire que ce qu’il croit vraiment.

« Je suis réputé pour être très sélectif, même si le travail manque la plupart de l’année », affirme Khamis sereinement. Et d’ajouter : « Je dois m’assurer que le candidat dont je prépare les affiches est une personne qui mérite d’être secondée par mon travail, sinon je refuse carrément la campagne ».

En fait, l’histoire entre Mohamad Khamis et la calligraphie a commencé très tôt. Dès son plus jeune âge, il découvre sa vocation pour le dessin et la calligraphie. Il a été fasciné par cet art ancestral et authentique qui garde une richesse esthétique intemporelle. Né au Caire, au sein d’une famille d’origine alexandrine, il trouvait en l’art, et tout particulièrement le dessin, un équilibre favorable à son épanouissement et son imagination.

Khamis Junior a pris donc conscience très tôt de la force d’expression et l’élan que peut avoir la calligraphie. Enfant curieux, vif d’esprit et débordant d’énergie, il s’approprie rapidement l’art de la calligraphie et la peinture d’affiches. Un duo magique : le papier et la fourchette ou bien le pinceau. Il aimait imiter son père et a essayé dès son enfance de maîtriser l’écriture, même avant l’école.

Son père, Khamis Gaafar, le calligraphe le plus célèbre des années cinquante, a décidé de donner à son agence de calligraphie le nom d’Al-Saghr (c’est-à-dire le port, pour rendre hommage à Alexandrie, sa ville natale). Fasciné par ce monde des chiffres et des lettres, le petit Mohamad était très à l’aise dans l’atelier familial. Il a pris la décision de ne pas poursuivre ses études et de s’adonner volontiers à la calligraphie. Une passion qui lui a dicté sa carrière ou plutôt le reste de sa vie. « J’ai quitté l’école depuis la quatrième primaire. J’avais l’habitude de fuir l’école pour aller observer mon père travailler dans notre atelier ». Et face à l’obstination du petit, le père — déjà bilingue et bien cultivé — se résigne pour offrir à son petit toutes ses connaissances dans le domaine.

« Aucun de mes 12 frères ne voulait travailler à l’atelier », lance-t-il en riant. 

Son talent de dessinateur et son sens aigu de l’observation lui ont permis de pratiquer la calligraphie de façon originale, depuis les années 1960. « Comme tout apprenti dans notre métier, j’ai commencé à calligraphier et peindre les affiches de films projetés dans les salles des quartiers populaires. Ensuite, il a commencé à me faire confiance, pour me charger de peindre les affiches de films américains de science-fiction ou d’horreur », se souvient le calligraphe. Et de poursuivre : « Après une période de pratique et d’expérience, j’ai commencé à prendre part aux campagnes électorales des chefs d’Etat. Car notre agence de calligraphie a déjà collaboré avec le roi Farouq, les présidents Nasser, Sadate et Moubarak ».

Toutefois, c’était en 1976 qu’il a eu l’opportunité de dépeindre pour la première fois l’image d’un président. « C’était l’image du président Anouar Al-Sadate qui a été placée parmi d’autres sur les deux rives du Canal de Suez, lors des fêtes célébrant la victoire du 6 Octobre », souligne-t-il, ses doigts jouant avec l’une de ses mèches blanches.

Pour lui, dessiner le président n’est plus angoissant, c’est comme dessiner une star donnée. « Le calligraphe doit embellir l’image des stars le plus possible, sinon elles font beaucoup de problèmes avec le producteur et avec moi-même. Les exemples sont nombreux avec Elham Chahine, Nabila Ebeid, Fifi Abdou et Nadia Al-Guindi. Cependant, toutes ces stars m’estiment beaucoup, car je leur ai toujours attribué une image magnifique ».

Des problèmes de métier ? Il y en a beaucoup en fait : « On a perdu notre atelier à la rue Ramsès, là où mes grands-parents travaillaient depuis des décennies, tout simplement parce que le journal Al-Goumhouriya voulait construire son nouveau bâtiment dans cet endroit stratégique. Il n’y avait de plus facile pendant le règne de l’ancien régime que de voler les biens des citoyens par les hommes du pouvoir ! ».

Débridant sa mémoire, Khamis peut passer des heures à raconter ses déboires quotidiens. De l’histoire des islamistes fanatiques qui ont brûlé un jour les affiches qu’il a dessinées pour le film Al-Erhabi (le terroriste) campé par Adel Imam, jusqu’aux offenses des révolutionnaires pour la simple raison qu’il gardait encore, le 25 janvier 2011, une pancarte dans son atelier parmi les anciennes affiches portant la photo de Moubarak ... La liste des aventures à la Khamis s’avère assez longue !

Son côté artisanal ? C’est encore plus riche que celui du propagandiste. Car sa calligraphie traduit la nécessité de recréer un lien entre l’écrit et le ressenti. Il joue avec les mots, les formes et les couleurs pour provoquer une rencontre ou susciter une émotion. Pour lui, la calligraphie est en soi un art énergétique. « L’importance de l’attitude corporelle, la concentration sur la respiration et la recherche d’harmonie et d’équilibre sont une partie essentielle de cet art. La calligraphie est associée au calme, à la concentration et à l’expression de ce qu’il y a de plus beau et de plus sophistiqué dans la personnalité », dit-il.

Le travail sur l’horizontalité et la verticalité ainsi que sur les proportions et le rapport à l’espace permet au calligraphe de mieux se replacer dans l’espace, tout avec le papier ou la surface sur laquelle il s’exerce, devenant alors pour lui une représentation en miniature de l’univers. « Les gestes du calligraphe deviennent un espace ouvert, accueillant les idées du concepteur et l’imaginaire du contemplateur ».

En effet, il a privilégié la contemplation à l’exercice de la calligraphie, ses rapports géométriques, ses mouvements pour en extraire une synthèse analytique. Au bout de cette aventure, Mohamad Khamis a créé sa méthode personnelle qui permet de maîtriser en peu de temps les styles de la calligraphie arabe, en même temps que l’art de peindre sur n’importe quelle surface. « L’art de la calligraphie implique une grande patience et aboutit à la prise de conscience des limites, provoquant frustration et déception autant que joie et bonheur. L’une des finalités de cette pratique est de s’écarter de toute considération matérielle pour parvenir à la liberté », explique le patron.

« Artisan-calligraphe », c’est ainsi qu’il se qualifie. « J’existe en disparaissant derrière le trait, le mot, la phrase. Seule la trace constitue la mémoire de mon geste ; seul le présent a de l’importance, c’est le présent qui compte ! », s’exprime-t-il en dessinant ses lettres ; un petit sourire de rêve couvre son visage ridé.

Chaque trait doit être parfait. De nombreuses ébauches sont effectuées avant que Khamis ne considère son œuvre comme achevée. « Je rêve de ces lettres. J’imagine le mot dans ses différents styles calligraphiques. J’esquisse quelques traits en transformant les lettres, je les déplace, les modifie. Et dans ma tête plane l’image de l’affiche. Elle est tout d’abord floue. Certaines images se révèlent plus rapides que d’autres, parfois dès le premier jour, d’autres prennent quelques jours avant de faire leur apparition. Cette lenteur signifie que je n’ai pas encore percé l’énigme de l’image. Il faut donc persister ».

Mohamad Khamis a passé plus de 45 ans à créer banderoles et affiches. Pourtant, on est bien loin des temps où le slogan ne passait que par l’affiche. Blogs et e-mails sont dorénavant les nouveaux terrains de jeu entre militants. Pour Khamis, le papier conserve cependant un rôle spécifique : « Il ne faut, à aucun prix, renoncer à la calligraphie qui est liée dans toutes les civilisations à la beauté et à la mémoire des nations ».

De sa formation de calligraphe, il a gardé l’esprit noble de l’artisan fier de son métier, qui fabrique ou invente ses outils et prépare lui-même ses encres à partir des pigments colorés.

« Même si nous vivons l’ère de l’invasion  technologique, celle d’Internet, je pense que cet art qui remonte à 3 000 ans ne mourra jamais. J’ai l’honneur de rester des semaines dans mon atelier sans travail, à attendre une pancarte à peindre ou un tableau à calligraphier. Notre métier ne survivra que grâce à la persistance des artisans » .

Yasser Moheb

 

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Jalons

1956 : Naissance au Caire.

1965 : Début de sa carrière de calligraphe.

1971 : Première affiche de cinéma, le film King Kong.

1976 : Première campagne présidentielle, sous Sadate.

1984 : Patron de l’atelier familial.

1999 : Dernière affiche de cinéma, L’Autre de Chahine.

 




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